Lettre 722 : Pierre Bayle à Jean de Bayze

• A Rotterdam le 13 fevrier [16]89

Monsieur,

J’ai apris avec une extreme satisfaction votre heureuse arrivée en Angleterre [1], et je louë Dieu de vous avoir conservé la santé parmi les fatigues de mer et de terre. Vous avez oublié de me donner une adresse, sans quoi quand j’aurois eu les plus fortes lettres de recommandation à vous envoier, il m’eust eté impossible de le faire. Il a donc falu que rencontrant un refugié qui s’en va à Londres je lui aye donné ce billet sous le couvert de Mr de Larriviere [2], qui sans doutte vous aura veu, et qui sait où vous logez. Comme je sai son affection pour les honnetes gens du pays, et son credit chez Mr le marechal de Schomberg, je n’ai pas jugé à propos de vous recommander par un autre canal que par le sien ; je l’en prie fortement, et je vous conseille de le solliciter, vous aurez là un bon patron. Mr Jurieu a accablé depuis si long tems ce marechal de prieres et de demandes pour une infinité de personnes, qu’il ne se resout qu’avec repugnance à revenir à la charge, et d’ailleurs sa santé se trouvant incommodée par les moindres ecritures [3], j’ai voulu le choier en cela, trouvant qu’à Londres memes nous aurons un ami qui parlera, ce qui est cent fois plus efficace que d’ecrire. Ne vous rebutez point / Monsieur, à l’egard de Mr Burnet [4]. Il ne faut pas s’etonner que dans la foule d’affaires qu’il a eu pendant une revolution si memorable il n’ait pu vous entretenir, ni ouvrir la lettre que vous lui donnates, mais tachez de vous presenter à lui, et de lui rafraichir les idées de ma lettre [5], et de ce que je lui ai dit pour vous, et • souvenez vous qu’il faut fraper à la porte de ces M rs de cour bien de fois, et avec beaucoup de patience, si on veut en retirer quelque service.

Je n’ose ecrire au pays depuis la declaration de la guerre [6], car peut etre ferois je un crime d’Etat à ceux à qui j’ecrirois ; je ne pense pas qu’ils osent à cause de cela ecrire par deça*. Du moins ne recois je aucune lettre. Adieu mon cher Monsieur, je vous souhaitte toute sorte de prosperité. Vous ne sauriez manquer d’emploi dans une guerre aussi opiniatre et generale que celle qui est allumée. Ainsi soiez rempli d’esperance ; je • suis tout à vous[.]
Bayle

A Monsieur/ Monsieur Bayze/ A Londres •

Notes :

[1Sur Jean de Bayze, cousin de Bayle, voir Lettre 3, n.7. Il avait été compagnon d’études de Joseph Bayle et était donc né probablement entre 1655 et 1660. Il devait s’engager comme officier dans l’armée de Guillaume III en Angleterre : son nom figure dans la liste d’officiers à demi-solde établis comme colons en Irlande à partir du 1 er janvier 1692 ; il semble avoir été installé près d’Armagh et a vécu au moins jusqu’en 1711, comme en témoigne une lettre qu’il adressa à Des Maizeaux. Il eut plusieurs enfants, dont une fille qui épousa un autre officier réfugié, Marc-Antoine de Moncal ; la femme de Jean de Bayze, qui avait pu quitter la France avec lui, mourut en 1696 ; il se remaria par la suite. Ces renseignements proviennent de l’ Inventaire critique d’E. Labrousse (p.339), qui rectifie celles données par H. de France, Les Montalbanais et le refuge (Montauban 1887), p.70 ; voir aussi U. de Robert-Labarthe, Histoire du protestantisme dans le Haut-Languedoc, le Bas-Quercy et le comté de Foix de 1685 à 1789 (Paris 1892-1896), i.339.

[2Sur Paul Falentin de La Rivière, ancien pasteur du Mas d’Azil et chapelain du maréchal de Schomberg, désormais réfugié à Londres, voir Lettres 484, n.1 et 2, et 601, n.21.

[3Sur l’épuisement de Jurieu en juillet 1688, voir Lettres 715, n.4, et 720, n.15 ; Bayle emploie ici une excuse diplomatique.

[4Sur Gilbert Burnet et son rôle éminent auprès de Guillaume III au moment de la Glorieuse Révolution, voir Lettre 710, n.8 : Bayle l’avait déjà sollicité en faveur de M. Dartemont, et on apprend ici qu’il avait fait de même en faveur de Jean de Bayze.

[5La lettre de Bayle adressée à Gilbert Burnet en faveur de Jean de Bayze est perdue.

[6Sur l’interruption de tout commerce de lettres entre les Pays-Bas et l’Angleterre, la France et l’Espagne, voir Lettre 720, n.2.

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