Lettre 695 : Jacques Du Rondel à Pierre Bayle

[Maastricht, mars-avril 1687]

A la fin je vous aurois trouvé, mon cher Monsieur, mais jamais pourtant où vous me marquez [1]. C’est en febvrier s’il vous plaist, que vous parlez de l’aventure de question, et qui m’avoit laissé une si jolie idée. Dés que je pourray, j’iray chez M lle Barthelemy [2] voir son Theophile Bonnet, afin de satisfaire mon envie et celle d’un honneste homme de cette ville. Je vous remercie tres humblement. Vous m’avez mis pendant quelque temps à deux doigts du desespoir, mon cher Monsieur. Moy vous demander vostre nouveau livre [3] ! Moy vous solliciter à me l’envoyer ! car vostre lettre veut dire tout cela. Je vous puis jurer par tout ce qu’il y a de plus saint et de plus sacré entre les hommes, que je n’y a[i] pas seulem[en]t songé. Je ne suis ni si rustre ni si impudent que de descendre jusqu’à telle villenie ; frontis ad urbanæ præmia nunquàm descendi [4]. J’ay trop de respect et de veneration pour vous, pour m’emanciper jusqu’à semblable liberté. Et puis vos bienfaits sont d’une nature à produire une estime profonde, et non pas à porter les gents [ sic] à badiner avecque vous. Après vous avoir / aymé et honnoré à Sedan [5] sans avoir rien receû de vous, vous pouviez bien vous imaginez en ma faveur, que je n’estois point interessé, et que j’avois l’ame assez bien faite pour ne vous considerer que par vous mesme. Mr Despreaux [6] que j’ay aymé trente ans durant, avant qu’il fust autheur, debvoit bien vous convaincre que je puis aymer gratuitement. Mais je ne suis pas si heureux que je croyois. Il est vray que je vous ay parlé de mon libraire ; mais j’avois tellement sur le cœur de ne vous point avoir une seconde fois à cause de son escorcherie*, qu’à propos ou non, je me suis tousjours plaint de luy. C’est un maudit que mon libraire [7] pire mille fois qu’Orkius [8] ; et je luy souhaite toutes les maledictions imprimées et imaginables. Excusés ces paroles ; je n’en suis pas moins, mon cher Monsieur, vostre très humble et très obéissant serviteur Du Rondel

Notes :

[1Du Rondel répond à une lettre de Bayle qui ne nous est pas parvenue, où celui-ci lui donnait des références – apparemment fausses – portant sur un passage des NRL : Du Rondel déclare qu’il a trouvé le passage en question dans le numéro du mois de février et qu’il compte consulter l’exemplaire de Théophile Bonet chez M lle Barthélemy : il s’agit donc certainement du compte rendu dans les NRL, février 1687, art. VI, de l’ouvrage de Théophile Bonet, Medecina Septentrionalis collatitia, sive rei medicæ nuperis annis à Medicis Anglis, germanis et Danis emissæ Syntagma, exhibens observationes medicas in quibus nova, abdita, etc. Pars altera. Cui præter observationes accessere plurima circa anatomen etc. [...] cum indicibus et figuris necessariis (Genevæ 1686, folio), où Bayle évoque, suivant le récit de Bonet, différents cas qui ont pu intéresser Du Rondel. Sur l’auteur de cet ouvrage, voir Lettre 517, n.43.

[2M lle Barthélemy à Maastricht : nous n’avons su identifier plus précisément cette amie de Du Rondel ; nous ne connaissons que la famille Barthélemy de Sedan, dont elle était sans doute un membre : voir Lettre 112, n.6.

[3Il s’agit peut-être du Commentaire philosophique, annoncé par Bayle dans les NRL, mars 1686, cat. iii, août 1686, cat. ii, et novembre 1686, cat. iii, mais plus vraisemblablement de l’ouvrage qu’il venait d’éditer : Le Retour des pièces choisies, ou bigarrures curieuses (Emmeric 1687, 12°), sur lequel voir le compte rendu très favorable dans les NRL, décembre 1686, art. IV, et Lettres 605, n.7, 640, n.4, 642, n.23, 652, n.2, 655, n.3, 668, n.9.

[4Voir Horace, Epîtres, I.ix.11. Du Rondel insère le mot numquam, « jamais » : « je ne me suis jamais abaissé à chercher les avantages d’une manière citadine ». Le sens du vers d’Horace est obscur.

[5Sur Du Rondel à Sedan, voir Lettre 121, n.3.

[6Les relations de Du Rondel avec Boileau-Despréaux ne semblent pas avoir laissé de traces.

[7Nous ne saurions identifier le libraire que Du Rondel maudit à cause de son « escorcherie ». Il s’agit peut-être de Barent Beek, évoqué dans sa lettre du 19 février 1687 (Lettre 691), ou bien du « miserable Jonathan » évoqué un peu plus loin dans la même lettre, mais il s’agit là d’imprimeurs, alors que les termes de Du Rondel semblent renvoyer à un libraire par lequel il a vainement tenté d’obtenir un deuxième exemplaire d’un ouvrage de Bayle – peut-être des NRL, dont il dit que son exemplaire des mois d’octobre, novembre et décembre 1686 est illisible.

[8Orkius, jeu de mots irrévérencieux sur le nom de Jurieu. Le mot grec signifie « lié par un serment ». Le son peu agréable de ce mot n’est pas étranger au choix que Du Rondel en fait pour désigner Jurieu.

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