Lettre 782 : Christiaan Huygens à Pierre Bayle

A La Haie le 13 jan[vier] 1691

Monsieur

Vous ne faites pas comme la pluspart des philosophes qui profitent des decouvertes des astronomes, sans s’informer comment ils les ont faites. • J’approuve fort vostre curiosité et j’y satisfais tres volontiers, quoy que le premier autheur de ceux qui traitent ces matieres, si vous l’aviez voulu consulter, vous auroit pu apprendre ce que vous me demandez touchant la maniere d’observer les parallaxes [1].

Vous scavez que par les tables astronomiques on peut connoitre le lieu d’un astre, par ex[emple] de la Lune, en determinant sa longitude et latitude à l’egard du cercle ecliptique et de son point qui s’appelle le commencement d’Arion. Lequel lieu se trouve tout calculé dans les ephemerides, en sorte qu’on le peut avoir pour chaque jour heure et minute. • Ces lieux sont ceux où la Lune paroitroit parmi les etoiles fixes estant regardée du centre de la Terre. Et il estoit necessaire de commencer par ces loci veri pour trouver en suite • locos visos ex terræ superficie. Ayant donc apris par l’un de ces moiens la longitude et la latitude de la Lune on peut trouver par le calcul des triangles spheriques quel sera l’angle de son elevation sur le plan d’un horizon qu’on nomme rationalis qui est un plan imaginé passant par le centre de la Terre, et parallele à nostre horizon visible, c’est à dire parallele au plan qui touche le globe terrestre à l’endroit • où nous sommes. / 

• Soit • SG la Terre ; son centre C[,] le lieu de nostre demeure S, la Lune en L. Imaginant maintenant un plan FSE, qui touche la Terre en S, et qui s’etende jusqu’aux etoiles fixes, et un autre plan • BA • parallele au premier et passant par le centre C, c’est là cet horizon rationalis et la hauteur de la Lune • qui se trouve comme je viens de dire ; est l’angle LCA.

Pour mesurer donc la parallaxe de la Lune ; • il faut observer à quelque heure • sa hauteur apparente sur nostre horizon visible FSE, scavoir l’angle LSE, ce qui se fait par le quart de cercle ou autre tel instrument, et mieux qu’autrement lors que la Lune est au meridien, parce qu’elle demeure quelque temps là sans changer sensiblement de hauteur. Ayant cette hauteur, (prenons que ce soit 30 degr[ez]) on suppute en suite pour l’heure que cette observ[ation] a esté faite l’angle LCA, qui soit de 30 degr[ez] 40 min[utes]. • Ces 40 min[utes] de difference font l’angle SLC, qu’on nomme parallactique. Car il est aisé de voir que cet angle SLC est celuy dont l’angle LCA, • c’est à dire CDS surpasse ESL ou DSL, • puis que DSL • et DLS pris ensemble egalent l’externe CDS par les elem[ents] d’Euclide. C’est que dans le triangle SLC estant connu • l’angle L et l’angle LSC, composé de LSE et de l’angle droit ESC ; et le costé SC ; où on calcule le costé CL, distance cherchée de la Lune au centre de la Terre.

Vous voiez donc Mons r la maniere de connoitre la parallaxe par • observation jointe au calcul • de l’angle d’elevation de l’astre sur l’horizon, et il ne faut qu’un mot • pour vous faire voir comment cette parallaxe sert à trouver la distance de l’astre. / 

J’ajoute encore que par la distance connue on suppute reciproquement la parallaxe pour toute elevation sur l’horizon visible, car dans le triangle SLC, les costés SC, CL estant donnez et l’angle CSL par observ[ati]on où on trouve l’angle SLC[,] on trouve encor plus facilement • quand l’astre • est dans le plan horizontal SE comme en E, l’angle SEC, parce que le triang[le] CSE est rectangle, aiant les costez CS, SE connus d’où l’on a d’abord SEC que l’on nomme la parallaxe horizontale c’est elle qui est la plus grande de toutes et qui ne se trouveroit pas bien par observation à cause des refractions pres de l’horizon. Il est evident au reste que cet angle SEC est le mesme sous lequel on voit le 1/2 diametre de la Terre lors qu’on est dans la Lune en E, estant • environ de 56 minutes dans la distance moyene. Et parce qu’à la mesme distance le 1/2 diam[etre] de de la Lune • nous paroit de 15 1/2 min[utes] il s’en suit que le diam[etre] de la terre est à celuy de la Lune comme 56 à 15 1/2. C’est à dire presque quadruple. Le grand usage des • parallaxes • est encore de trouver par leur moien la dista[nce] / des planetes au Soleil comparées à celle de la Terre au • Soleil. Car si dans la mesme figure le cercle SG represente l’orbe annuel de la terre autour du Soleil que • je suppose en C, et que Jupiter soit en L on appelle • son locus verus • ce lieu où on le verroit du soleil C et son locus visus celuy où il paroit de la terre. Et l’on connoit par observation dans le triangle LSC l’angle S, et par les tables astronomiques l’on suppute l’angle SCL, • par où le troisieme SLC est aussi dernier qui s’appelle parallaxes orbis magni. Et en suite l’on trouve la proportion entre LC et CS, • c’est à dire entre les distances du Soleil à Jupiter et à la Terre[.] • Ainsi l’on aprend dans le systeme copernicien la proportion de toutes les distances des planetes au Soleil comparées au demi diametre de l’orbe annuel de la Terre dont on ne pouvoit rien scavoir dans le systeme de la Terre immobile de • Ptolemée.

Je vous remercie tres humblement de vos bons souhaits • pour la nouvelle année[.] J’espere qu’elle vous sera autant et plus heureuse et suis avec zele Monsieur

Notes :

[1Huygens répond à la lettre de Bayle du 1 er janvier 1691 (Lettre 779).

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