Lettre 892 : Pierre Bayle à Gaston de Bruguière

A Rotterdam, le 13e octobre 1692

Je ne separerai point de papier, Monsieur mon tres cher cousin ce que je vous ecrirai, de ce que j’ecrirai à notre cher Mr de Naudis [1]. J’en use ainsi afin que le paquet vous coute un peu moins de port : je vous rends un million de remerciemens de tous les témoignages de votre tendre amitié pour moi, et je vous supplie de ne douter pas que la mienne ne soit pour vous tres ardente.

Je vous reïtere ici ce que je vous avois dit, et marqué dans ma precedente [2], c’est qu’il m’est impossible de vous envoier quoi que ce soit par la voye de la mer ; car il ne faudroit que me voir demander s’il part quelque vaisseau en secret pour l’isle de Ré, et si je ne pourrois pas y mettre un paquet pour faire tenir à nos refugiés entetés du faux prophete Jurieu qu’il a eu raison de dire que j’entretiens un commerce* criminel avec les ennemis de cet Etat [3][.] Nous avons ici des gens si ombrageux et qui ne sachant que faire ne s’occupent qu’à espionner, à medire, à empoisonner tout ce qu’ils observent, qui pour leur ôter / toute prise, et tout prétexte de me calomnier, je m’abstiens de tout commerce de lettres, et me tiens enfermé dans mes livres, ce qu’il faudroit que je fisse par la seule raison du livre que j’ay promis au public, et qui demande une application extraordinaire [4] : à mon tres grand regret, donc, mon cher cousin je ne puis vous envoïer mes petits ouvrages, tant que la guerre durera ; et je vous prie de relire ma precedente, où vous verrez plus au long de quoi n’etre pas surpris que j’ay le plaisir de vous ecrire si rarement.

Je n’ay pu retrouver les lettres que j’ay reçeu[es] de vous [5] avant mon demenagement du mois de mai dernier [6]. Je crains d’avoir oublié à repondre à quelque chose que vous me demandiez ; tous mes petits papiers se confondirent, et je n’ay pas eu le tems encore de les debroüiller.

J’embrasse ma chere cousine votre femme et lui souhaitte comme à vous, et à vos enfans si vous en avez [7] (car c’est ce que vous ne m’aprenes pas) toutes sortes de benedictions temporelles, et spirituelles surtout. Adieu, mon t[res] cher cousin ; je suis tout à vous. Ce qui suit est pour le frere. Je crains qu’il n’y ait eu une de mes lettres interceptée ; faites moi savoir si vous en avez receu une depuis celle du 22 e may [8].

 

A Monsieur / Monsieur Boutet / Marchand à Saint Martin de Ré /à l’Isle de Ré

Notes :

[1La lettre à Jean Bruguière de Naudis est la Lettre 893.

[2La dernière lettre de Bayle à son cousin Gaston de Bruguière est celle du 11 août 1692 (Lettre 881), mais il n’y était pas question des difficultés du transport maritime de Rotterdam à l’île de Ré par temps de guerre ; au moins une lettre s’est perdue.

[3Sur cette accusation de Jurieu, voir Lettres 808, n.54, 812, n.2, et 835, n.8.

[4Le DHC, promis dans le Projet : voir Lettre 864.

[5Toutes les lettres du cousin de Bayle sont perdues.

[6Sur le déménagement de Bayle au Wijnhaven, voir Lettre 865, n.8.

[7Nous ne connaissons pas le nom de l’épouse de Gaston de Bruguière et ne savons pas s’il avait des enfants.

[8Lettre 866. Gaston de Bruguière avait reçu celle du 28 août 1692 (Lettre 882).

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