Lettre 960 : Pierre Bayle à Gaston de Bruguière

• A Rotterdam le 28 de dec[embre] 1693

Nous nous ecrivions en meme tems, Monsieur mon tres cher cousin sur la fin de l’eté passé, et je pense que vous recutes ma lettre en meme tems que moi la votre [1] ; depuis ce tems là je n’ai ap[p]ris rien de l’etat de votre santé, ni de celle du cher frere [2], et de la parenté, et il est arrivé un grand changement dans ma fortune, comme apparemment ma belle sœur vous l’aura fait savoir, car je lui en ai ecrit il y a plus d’un mois ou de six sepmaines [3]. Vous verrez un petit detail de cela dans la lettre que j’ecris au cher cousin de Naudis sur le revers de ce feüillet [4].

J’ai seu par votre lettre mon cher cousin que vous avez changé de garnison pendant la campagne derniere, et eté malade. J’en ai eu bien du chagrin, et j’ai fait bien des vœux pour le rafermissement de votre santé. Les chaleurs qui ont eté excessives à ce que vous m’ap[p]renez dans ces quartiers* ont eté sans doute cause des maladies qui ont regné, et de la mauvaise recolte dont la France a eté affligée. Nous avons eu ici un eté un peu plus chaud qu’à l’ordinaire. Mais au reste ap[p]renez moi je vous prie si la cherté des vivres est si grande dans le pais d’Aunix, dans la Guyenne et dans le Foix, que nos gazettes de Hollande la font à Paris et dans les provinces de decà la Loire. Ces gazettes font des peintures affreuses de la famine qui desole à ce qu’elles pretendent, la France [5], et qui fait qu’il y a eu des meres qui ont mangé leurs propres enfans. Je ne crois pas aisement tout ce que nos gazetiers publient, parce qu’ils sont bien aises de remplir les peuples d’esperance, et de leur faire attendre que la famine et la misere du roiaume contraindra le roi de France à demander la paix comme à genoux, et qu’ainsi il ne faut pas ecouter les propositions de paix qu’il pourra faire, jusques à ce qu’il soit reduit à la necessité d’offrir la carte blanche.

J’ai vu ces jours passez le sieur Caldairou de Sabarat cavalier au regiment de Ruvigni (on le nomme Galloïcai) qui fut pris prisonnier à la bataille de Ner-winde. [6] Je lui demandai s’il avoit ap[p]ris des / nouvelles pendant sa prison des officiers du pays, de mon cousin votre frere de Marracous [7], de Mons r de Cabanac [8]. Il me dit qu’on l’avoit asseuré que ce dernier avoit eté à l’action et n’avoit pas eté blessé. C’est tout ce qu’il me peut aprendre. Il a quitté le service et passe en Angleterre, pour al[l]er de là en Irlande. Mr Bayze [9] y est depuis long tems avec sa famille, et s’y porte bien.

Je vous souhaitte et à ma chere cousine votre epouse une bonne et heureuse année, avec plusieurs autres, et toute sorte de dons de Dieu spirituels et temporels. Tout à vous mon cher cousin ; ce qui suit est pour le cher frere.

Notes :

[1Voir les lettres de Bayle à Gaston de Bruguière et à Jean Bruguière de Naudis du 10 septembre (Lettres 939 et 940). La lettre de Gaston de Bruguière à Bayle est perdue.

[3Marie Brassard, veuve de Jacob Bayle. La lettre de Bayle à sa belle-sœur ne nous est pas parvenue.

[4La lettre à Naudis : Lettre 961.

[5Voir J. Cornette, Chronique du règne de Louis XIV (Paris 1997), p.402, et M. Lachiver, Les Années de misère : la famine au temps du Grand Roi (Paris 1991). Sur ces souffrances, pas un mot dans la Gazette.

[6Il s’agit apparemment du parent des Bayle que nous connaissions sous le surnom de Cadaichou : voir Lettre 77. Sur les Ruvigny , anciens députés généraux des Eglises réformées de France, voir Lettres 47, n.8, 449, n.2, et 464, n.2. Sur la bataille de Neerwinden, voir Lettre 936, n.8.

[7Bruguière de Marracous est sans doute le frère aîné de Gaston de Bruguière, Charles, qui avait pris le nom de Bruguière de Ros après la mort de son père François en 1682, voir Lettres 134, n.34, et 912, n.22.

[8Sur Michel Bruguière de Cabanac, voir Lettre 427, n.60.

[9Bayle avait demandé la protection de Gilbert Burnet et d’ Alexandre Cunningham pour son cousin Jean de Bayze, qui était parti pour l’Irlande au service de Guillaume d’Orange : voir Lettres 722, n.1, 737, n.2, 839, n.2, et 912, n.21.

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