[Gouda, le 13 janvier 1692]

A Pierre Bayle, à Rotterdam

Mon parent Wolters, imprimeur d’Amsterdam [1], m’a écrit avoir mis sous presse les Analecta Veteris et Novi Testamenti de Doughti [2], et vouloir enrichir ceux-ci [de l’apport] d’un autre auteur du même genre, de sorte qu’ils endossent visiblement des vêtements nouveaux pour ainsi dire ; et pour cette raison il a imploré mon aide, qu’il m’était impossible de lui offrir. Je lui refuserais à vrai dire mon secours parce que je n’arrive pas à me figurer ce qui conviendrait à sa méthode d’écrire. Satisfaction sera faite à sa demande [que] vous révéliez en effet votre opinion jusqu’ici inconnue, sur ce qui ne vous semble pas avoir été examiné ces derniers jours. Les Observationes sacræ de Colomies [3] mises en regard de la série des pages sacrées peuvent ne pas sembler inutiles, mais celles-là sont par trop brèves et ont davantage en vue la critique. Les Observations que Knatchbull a [4] insérées aux lieux appropriés du Nouveau Testament seront accompagnées de celles d’autres auteurs dont les annotations ne sont pas sans originalité. Mais en ce qui concerne les illustrations, il en exige qui puissent être utiles et servir d’ornement. Si vous en connaissez, très docte Monsieur, j’aimerais que vous m’en avertissiez à votre première convenance, vous vous attacherez ainsi par un grand bienfait non seulement la République des Lettres mais moi-même et mon imprimeur. Dans nos cercles, nous autres, comme vous le savez, nous éclaircirions à demi certaines choses qui ne sont pas d’une qualité à être comparables, ni d’un mérite à être associées, aux écrits d’hommes si érudits.

Je ne doute nullement que vous n’ayez reçu le Gallia Orientalis de Colomiès [5], mais des autres livres qui vous ont été indiqués [6], je regrette de ne pas pouvoir tirer de ma bibliothèque même un seul, ce qui est un indice non léger de l’insuffisance de nos ressources. Je me plains en outre de ce que vous, même sans le très éminent Basnage, ne puissiez partir seul en excursion ; j’embrasserais très librement l’un ou l’autre, mais vous alléguez tellement que vos livres ou vos études vous empêchent d’être ailleurs pendant deux ou trois jours. Lâchez les liens – les chaînes – d’ Alexandre Morus [7] et je crois qu’il se fera que quand vous viendrez j’irai le cœur léger à votre rencontre. J’ai pris quelque note des livres que je voudrais que nous examinions ensemble, ce que je renvoie au moment de votre arrivée ; en attendant, je voudrais que l’occasion se présente d’annoter les choses qui regardent notre projet [8] – et de m’aimer très ardemment.

Donnée à Gouda, Pays-Bas, aux ides de janvier 1692

Notes :

[1Johannes Wolters (1655/56-1715). Van Almeloveen était cousin de la femme de Wolters, Susana van Waesberge : voir I.H. van Eeghen, De Amsterdamse boekhandel, 1680-1725 (Amsterdam, 1960-1978, 5 vol.), iii.185-188.

[4Sur Norton Knatchbull, théologien anglais, auteur des Animadversiones in libros Novi Testamenti paradoxæ orthodoxæ (Londini 1659, 8°), voir Lettre 302, n.15. La traduction anglaise devait paraître en 1693 sous le titre : Annotations upon some difficult texts in all the books of the New Testament (Cambridge 1693, 8°).

[5Bayle avait demandé à Almeloveen de lui envoyer cet ouvrage de Colomiès : voir Lettre 843, n.25.

[6Voir la liste des ouvrages que Bayle voulait lire dans sa lettre du 24 décembre 1691 (Lettre 843).

[7Les chaînes du travail d’érudition. Sur Alexandre Morus, voir Lettre 888, n.2 et 5.

[8Le projet semble être l’ouvrage dont Bayle commente les épreuves dans sa lettre du 24 décembre 1691 (Lettre 843) : la nouvelle édition de l’ouvrage de Deckherr, De libris adespotis, avec une postface de Bayle.

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