Lettre 709 : Pierre Bayle à Claude Nicaise

A Rotterdam le 15 e avril [16]88

Je ne sai Monsieur, ce que vous penserez de moi voïant qu’apres avoir eté honoré plus d’une fois de lettres infiniment obligeantes de votre part depuis ma reponse [1] j’ai gardé le silence jusques à cette heure ; je ne voi rien qui me puisse disculper que l’etat chancellant de ma santé [2] qui ne s’est retablie qu’avec une prodigieuse lenteur, quoi qu’elle n’eust eté alterée que fort mediocrement, et qui ne se fust jamais retablie, à ce que disoient les medecins, si je n’eusse prevenu et evité soigneusement les petites emotions* que la moindre lecture ou ecriture excitoient dans mon sang, lors meme que d’ailleurs je ne sentois plus aucuns restes de ma langueur. Voila Monsieur, ce qui m’a privé de l’avantage de vous ecrire, et de vous temoigner combien je me sens honoré des marques d’amitié et de consideration / que vous m’avez fait la grace de me donner. Mais à l’avenir je vous asseure que je serai plus exact à m’attirer de telles faveurs, en vous marquant avec une extreme diligence à quel point j’y suis sensible et avec quelle ardeur je souhaitte de cultiver la connoissance d’une personne aussi illustre que vous l’etes Monsieur par tant d’endroits[.] Je suis ravi que Monsieur Choüet [3] mon ancien amy que j’honore pour cent raisons, et qui a infiniment du merite, ait un parent aussi digne de lui que vous Monsieur, et je n’ay pas manqué de l’en feliciter[.] Comme vous etes un curieux à qui rien n’echape, je vous demande au nom de Mr Basnage l’avocat auteur du journal qui s’imprime dans cette ville [4] les decouvertes et autres materiaux qui vous tomberont en main : vous savez Monsieur sans que je vous le dise que c’est un habile ouvrier qui donne à chaque chose / le relief qui lui est propre. Je vous suplie tres humblement d’asseurer de mes respects votre illustre compatriote Monsieur de Longepierre, dont j’ay encore depuis peu receu une lettre des plus obligeantes [5]. On ne peut rien ajouter à l’estime que j’ay conceuë tant pour son esprit et pour sa capacité, que pour ses manieres honnetes* et genereuses[.] Vous avez Monsieur un autre compatriote nommé Mr Cosset auteur anonyme d’un Traitté de l’excommunication imprimé en 1683 à qui je dois une reponse [6] ; j’ay trouvé parmi les lettres que je recevois durant ma maladie et que je n’ouvrois pas, une lettre qu’il me fist l’honneur de m’ecrire le 23 mars 87 où il me marquoit qu’il m’avoit envoié un exemplaire de son livre et quelque manuscrit, et me donnoit une adresse pour savoir de mes nouvelles. Je n’ai point recu ce paquet là, et je ne sai plus si cette adresse est bonne, car dans un an il arrive bien des changemens. Je ne sai donc comment m’eclaircir[ ;] / si vous pouvez Monsieur, me fournir quelque ouverture, je vous en serai tres obligé. Je vous suplie de croire qu’on ne peut pas etre avec plus de passion et d’estime que je le suis Monsieur votre tres humble et tres obeissant serviteur Bayle

Notes :

[1Bayle avait répondu à Nicaise le 6 février 1687 (Lettre 689).

[2Sur la maladie de Bayle, voir Lettres 702 et 707.

[3Jean-Robert Chouet, professeur de philosophie à Saumur et ensuite à Genève (sur lui, voir Lettre 5, n.11), fils de l’imprimeur Pierre Chouet, neveu de Louis Tronchin par sa mère, était aussi cousin de l’abbé Nicaise. En 1686, Chouet avait abandonné l’enseignement pour occuper des postes importants dans le gouvernement de la République de Genève. La lettre à laquelle Bayle fait allusion ne nous est pas parvenue.

[4Henri Basnage de Beauval, qui avait lancé le nouveau périodique, HOS, héritier de l’esprit baylien des NRL : voir Lettre 705, n.7.

[5Aucune lettre de Longepierre à Bayle n’a survécu entre celle du 30 novembre 1686 (Lettre 666) et celle du 25 juillet 1696 ; la fréquence des lettres de Longepierre adressées au journaliste avait d’ailleurs toujours été fonction du rythme de ses propres publications.

[6Il s’agit certainement de l’ouvrage du Dijonnais Philibert Collet (1643-1718), Traité des excommunications (Dijon 1683, 12°), que Basnage de Beauval devait évoquer brièvement dans l’ HOS, mai 1690 sous le nom de « M. Cosset (de Dijon) », conformément à l’orthographe que Bayle donne ici de son nom. Sur l’orthographe authentique du nom, « Collet », voir Lettre 714. Aucune lettre de Collet à Bayle ne nous est parvenue.

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