[Rotterdam, le 15 janvier 1693]

Au très illustre et très savant Monsieur Théodore Jansson Almeloveen, Pierre Bayle adresse son salut.

Le retour opportun de votre fascicule [1] qui me guérit de la blessure infligée par votre départ [2] est aussi la raison pour laquelle je vous suis encore plus reconnaissant que d’habitude et plus qu’on ne saurait dire, ami très cher et le plus prompt à me combler de ses bienfaits. J’ai lu avec la plus grande avidité non seulement les oraisons funèbres et en ai extrait ce qui m’était utile, mais j’ai lu aussi l’introduction de Vogler et les additions de Meibom, qui vraiment m’ont grandement plu. J’ai reconnu avec grand plaisir aux marques que vous avez laissées dans les marges avec quelle application vous avez lu ce livre et combien vous êtes homme probe et attentif à l’essentiel en matière littéraire. Rien ne vous échappe parmi les choses qui peuvent être tirées de cet ouvrage et servent à orner et à compléter une bibliothèque grandissante et prometteuse. Bravo pour cette vigilance attentive. Autant vous vous appliquez très utilement pour moi avec une telle abondance de ressources tirées de votre bibliothèque exceptionnelle, autant j’aimerais faire de même pour vous voire plus pour les ouvrages que vous préparez. J’ai vu ce que Meibom pense des lettres sorties de la bibliothèque de Thuemarus et écrites à Goldast il y a longtemps [3] ; j’ai fortement envie de feuilleter cet ouvrage. J’ai vu Priolus [4] cité p. 64 et au même endroit la marque durable de vos ongles. J’ai l’édition allemande de son histoire de France intitulée Depuis la mort de Louis XIII, à laquelle est ajouté un catalogue des livres que l’auteur promettait ; si vous désirez l’avoir, parlez, prononcez un seul mot, je vous l’enverrai. D’ailleurs, de peur qu’il n’y ait trop de retard alors que j’attends l’occasion, j’utilise le bateau pour vous envoyer ce fascicule. Le coût ne sera pas beaucoup plus élevé que pour une lettre qu’autrement je vous aurais écrite pour faire savoir que j’ai récemment appris de Teissier qu’il s’est déplacé à Berlin et va y recevoir des émoluments du sérénissime Electeur de Brandebourg qui lui permettront de traduire en français l’histoire de feu l’Electeur écrite en latin par Puffendorf [5]. J’ai passé vos lettres à Basnage [6] et à de Mey [7]. Mes meilleurs compliments à votre vénérable mère, à votre beau-père [8], aux Messieurs de Mey et Fabre [9].

J’ai déjà demandé à bon nombre d’amis ici s’ils avaient ou non l’ Optatum Milevitanum avec les notes de Méric Casaubon [10], mais je ne l’ai trouvé chez aucun d’entre eux ; je continuerai à chercher, mais rien ne pourrait me faire plus de plaisir, homme très cher en même temps que très distingué, que de vous confirmer ma considération et mon dévouement. Quant aux oraisons funèbres que, dans votre générosité, vous m’offrez [11], je les ai sauf les suivantes : Heidanus sur Spanheim ; et Berkringer sur Daniel Voet et Antoine Æmilius ; et Grævius sur Moreelsius et Diemerbroek. Puis dans quelques jours quand vous en aurez l’occasion, ayant reçu le livre qui est à Harlem [12] (c’est-à-dire l’ Histoire des professeurs de Helmstadt), envoyez-le avec les autres, je vous en prie instamment.

Je vous souhaite une santé d’athlète. Continuez à m’aimer comme vous faites, moi qui vous aime ardemment.

Donnée à Rotterdam le 15 janvier 1693.

Notes :

[1Almeloveen venait de prêter à Bayle un ouvrage qu’il décrit comme « l’introduction de Vogler avec les notes de Meibom avec l’adjonction de certaines oraisons funèbres » : voir Lettre 904, n.2.

[2Almeloveen venait de rendre visite à Bayle à Rotterdam : voir Lettres 897 et 904, n.1.

[3Les remarques de Meibom se trouvent dans la deuxième édition de l’ouvrage de Vogler, Introductio universalis (Helmstadii 1700, 4°), p.156 (voir Lettre 904, n.2). Elles portent sur un ensemble de lettres publiées sous le titre : Virorum clarissimorum et doctorum ad Melchiorum Goldastum epistolæ, ex Bibliotheca Henrici Günteri Thülemarii (Francoforti et Spiræ 1688, 4°).

[6Nous connaissons la lettre d’ Almeloveen à Jacques Basnage du 10 janvier 1693, éd. M. Silvera, n° XXXVI, lettre à laquelle Basnage répondit le 13 janvier ( ibid., n°XXXVII) ; la lettre à laquelle Bayle fait ici allusion doit donc être la réplique d’Almeloveen à cette dernière réponse de Basnage : elle est perdue ; elle devait porter, comme les deux précédentes, sur la traduction anglaise par Meric Casaubon des Méditations de l’empereur Marcus Aurelius Antoninus, dont la cinquième édition venait de paraître à Londres (London 1692, 8°), comportant la biographie de l’empereur annotée par André et Anne Dacier.

[7La lettre d’ Almeloveen à Willem de Mey nous est inconnue : sur celui-ci, juriste et conseiller municipal de Rotterdam, fils du ministre de Gouda, voir Lettre 851, n.5.

[8Theodorus Janssonius van Almeloveen (1657-1712) était le fils d’un pasteur de Mijdrecht, Joannes van Almeloveen, et de son épouse, Maria Janssonius, fille du libraire amstellodamois Johannes Janssonius. En 1687, il épousa Aletta Catharina van Immerzeel, fille du bourgmestre de Gouda, qui mourut lors de l’accouchement de sa fille en octobre 1689. Malgré l’insistance de ses amis, il ne se remaria jamais. Sa mère habita chez lui jusqu’à sa mort en 1703. Le beau-père salué par Bayle est donc le bourgmestre de Gouda, Joannes van Immerzeel. Voir S. Stegeman, Patronage and service. The network of Theodorus Janssonius van Almeloveen (1687-1754) (Amsterdam, Utrecht 2005), p.14-20.

[9Il s’agit sans doute d’Antonius Fabre, qui devint, en 1687, directeur de l’Ecole latine de Gouda, où résidait Almeloveen à cette époque. Voir S. Stegeman, Patronage and service, p.325, n.181.

[10Sur cet ouvrage, voir Lettre 904, n.14.

[11Pour la liste des ces oraisons funèbres, voir Lettre 904, n.3-10.

[12Il s’agit de l’ Histoire des professeurs de Helmstadt : voir Lettre 904, n.11.

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