Lettre 952 : Jacques Alpée de Saint-Maurice à Pierre Bayle

[Maastricht, début novembre 1693 [1]]

Vous n’aures que ces deux mots aujourd’hui des affaires impreveues m’accablent au depart du courrier[.] Le P[ère] Adam [2] de qui nous pourrons vous dire quelque historiet[t]e une autrefois vint reconnoitre le voisinage d’Ardenne pendant cinq ou six mois auparavant que d’y tendre les tabernacles mais il n’y vint tout de bon que dans le temps que je vous ai marqué et n’essaya de nous oster nostre college que depuis la mort de M. le marechal [3][ ;] ce fut alors qu’il • nous declara la guerre. Ce fut alors qu’il supposa des mensonges pour nous arracher notre college [4][ ;] ce fut alors qu’il acheta de dix mille livres qu’on lui donna pour le redimer une maison aupres de la boucherie qu’il convertit en • college[.] / Ce fut alors qu’il fit imprimer son projet de reunion [5] qu’il presenta au Roy, et auquel je repondis par un examen imprimé dont on lira huit cens exemplaires dont il ne m’en reste qu’un seul [6], et ce fut quelques années apres que les siens propres demanderent qu’on l’envoyast ailleurs et qu’il passa à Bordeaux où il est mort.

Notes :

[1L’écriture permet de reconnaître l’auteur de la présente lettre (classée parmi celles de Du Rondel). Elle fournit d’ailleurs des renseignements sur l’activité du Père Adam à Sedan dont Bayle remercie Jacques Alpée de Saint-Maurice par l’intermédiaire de Du Rondel dans sa lettre du 13 novembre 1693 (Lettre 953). La lettre de Bayle du 4 décembre (Lettre 957) mentionne un billet de Saint-Maurice qu’il qualifie de « compliment de bonne amitié » : c’est là une lettre distincte de celle-ci et qui ne nous est pas parvenue.

[2Bayle consacre un article du DHC au jésuite Jean Adam (1605-1684), qui entra dans la Compagnie de Jésus en 1622.

[3Le maréchal Abraham Fabert (1599-mai 1662). Fabert fut un protégé du duc d’Epernon. En 1635, il devint aide de camp du cardinal de La Valette, commandant de l’armée de Lorraine, et se distingua pendant la retraite de Mayence, puis en Flandre. Il suivit en Italie le cardinal de La Valette, qui l’appréciait beaucoup. Il était « une créature du cardinal », selon les termes de Tallemant des Réaux, mais il « était bien dans l’esprit du roi ». En 1642, après avoir refusé de participer au complot de Cinq-Mars, il reçut du roi le gouvernement de la principauté de Sedan, enlevée au duc de Bouillon : Fabert le conserva jusqu’à sa mort. Pendant la première guerre de Paris et lors de la fuite de Mazarin à Cologne, Fabert garda à Sedan « les nièces et les écus de ce cardinal », dont l’amitié lui avait été procurée par Léon Bouthillier, comte de Chavigny, un intime de Fabert. Pendant la retraite de Mayence, il avait fait la connaissance de Robert Arnauld d’Andilly, ami du cardinal de La Valette, et c’est ce qui fit que, en 1657, Fabert reçut sous ses ordres Jules Arnauld de Villeneuve, appelé familièrement « le petit Jules », le plus jeune des fils de M. d’Andilly. Après avoir reçu les premières leçons militaires de Louis de Pontis, retiré à Port-Royal-des-Champs, le jeune homme, âgé de vingt-trois ans, partit pour l’armée sous le commandement du maréchal comme enseigne colonel de son régiment : il mourut peu après, dès sa première campagne, en décembre 1657. Dans les années 1656-1657, Abraham Fabert entretint une longue et copieuse correspondance avec Arnauld d’Andilly au sujet des Lettres provinciales et des questions théologiques débattues à l’époque. Il résidait dans le quartier de Saint-Merry et intervint à plusieurs reprises en faveur du curé « janséniste » Henri Duhamel. Dans le gouvernement de Sedan, Fabert montra de grandes qualités d’organisateur et d’administrateur. Approuvé dans son action par le cardinal Mazarin, il refusa le grand cordon du Saint-Esprit, que Louis XIV voulait lui donner en 1661. Il n’avait pas, disait-il, les quatre quartiers de noblesse demandés pour cette distinction : selon un propos retenu dans le Recueil de choses diverses, « Il disait partout qu’il était fils d’un libraire ». Voir Dictionnaire de Port-Royal, s.v. (art. de J. Lesaulnier).

[4Voir Bayle, DHC, art. « Adam, Jean » : « Il fut envoyé à Sedan, afin d’y établir un college de jésuites. Il en seroit difficilement venu à bout, pendant la vie du maréchal Fabert, l’homme du monde le moins bigot, et le plus ferme sur le principe de la bonne foi. Ceux de la Religion se trouvoient fort à leur aise sous son gouvernement ; les choses changèrent après sa mort. Ils furent inquiétez en mille manieres par ce jésuite, et obligez de paier des sommes, et de céder des fonds, qui lui donnérent moyen d’établir le college qu’il méditoit. Il publia un projet, auquel Mr de Saint-Maurice, professeur en théologie à Sedan, opposa une réponse, qui demeura sans repartie. Il demeura quelques années à Sedan, et y avança les affaires de son ordre, et le projet des conversions, autant qu’il put. Mais enfin les puissances mêmes se degoutérent de lui, et, soit que l’on redoutât son esprit hardi et intriguant, soit que l’on vît que sa maniere de prêcher n’avoit pas toute la gravité requise dans un lieu où il y avoit une académie de protestans ; on fut bien aise que ses supérieurs le retirassent : j’ai même ouï dire qu’on en fit quelques instances. » ( in corp.).

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