Lettre 813 : Henry Desbordes à Pierre Bayle

[Amsterdam, le 16 juillet 1691]

Monsieur [1],

Je suis fort surpris que vous n’ayez pas reçü ma reponse à vôtre premiere lettre [2]. Je suis sans autre aide qu’un petit étourdi de garçon qui apparemment l’aura perduë en la portant à la poste : ce qui n’arrive que trop souvent, et me gesne si fort que je ne puis sortir de la ville, quelque affaire que j’y aye. Je vous diray donc qu’on travaille en toute diligence à l’affaire en question [3]. Et pour plus grande diligence envoyez-moi toute la copie. Vous pouvez toujours compter que mon cœur et ma bouche sont d’accord, lorsque je vous ay marqué que mon devoir et mon inclination me mettoient en vos interêts. J’ay le malheur de n’oublier pas aisément les chagrins qu’on me fait : mais aussi je ressentiray* jusqu’à la mort les services que je reçoy, et suis toujours plein de reconnoissance lorsque je le doi. Je voi avec chagrin que vos meilleurs amis vous soupçonnent plus que jamais depuis la Cabale publiée [4]. Je souhaite avec une ardente passion que vos amis et vous puissiez détromper ceux qui donnent à gauche*. Je sçay bon gré à Messieurs de vôtre magistrat, qui me procurent par leur défense le plaisir de travailler pour vôtre justification. Je vous envoye la premiere feuille et suis tout à vos ordres
Henry Desbordes

Notes :

[1Cette lettre adressée par Henry Desbordes à Bayle a été interceptée par les amis de Jurieu : c’est ainsi qu’on en trouve une phrase citée dans l’ Apologie du sieur Jurieu pasteur et professeur en théologie, adressée au pasteurs et conducteurs des Eglises wallonnes des Pays-Bas (La Haye 1691, 4°), p.26, et le texte cité intégralement dans Le Philosophe dégradé (Amsterdam 1692, 12°), p.74-75, ouvrage de Robethon ou de Jennet (voir Lettre 808, n.1) qui parut entre le 13 et le 20 novembre 1691, comme en témoigne la lettre de Bayle à Pierre Sylvestre du 20 novembre 1691 (Lettre 831). Sur cette interception, Bayle s’exprime ainsi dans La Chimère de la cabale : « Cette lettre avoit été écrite à Mr Bayle, mais le s[ieu]r Jurieu la lui a volée avec les deux premières feuilles de ce livre qu’on lui envoïoit par la poste. C’est un attentat à la foi et à la liberté publique qui mériteroit punition, et si M. B[ayle] en avoit porté plainte aux juges, il en auroit fait repentir sa partie. Voïez comment il se sert dans ses démêlez du droit qu’il attribue aux souverains, que tout est permis et de bonne guerre contre un ennemi déclaré. On a mieux aimé le traduire au tribunal du public, qu’à celui des Messieurs les échevins. Qu’on sache donc que ce ministre qui fait le bigot, ne fait aucune conscience, petit particulier qu’il est, de se saisir des lettres d’autrui en violant la foi publique et le sacré dépôt de la poste ; de se prévaloir de ces lettres, de les produire dans le consistoire, et d’en imprimer ce que bon lui semble. » ( OD, ii.741a). Bayle revient sur ce vol dans sa réponse au Philosophe dégradé intitulée Avis au petit auteur des petits livrets (s.l. 1692, 12°), qui parut en décembre 1691 ( OD, ii.793a). E. Kappler signale que l’ Apologie de Jurieu déclencha une tempête de pamphlets : Henri Basnage de Beauval, Lettre à Messieurs les ministres et anciens qui composent le synode assemblé à Leyden le 2 e de may 1691 (citée par Des Maizeaux, Vie de Mr Bayle, p.LVI ; publiée en fac-similé dans Bayle, OD, v-2, p.347-356) ; Pierre Isarn, Réponse à l’« Apologie de M. Jurieu », par rapport à l’article 27 du sinode d’Amsterdam, qui a été revoqué par les explications contenues dans le 28 e article du synode de Leiden, à la requisition de quelques Eglises (Amsterdam 1692, 8°) ; Isaac Jaquelot, A Messieurs les pasteurs et conducteurs des Eglises wallonnes assemblées en synode à Naarden (La Haye 1691, 8° ; édition fac-similé dans Bayle, OD , v-2, p.465-474).

[2La lettre de Bayle à Henry Desbordes ainsi que la première réponse de Desbordes sont perdues.

[3D’après l’explication de Bayle (voir ci-dessus, n.1), « l’affaire en question » serait la publication de La Chimère de la cabale.

[4Les explications de Bayle dans La Cabale chimérique, par lesquelles il se défendait contre les accusations lancées par Jurieu dans son Examen, n’avaient apparemment pas convaincu ses amis. Ses ennemis profitèrent de cet avantage : voir Lettre 814.

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