Lettre 853 : Pierre Bayle à Gilles Ménage

A Rotterdam le 28 e de janv[ier] 1692

Monsieur
Je n’ai jamais eu autant d’esperance que presentement de voir les Mescolanze sous la presse de Monsieur Leers [1]. Il se vouloit donner l’honneur de vous ecrire lui meme pour vous asseurer que vous serez content, et qu’il ne differera pas meme jusqu’à la conclusion de l’ouvrage qu’il a en main, le commencement du votre, mais un grand nombre d’occupations où les libraires de ce pays se voient reduits par dessus l’ ordinaire* au mois de janvier à cause qu’ils reiglent leurs comptes entre eux, l’a empeché de le faire. Il m’a seulement chargé de vous asseurer de ses très humbles respects. Dès que la premiere feüille des Mescolanze sera imprimée, nous vous l’enverrons par la poste.

Au reste / Monsieur, ce n’est pas sur les eloges des gens de lettres que je voudrois travailler ; il y a tant de gens qui l’ont fait, que je ne crois pas qu’on doive en multiplier le nombre. Le dessein que j’ai formé [2] est un peu différent de celui là, mais il ne demanderoit pas moins d’eclaircissemens sur quantité de faits qui paroissent en plusieurs livres. Il n’y a point d’ouvrages plus utiles pour ce dessein là que tous ceux que vous avez donnez au public ; c’est pourquoi je les cherche avec empressement[.] J’ai écrit à Monsieur Graevius pour celui que vous m’avez indiqué [3] et je l’attens dès que nos canaux seront libres, car depuis long tems la glace empeche la navigation d’une ville à l’autre. Je ne sai si je pourrai trouver en toute la Hollande votre Histoire de Sablé que l’on m’a dit etre remplie d’une infinité de recherches tres curieuses [4]. En un mot Monsieur le dessein que j’ai pourroit etre converti en un bon livre si un autre que moi l’entreprenoit dans une ville comme Paris où il trouveroit toutes sortes de livres, et un oracle parlant tel que vous qui lui en aprendroit plus en une heure que les bibliotheques en une sepmaine.

Je prendrai la liberté de / vous consulter quelquefois, et ainsi vous ne sauriez plus douter de la sincerité avec laquelle je vous souhaitte une ferme santé et une heureuse mémoire avec tous les autres dons de votre plume jusqu’à ce que vous aiez atteint pour le moins l’age du Pere Sirmond [5]. Je ferois ce souhait avec zele et ardeur, quand meme je n’aurois pas l’honneur d’etre aimé de vous ; quel doit etre donc mon zele dans ce voeu là lors que je puis me flatter que vous agreerez mes importunitez.

Je suis Monsieur votre tres humble et tres obeissant serviteur
Bayle

Encore un coup ce billet pour Monsieur Larroque [6].

A Monsieur / Monsieur Ménage au Cloitre / Notre Dame / A Paris

Notes :

[1Sur cet ouvrage de Ménage, sous presse chez Reinier Leers, voir Lettres 726, n.11, 727, n.2, et 736, n.1.

[3Sur cet ouvrage de Ménage, que Bayle avait demandé à Graevius, voir Lettre 846, n.4.

[5Ménage, né le 24 août 1613, avait alors 78 ans ; il allait mourir le 23 juillet 1692. Bayle lui souhaite de vivre aussi longtemps que le Père jésuite Jacques Sirmond (1559-1651), professeur au collège de Clermont en 1581 (du temps où François de Sales y était élève), secrétaire du supérieur général de la Compagnie de Jésus, Claude Acquaviva, pendant seize ans à partir de 1590, assistant de Baronius dans la composition de ses Annales, éditeur de sources chrétiennes en grec et latin et des actes de conciles de France, confesseur de Louis XIII à partir de 1637. Le souhait de Bayle ne devait donc pas se réaliser.

[6Aucune lettre de Bayle à Larroque ne nous est parvenue avant celle du 11 juin 1693.

Accueil| Contact | Plan du site | Se connecter | Mentions légales | icone statistiques visites | info visites 261348

Institut Cl. Logeon