Lettre 687 : Pierre Bayle à François Gaultier de Saint-Blancard
Ce que je vous avois marqué touchant Mr Claude, Monsieur, ne s’est trouvé que trop véritable ; il n’est plus en état de vous dire ce qu’il pense de votre excellente apologie [1] car il est mort depuis plus de 15 jours [2]. Cela nous doit d’autant plus engager à prier Dieu de nous conserver les piliers qui nous restent, soit en appuyant la cause auprès des puissances, soit en composant des livres. Vous faites l’un et l’autre Monsieur, si bien et si fortement que ces souhaits vous regardent d’une • façon singulière. La navigation va recommencer, et j’espère de recevoir bientôt par Rouen les livres que vous souhaités : j’en ai déjà deux, savoir Thomassin De l’Unité de l’Eglise [3] et la Conformité de l’Eglise d’Afrique [4] aux quels je joindrai le livre d’un prêtre de S[aint] Sulpice nommé Blache dont j’ai parlé [5] et qui mérite d’avoir sur les doigts, d’autant plus qu’il justifie le plus qu’il peut par des extraits de s[aint] Augustin les persecuteurs. J’ai donné ordre depuis plus de 15 jours qu’on vous envoyat le livre que Mr Benoit a fait imprimer pour la retraite des ministres [6], j’ai vu qu’il vous étoit nécessaire, ainsi je l’ai fait porter à la hâte sans qu’on attendit encore ni le dernier livre du s[ieu]r Soulier que je n’ai pas encore. Un nommé La Valete qui a fait La Conformité des calvinistes et des albigeois avec l’histoire des mouvemens du Vivarais [7] ne vous seroit il pas nécessaire ? Je me repens de ne l’avoir pas dejà mandé* de Paris à tout hazard. Les disciples de Mr Pajon ont publié des Entretiens de théologie [8] où ils ont assès bien prouvé que les princes doivent tout à leurs sujets hérétiques, ce qu’ils avoient déjà prouvé et même autrement dans le Commentaire philosophique sur « Contrain les d’entrer », que je vous ai envoyé [9]. Mr Jurieu va publier un • abregé de ses Prejugés [10]. Sa Pastorale XI parle avec éloge de Mr Claude [11]. Je suis Monsieur votre très humble et très obeïssant serviteur
Notes :
[1] François Gaultier de Saint-Blancard, Histoire apologétique, ou défense des libertez des Eglises réformées de France. Avec un recueil de plusieurs édits, déclarations et arrêts, et de quelques autres piéces, qui servent à justifier les principaux faits, qu’on avance dans le corps de l’ouvrage (Amsterdam 1688, 8°). Sur ce pasteur de Berlin, voir H. Bost, « De Montpellier à Berlin : l’itinéraire du pasteur François Gaultier de Saint-Blancard (1639-1703) », in Hugenotten zwischen Migration und Integration. Neue Forschungen zum Refuge in Berlin und Brandenburg, éd. M. Böhm, J. Häseler et R. Viollet (Berlin 2005), p.179-204. Il avait probablement soumis le manuscrit de son travail à plusieurs personnalités du Refuge wallon, dont Claude et Bayle. Bayle avait rendu compte de ses Dialogues entre Photin et Irénée sur le dessein de la réunion des religions et sur la question, si l’on doit emploïer les peines et les récompenses pour convertir les hérétiques (Mayence [La Haye] 1685, 12°, 2 vol.) : voir NRL, décembre 1685, art. IV.
[2] Jean Claude mourut à La Haye le 13 janvier 1687.
[3] Louis Thomassin, Traité de l’unité de l’Eglise et des moïens que les princes chretiens ont emploïez pour y faire rentrer ceux qui en étoient séparez (Paris 1686, 8°).
[4] Philippe Goibaud du Bois, Conformité de la conduite de l’Eglise de France, pour ramener les protestans, avec celle de l’Eglise d’Affrique, pour ramener les donatistes à la foi catholique (Paris 1685, 12°).
[5] Antoine Blache, Réfutation de l’hérésie de Calvin par la seule doctrine de M rs de la R. P. R. pour affermir sans dispute les nouveaux convertis dans la foi de l’Eglise catholique (Paris 1686, 12°) : voir NRL, décembre 1686, cat. vi. Voir aussi Lettre 666, n.2.
[6] Elie Benoist, Histoire et apologie de la retraite des pasteurs à cause de la persécution de France (Francfort 1687, 8°) : voir NRL janvier 1687, cat. iii (vii).
[7] Michel Achard Rousseau de La Valette, Parallele de l’heresie des Albigeois et de celle du calvinisme, dans lequel on fait voir que Louis le Grand n’a rien fait qui n’eût été pratiqué par S[aint] Louis, avec l’histoire de la derniere révolte des calvinistes du Vivarais (Paris 1686, 4°) : voir NRL, juin 1686, cat. v.
[8] Charles Le Cène, Entretiens sur diverses matieres de théologie, où l’on examine particulierement les questions de la grace immédiate, du franc-arbitre, du péché originel, de l’incertitude de la métaphysique et de la prédestination (Amsterdam 1685, 12°) : voir NRL, avril 1685, cat. xiv.
[9] Il s’agit, évidemment, du Commentaire philosophique de Bayle lui-même, dont il se garde bien de dire qu’il est l’auteur, le traitant même d’ouvrage pajoniste...
[10] Jurieu, Préjugés légitimes contre le papisme (Amsterdam 1685, 4°, 2 vol.).
[11] Jurieu, Lettre pastorale XI (1 er février 1687) : « Nous ne nous sommes pas fait un devoir de vous parler de tous les evenements tristes qui arriveront durant nôtre exil et nôtre persecution. Mais la mort de l’excellent M. Claude est un accident si funeste que nous ne saurions nous empêcher d’en dire un mot. Dieu l’a pris à luy depuis nôtre derniere Lettre. Comme il étoit le pere de nos prophetes, nous pouvons bien crier apres lui : mon Pere, mon Pere, chariot d’Israel, etc. Dieu l’avoit attaché autrefois particulierement à la conduite du plus considerable de vos troupeaux, mais la providence l’avoit fait devenir en quelque sorte vôtre pasteur universel par le soin qu’il avoit pris de vous munir contre les dangereux sophismes de vos tentateurs. Il y avoit réussi de maniere à couvrir de confusion et de honte tous nos ennemis. Je ne vous apprens la perte que vous avés faite, qu’afin que vous la pleuriés et que vous la regardiés comme une marque de la continuation de la colere de Dieu contre nous. » La citation biblique renvoie à l’épisode du prophète Elie enlevé au ciel sous les yeux de son sucesseur Elisée : 2 Rois 2, 12.