Lettre 837 : Jacques Sartre à Pierre Bayle

A Londres, le 12 e de décembre 1691

J’ai hésité, Monsieur, si je devois répondre aux deux lettres que vous m’avez fait l’honneur de m’écrire [1], parce que je n’eusse pas voulu être nommé dans les différens que vous aviez avec Mr Jurieu ; cependant, comme c’est aussi contre mon intention qu’on a fait imprimer celle que je vous écrivois [2], et que je m’apperçoi bien aussi qu’il y a un endroit principal où j’eusse pû m’exprimer plus juste, je n’ai point de peine à vous avouer que lorsque j’ai dit qu’après votre départ de Puylaurens on sut que vous vous étiez allé jetter au convent des Jésuites à Toulouse, j’ai voulu dire que cela fut dit ainsi communement à Puylaurens, et crû de même de tout le monde, et je vous avouë aussi que depuis que je n’avois point ouï dire que cela n’eût point été ainsi précisement, ni par conséquent regardé comme une chose fort différente, qu’aïant abandonné notre Religion vous ne fussiez allé aux Jésuïtes que comme externe pour y prendre vos leçons. Si avant que de vous avoir écrit ce que j’en avois crû comme plusieurs autres qui sont ici, j’eusse scû que vous ne disconveniez pas du dernier, mais seulement de l’autre, vous n’eussiez point ouï parler de moi sur l’un ni sur l’autre, et je ne voudrois pas que mon témoignage pût être étendu au delà de ce qui se trouveroit bien avéré.

Pour ce qui est des autres petites circonstances, du tems qu’il y pourroit avoir eu depuis que vous aviez été à Toulouse, jusqu’à ce que je vous vis à Geneve, et du lieu particulier où nous parlames ensemble la premiere fois, que ce fut trois ans, ou moins, chez Madame Clergeat ou ailleurs, quand ce seroit ma mémoire qui m’auroit trompé en cela, plûtôt que vous la vôtre, la chose seroit de si peu de conséquence pour vous aussi bien que pour moi, qu’elle ne méritoit pas à mon avis toute la plaisanterie qu’il a plû à votre apologiste d’en faire [3]… puisque vous ne demeurez pas d’accord d’avoir écrit vous-même la réponse qui me fut écrite de Toulouse, je n’ai garde de l’assûrer, n’en aïant aucune certitude, et bien loin de vouloir avoir aucune part dans ces sortes de démélez, qui ne peuvent qu’affliger ceux de notre communion, j’ose vous supplier de contribuer de votre part tout ce que vous pourrez pour les faire cesser, et avec cela de me croire, votre.

Notes :

[1Ces deux lettres de Bayle à Jacques Sartre ne nous sont pas parvenues : voir Lettre 826, n.1, et 831, n.1.

[2Voir la lettre de Sartre à Bayle datée du 6 octobre 1691 (Lettre 826), publiée dans Le Philosophe dégradé en défense de Jurieu, et la réponse de Bayle dans La Chimère de la cabale, in fine, « Addition », OD, ii.787a-788b. Sur l’échange entre Bayle et Sartre, voir aussi Lettres 831 et 832.

[3L’« apologiste » est Bayle lui-même : dans La Chimère de la cabale, son ton est en effet très ironique à l’égard du témoignage de Sartre.

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