Lettre 777 : Jacques Du Rondel à Pierre Bayle

[Maastricht, seconde moitié 1690]

Je ne me souvenois plus de Paulhan [1], mon cher Monsieur, et franchement je le croyois mort, il y a long temps. Puis qu’il a creû m’obliger en me citant, je luy en sçay fort bon gré : mais je voudrois que c’eust esté en tout autre sujet. Pourveû que cela face chevreter Orkius [2], cela n’ira pas mal ; car il n’y a rien qui me resjoüisse davantage, que de voir un caloyer* en fureur, qui renonce à la débonnaireté et à l’attrempance [3], pour se ruer sur son ennemi. C’est une estrange beste que Orkius. Il ne sçauroit demeurer à rien faire ; et dès qu’il veut faire quelque chose, il se jette sur le premier qu’il trouve, quœlibet in quemvis opprobia fingere sævus [4]. Mandez* moy s’il ne s’abonist* point, et s’il y a esperance de de [ sic] le voir encore fougeux à soixante ans.

J’ay parlé à Mr Niset [5] de Guillaume Grotius [6] : mais je ne scay à quoy il se résoudra. Il vous baise les mains, et vous prie d’inserer le présent billet à l’article d’Aix [7]. Il voudroit bien scavoir, et moy aussi / ce que c’est que le Suetone de Samuel Pitiscus ; s’il vaut mieux que celui de Schildius et de Grævius [8]. Car de la maniére dont le bibliothécaire universel [9] en parle, ce doibt estre quelque chose.

Nous ne voyons quasi rien de nouveau icy, sinon des deserteurs de France, qui ne scavent non plus ce que c’est que de livres, que si on n’en imprimoit pas. Il y en a pourtant, parmy eux qui ont estudié : mais je croy qu’ils ont changé pour leur rapiére Libros Panœti Socraticam et domum [10], et sans doute, ad majorem Musarum infamiam [11]. Les pauvres Muses ! On ne les regarde non plus que des vieilles sans dent ; et cependant, il n’y a rien de si beau ni de si charmant. Ce n’est que graces et qu’appas, et une certaine fraischeur de jeunesse qui ne flestrira jamais. / « Le bausme est dans leur bouche et les roses dehors : Leur parole et leur voix rescuscite les morts » [12]. J’en suis aussi féru que si je ne faisois que d’arriver au Parnasse, et n’ay point de honte de l’advoüer. Je sçay à qui je parle. Il y a long temps que vous / estes un de leurs favoris.

Adieu, mon cher Monsieur. Je vous remercie très humblement de la ligne de Zimmerman [13]. Je luy souhaite un bon professorat de mille escus.

Dites moy, je vous supplie, ce que c’est que les Observationes miscellaneæ du médecin Petit [14]. Sont elles seulement sur des autheurs de médecine, ou sur d’autres autheurs ? Cecy à vostre loisir.

Tout à vous.

Notes :

[1Il s’agit peut-être de Pierre Paulhan, pasteur apostat réfugié en 1664 (†1699). Il avait publié à Lyon en 1688 un Discours sur l’ancienne Discipline de l’Eglise de Nîmes afin de convaincre ses anciens coreligionnaires du crime qu’ils avaient commis en se séparant d’une Eglise où la foi s’était conservée dans toute sa pureté. Voir S. Mours, « Les pasteurs à la révocation de l’édit de Nantes », BSHPF, 114 (1968), p. 301.

[2Surnom de Pierre Jurieu.

[3Lapsus pour : la tempérance.

[4Horace, Epîtres, I.xv.30 : « il dirigeait impitoyablement autant d’opprobre qu’il voulait contre quiconque ».

[5G. Nizet, avocat résidant à Maastricht et auteur d’une réfutation de l’ Avis aux réfugiés : voir Lettres 300, n.7, et 819, n.13.

[6Il s’agit du frère cadet d’ Hugo Grotius, l’avocat Guillaume (Willem) de Groot (ou Grotius) (1597-1662) : voir H. Nellen, Hugo de Groot. Een leven in strijd om de vrede, 1583-1645 (Amsterdam 2007),

[7Il n’y a pas d’article « Aix » dans le DHC, ce qui nous empêche de préciser de quoi il pouvait s’agir dans le billet de G. Nizet. Peut-être revenait-il sur le pamphlet de Pierre Adibert, Avis aux RR. PP. jésuites d’Aix-en-Provence, sur un imprimé qui a pour titre, « Ballet dansé à la réception de Monseigneur l’archevêque d’Aix » (Cologne 1686, 12°) : voir Lettres 660, n.1, et 668, n.4.

[9Le journaliste de la Bibliothèque universelle, Jean Le Clerc : voir BU, mars 1690, le compte rendu du Suétone édité par Pitiscus.

[10Horace, Odes, I.xxix.14 : « les livres de Panætius et l’école socratique ».

[11« A la plus grande infamie des Muses », adaptation satirique de la formule consacrée : « à la plus grande gloire de Dieu ».

[12Souvenir d’un sonnet de Malherbe, « Pour la Vicomtesse d’Auchy » (1608) : « Il n’est rien de si beau comme Caliste est belle, / C’est une œuvre où nature a fait tous ses efforts ; / Et notre âge est ingrat qui voit tant de trésors, / S’il n’élève à sa gloire une marque éternelle. / La clarté de son teint n’est pas chose mortelle : / Le baume est en sa bouche, et les roses dehors ; / Sa parole et sa voix ressuscitent les morts, / Et l’art n’égale point sa douceur naturelle. [...] ». (Malherbe, Poésies, éd. P.R. Auguis (Paris, 1822), p.105-106).

[13Il s’agit sans doute d’un professeur à Rotterdam, probablement à l’Ecole Illustre : Bayle aura fait état de son arrivée dans une lettre antérieure à Du Rondel.

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