Lettre 689 : Pierre Bayle à Claude Nicaise

A Rotterdam ce 6 fevrier 1687

Monsieur J’ai la plus grande reconnoissance du monde de l’honneur que vous m’avez fait en m’ecrivant [1] d’une maniere si obligeante et si pleine d’ honnete[té*]. Mais que ne vous dois-je pas Monsieur pour le bien que vous m’avez procuré de la part de Mons[eigneur] l’eveque de Pamiers digne neveu du grand prel[at] et de l’illustre archeveque qui est mort depuis que[l]que tems [2]. L’eloge que j’ai recu en meme tems est fort bien ecrit, et je voi par les premieres lignes qu’il paroitra dans quelque recueil d’hommes illus[tres] dans l’etude des medailles. Je vous suplie tres humblement Monsieur, de temoigner à Monsie[ur] / l’eveque de Pamiers mes plus profonds respects et la reconnoissance que j’ai pour un present si precieux que les deux derniers ouvrages de feu Monsieur l’archeveque d’Alby [3]. Je souhaite passionnement que ce que j’en ai dit ne deplaise point. Mr Ritter [4] s’etant arreté à Bruxelles a eu soin à la verité de m’envoier par les messageries le paquet, mais il n’est pas venu assez tot pour que j’eusse l’espace que j’aurois voulu donner à un article : presque tout le journal etoit deja imprimé quand je receus le paquet. L’excellent ouvrage de Mr Baillet ne reparoitra dans mes Nouvelles que dans ce mois de fevrier [5], j’ai reculé pour mieux sauter, c’est que m’imaginant que les auteurs de la Bibliotheque universelle parleroient de cet ouvrage dans leur dernier tome de 1686, je voulois voir leur article afin d’achever le mien [6]. Ils n’en ont point parlé, et comme leur suite ne doit paroitre que dans 3 mois d’ici, je n’ai plus rien qui me retarde / de ce coté là. Je serai fort aise de rendre à Mr Varillas la justice qui lui sera deuë [7], car c’est un homme dont j’admire la plume et les talens, et je croi lui avoir donné tous les eloges qu’un journaliste peut donner, un journaliste dis-je, qui devroit etre plus historien que panegyriste [8]. Il n’y a que son Histoire des revolutions qui m’ait paru ne pas repondre à l’idée que j’avois de lui [9], et c’est le sentiment de tout notre monde. Je vous suplie Monsieur de lui temoigner si vous le jugez à propos, l’estime que j’ai pour lui, et l’assurer que je mettrai dans tout leur jour autant qu’il me sera possible les preuves qu’il donnera de son exactitude en repondant à Mr Burnet. J’ai seu deja que celui cy s’est trop avancé à l’egard de la consultation de Cajetan [10]. Je ne puis finir sans me feliciter de l’honneur qu’un homme de votre merite et de votre reputation m’a fait en me procurant un avantage que je souhaitois passionne / ment sur la conoissance que j’avois de vos grandes lumieres, c’est Monsieur de ne vous etre pas indifferent et d’avoir quelque liaison avec vous. Je voudrois etre capable de vous rendre en ce pays ci mes tres humbles services ; j’en embrasserois avec joye les occasions, etant avec beaucoup de respect Monsieur votre tres humble et tres obeissant serviteur. Bayle

Notes :

[1Aucune des lettres de Nicaise à Bayle de cette époque ne nous est parvenue. Sur lui et sur son vaste réseau de correspondance, voir Lettre 517, n.57.

[2A la fin de l’« Histoire et éloge de l’archevêque d’Alby » dans les NRL, janvier 1687, cat. iv (voir la note suivante), Bayle annonce : « Le public verra sans doute plus amplement les éloges de cet archevêque, par les soins de M. l’évêque de Pamiers son neveu, qui est d’une grande érudition », mais il dut corriger cette remarque dans la Préface des NRL du mois suivant : « On s’est trompé dans les Nouvelles de janvier, en parlant de feu M. l’archevêque d’Alby, lors qu’on a dit que M. l’évêque de Pamiers est son neveu. » La méprise de Bayle est amusante et il s’en explique dans l’article « Serroni, Hyacinthe » du DHC. En effet, celui qu’il désigne comme l’érudit évêque de Pamiers est François de Camps, qui « avoit l’honneur d’appartenir » à l’évêque d’Alby : Bayle avait mal interprété cette formule. François de Camps, ancien moniteur des Petites Ecoles de Port-Royal, intime d’ Hyacinthe Serroni et de Léon Bacoué, avait su s’insinuer dans le petit milieu de la numismatique naissante et se faire nommer d’abord coadjuteur de Bacoué à Glandève et ensuite évêque de Pamiers par la faveur du Père de La Chaize : voir Lettres 449, n.17, et 618, n.11. Il avait peut-être servi d’intermédiaire pour l’envoi des NRL aux deux évêques, ses protecteurs : voir Lettre 455, n.15.

[3Bayle signale dans les NRL, janvier 1687, cat. iv, les Entretiens affectifs de l’ame avec Dieu pendant les huits jours des exercices spirituels, par Messire Hyacinthe Serroni, premier archevêque d’Alby, pour l’usage des ecclésiastiques de son dioceze (Paris 1686, 12°), qui est, semble-t-il, un ouvrage distinct des Entretiens affectifs de l’âme avec Dieu sur les Pseaumes de la pénitence (Paris 1686, 12°) : ce seraient donc là les « deux derniers ouvrages » d’ Hyacinthe Serroni, qui venait de mourir. Son Testament devait paraître peu après (s.l.n.d., 4°).

[4Nous n’avons su identifier plus précisément M. Ritter, sans doute un commerçant, qui a servi d’intermédiaire pour l’envoi par François de Camps des ouvrages de Serroni à Bayle.

[5C’est en effet dans le dernier numéro – incomplet – des NRL, qui parut fin février 1687, que Bayle donna le compte rendu du dernier tome paru de l’ouvrage d’ Adrien Baillet, Jugemens des sçavans sur les principaux ouvrages des auteurs. Tome IV contenant les poëtes (Paris 1686, 12°).

[6Jean Le Clerc devait consacrer plusieurs articles de la BUH à différents ouvrages de Baillet (juin 1688, juin et août 1689, mars et avril 1691) et aussi à l’ Anti-Baillet de Gilles Ménage (La Haye 1688, 12°, 2 vol.), mais il ne fit paraître aucun compte rendu des Jugemens des sçavans.

[7Nicaise avait dû annoncer à Bayle la réponse de Varillas aux critiques de Gilbert Burnet : sur cette bataille, voir Lettre 595, n.11.

[8Sur la haute conception que Bayle se faisait du « journaliste », voir H. Bost, Un « Intellectuel » avant la lettre : le journaliste Pierre Bayle (1647-1706) (Amsterdam, Maarssen 1994), ch. 4, p.143-159.

[9Bayle s’exprime avec délicatesse, car c’est précisément cet ouvrage de Varillas, Histoire des révolutions arrivées dans l’Europe en matière de religion (Paris 1686-1690, 4°, 6 vol.) qui avait suscité les critiques de Gilbert Burnet : voir Lettre 595, n.11.

[10C’est dans le compte rendu des Remarques de Burnet sur l’ Histoire des révolutions de Varillas ( NRL, octobre 1686, art. IX) que Bayle résume l’allusion de Burnet à Cajetan : « Venant au fonds, on soûtient qu’il n’y avoit rien de plus conforme aux principes de la communion de Rome, que de déclarer nul le mariage de Henri VIII puisque la tradition de tous les siècles et le sentiment de tous les docteurs avant Cajetan, étoit que les loix du Lévitique concernant l’inceste ne souffroient point de dispense. »

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