Lettre 942 : Pierre Bayle à Claude Nicaise

[Rotterdam,] le 17 e de sept[embre] 1693

Je continuë, Monsieur, à vous sup[p]lier de remercier Monsieur de La Monnoye [1] des remarques que vous m’avez envoiées [2] : le Menagiana corrigé sur ses bons avis [3] sera quelque chose de bon ; personne ne penetre comme lui dans les fautes les plus imperceptibles.

J’ai vu avec beaucoup de plaisir les recherches qu’il a faites sur le commencement de l’année des Allemans au siecle passé ; je n’ai pu encore pousser la chose plus loin ; mais je suis persuadé qu’encore qu’ils commenceassent autrement que Jules Cesar Scaliger, ou au 1 er de janvier, ou au jour de Noel, la difficulté ne subsiste plus, car en l’un et en l’autre cas leur mois de janvier 1535 est eloigné de • 12 mois plus ou moins du mois de janvier 1535 de Scaliger ; celui cy conte janvier 1534 lors qu’ils content janvier 1535 et ainsi du mois de fevrier et de mars, jusques à Paques. Apres Paques ils peuvent compter avril 1535 les uns et les autres, mais lors que Scaliger sera parvenu à son janvier 1535 les autres seront à janvier 1536. Voila comment la lettre d’ Erasme / Ad Merbeliu[m] et Laurentiam a pu etre datée du 18 mars 1535 et Scaliger a pu dire le 31 janvier 1535 qu’il y avoit fait des reponses [4].

Je suis bien aise d’ap[p]rendre que la premiere edition de Cælius Rhodiginus soit de Venise en 1516 [5][ ;] Erasme ne marque que l’edition de 1517 mais l’intervalle est si petit de l’une à l’autre qu’il ne sauroit fournir de fondement au soupcon de Morhoffius [6].

Je m’estimerois le plus heureux du monde si je pouvois consulter souvent un [o]racle aussi seur et aussi etendu dans ses curieuses et exactes connoissanc[es] que Monsieur de La Monnoye, dont je suis depuis long tems l’admirateur et le tres humble serviteur[.]

Notes :

[1La lettre est adressée à l’ abbé Nicaise mais elle est formulée de façon à pouvoir être relayée directement à Bernard de La Monnoye.

[2La lettre de Nicaise et les remarques de Bernard de La Monnoye ne nous sont pas parvenues. Bayle « continue » à remercier La Monnoye, car il avait commencé à recevoir ses remarques et à l’en remercier au mois d’avril 1693 (Lettre 923).

[3Une nouvelle édition des Menagiana, la première sous son titre français, Menagiana, ou bons mots, rencontres agréables, pensées judicieuses et observations curieuses de M. Ménage, venait de paraître (Paris 1693, 12°) ; elle devait être rapidement piratée aux Provinces-Unies (Amsterdam 1693, 12°). Une deuxième édition, parfois attribuée à Pierre-Valentin Faydit (Faydit de Riom), devait sortir l’année suivante (Paris 1694, 12°, 2 vol.) ; celle de La Monnoye, corrigée et augmentée, ne devait paraître que bien des années plus tard (Paris 1715, 12°, 2 vol.). Voir aussi Lettres 929, n.7, 933, n.11.

[4Opus epistolarum Des. Erasmi Roterodami, éd. P.S. Allen, H.M. Allen et H.W. Garrod (Oxford 1906-1958, 12 vol.), xi.107-108, lettre 3005 : comme l’explique P.S. Allen dans l’annotation de cette lettre d’Erasme, elle fut publiée pour la première fois par Jules-César Scaliger dans sa seconde Oratio contre Erasme : Contra Desid. Erasmum Roterodamum Oratio II (Parisiis 1537, 4°), dont les exemplaires sont extrêmement rares, puisque Joseph-Juste Scaliger déclare qu’il en a détruit tous ceux qu’il a pu découvrir : voir Scaligeriana (Lugduni Batavorum 1668, 12°), p.105. Jean Le Clerc, dans son édition D. Erasmi Roterodami Opera omnia emendatiora et auctoria, cum notis (Lugduni Batavorum 1703-1706, folio, 10 vol.), se servit de l’édition publiée par Raymond Colomiez à Toulouse en 1620 sous la date de 1621 (Tolosæ 1621, 4°), qui est sans doute celle que Bayle a eue entre les mains. L’incohérence apparente des dates citées par Bayle découle, en effet, du décalage entre les calendriers de la France et de l’Allemagne.

[6Le deuxième tome du Polyhistor de Morhof avait paru l’année précédente : voir Lettre 891, n.52. Il s’agit de Lodovico Ricchieri, plus connu sous le nom de Ludovicus Cælius Rhodiginus (1469-1525), précepteur de Jules-César Scaliger et auteur des Antiquæ lectiones, dont la première édition avait paru, en effet, à Venise en 1516 publiée par Alde Manuce (voir la note précédente) et qui comptent de nombreuses éditions ultérieures. Bayle relève l’erreur de Morhof dans l’article du DHC consacré à Erasme, rem. CC : « Je ne pense pas qu’on ait raison de dire que Cælius Rhodiginus accusa Erasme d’être plagiaire. Erasme se plaint un peu de Cælius Rhodiginus, en le louant pourtant beaucoup ; il s’en plaint, dis-je, à cause qu’il avoit remarqué dans le volume des Leçons antiques quelques traces de cette ingratitude d’auteur, qui fait qu’on profite des travaux d’autrui, non seulement sans l’avouer, mais même avec de mauvaises intentions à l’égard de celui qu’on dépouille. Et comme d’ailleurs il ne se plaint point que Rhodiginus l’ait accusé d’aucun vol, j’ai quelque penchant à croire que le savant M. Morhof a pris l’un pour l’autre, quand il a dit que Rhodiginus fit un petit procès à Erasme, comme si celui-ci lui avoit dérobé quelques pensées concernant les adages (Morhof, Polyhistor, p.252). »

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