[Rotterdam, le 13 avril 1691]

Au très éminent et très illustre Perizonius [1], Pierre Bayle envoie son salut.

Notre très éminent Teissier [2] me trouvant avant-hier sur son passage m’a réjoui en me montrant votre lettre [3] où il lui était recommandé de me saluer en votre nom et de m’informer que m’avait été envoyé un ouvrage que vous aviez très récemment fait mettre sous presse [4] ; certes un fascicule était resté longtemps en chemin mais on avait bon espoir de son arrivée prochaine. Je peux à peine et même pas à peine vous exprimer assez, très célèbre et très savant Monsieur, combien je me félicite que vous vouliez bien que j’aie une place parmi vos amis et que vous m’offriez aussitôt de chaleureux témoignages de votre bonne volonté à mon égard, fournissant comme cadeau matière à admirer et à lire avec le plus grand fruit en jouissant du plaisir apporté par votre esprit et par votre érudition. Et certainement vous qui aviez déjà la réputation d’être le principal ornement et la fleur des plus grandes productions de toutes ces régions et qui vous voyez maintenant honoré et enrichi d’un étonnant surcroît de réputation et d’estimation exceptionnelle, d’où vous êtes tombé dans une controverse des plus nobles avec un collègue célèbre [5], vos triomphes étant admirés de tous les bons juges de ces choses, alors même que le jugement d’un docte arbitre, la modestie, le brillant avec lequel vous accumulez une lecture exceptionnelle et l’érudition très vaste que vous manifestez dans tant de disputes recommencées n’ajoutent pas peu, excellent Monsieur, à votre gloire, car, comme notre maxime le veut, les opposés juxtaposés brillent d’autant plus. Moi-même je me déclare certainement être de ceux qui affirment que nulle heure n’est mieux employée que celles qui se passent dans la lecture de vos écrits érudits, de sorte que je vous remercie très vivement pour le présent que vous avez voulu me faire. Et je prie Dieu qu’il vous conserve longtemps saint et sauf et plein de vie pendant que vous entreprendrez énergiquement vos études et pour cette raison ne prendrez jamais assez soin à l’avenir de votre santé ; je prie Dieu, dis-je, de ne pas souffrir que vos veilles et labeurs si fructueux pour la République des Lettres fassent tort à votre santé. Je vous souhaite donc une santé d’athlète, et vous prie de continuer comme vous faites à m’aimer, moi qui, pour le dire en peu de mots, vous honore et vous aime.

Donnée à Rotterdam aux ides d’avril, style nouveau, 1691.

 

A Monsieur, Monsieur le professeur Perizonius à Franeker.

Notes :

[1Sur Jacob Voorbroek, dit Perizonius ou Accinctus (1651-1715), qui était depuis 1681 professeur d’histoire et de rhétorique à Franeker, voir Lettre 464, n.7. Il devait quitter Franeker pour l’université de Leyde en 1693 afin d’y occuper la chaire de grec, d’histoire et de rhétorique.

[2Antoine Teissier (1632-1715), avocat lettré et polygraphe, autrefois lié avec Conrart à Paris, réfugié au moment de la Révocation, était devenu historiographe du roi de Prusse : voir Lettres 191, n.10, et 405, n.11.

[3Cette lettre de Perizonius à Antoine Teissier nous est inconnue.

[5Sur la querelle de Perizonius avec son collègue Ulrich Huber (1636-1694), voir Th.J. Meijer, Kritiek als herwaardering. Het levenswerk van Jacob Perizonius (1651-1715) (Leiden 1971), p.73-83 : Huber était l’aîné de Perizonius et aimait se poser en patron. Perizonius supportait mal ces manières et, en 1687, une violente querelle éclata entre les deux savants quant à la signification du terme prætorium dans l’épître de saint Paul aux Philippiens, 1, 13 : selon Huber, ce terme signifie une salle d’audience impériale ; selon Perizonius, il s’agit plutôt d’une caserne ou de la tente d’un général militaire. La plupart des savants était de l’avis de Perizonius, et les Acta eruditorum consacrèrent un article à la querelle en mai 1691. Cependant, en 1694, peu de temps avant la mort de Perizonius, celui-ci devait être condamné par la cour de Friesland pour injure à l’égard de Huber : il est vrai qu’il avait peu d’égards pour son collègue. Voir DEDP, s.v. (art. de R. de Smet).

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