[Rotterdam, le 15 avril 1697]

A l’homme très illustre et à l’excellent ami Théodore Jansson Almeloveen, Pierre Bayle adresse son salut.

Puisque, si l’on fait abstraction de l’espoir et de la confiance donnée [1], nous n’avons pas souvent la possibilité de nous expliquer en présence l’un de l’autre, souffrez très cher ami, que je vous écrive. Est-ce qu’en quelque manière vous avez déjà pensé à votre départ pour Harderwijk ? Est-ce que par hasard vous prononcerez un discours inaugural magistral [2] ? Je ne supporte pas facilement d’ignorer ce qui touche à vous et à vos propres affaires.

J’ai vu dans le Journal des savants que notre Chauvin [3] écrit qu’à Berlin il y avait de l’espoir au sujet de votre ouvrage sur les femmes savantes [4], mais à condition que cet ouvrage s’intitule édition des lettres des femmes savantes. Je crains que l’idée initiale de votre projet ne soit trahie. Quoi qu’il en soit, je voudrais vous demander si vous avez jamais vu les lettres italiennes de Lucrèce de Gonzague [5], une femme non seulement d’une noblesse très ancienne, mais encore très illustre par son esprit et par son goût des Belles Lettres. Elle a vécu au siècle précédent, et ses lettres furent publiées à Venise en 1552. Si jamais vous recueillez des informations à son sujet, faites que je le sache.

Je vous demande avec insistance, cher ami, que dès que vous pourrez vous priver du livre de Monsieur Chevillier sur L’Origine de l’art de l’imprimerie [6] et des deux volumes d’ Hilarion de Coste [7], vous me les envoyiez. En effet, je m’absorbe à nouveau tout entier dans le travail, et je presse autant que je peux la suite de mon Dictionnaire, qui ne me demandera pas moins d’effort que la première édition, autant que je puisse en juger. Pour ce qui regarde les dissertations que vous ont remises vos amis allemands [8], et que j’ai désormais chez moi, je ferais en sorte que vous en receviez une avec les paquets que Leers vous envoie d’Angleterre [9] quand le [...] du marchand viendra. Mais je vous demande par avance de ranger ces dissertations dans un endroit de votre bibliothèque où vous pourrez facilement les retrouver, parce que je vous les réclamerai une nouvelle fois quand j’en aurai besoin. En effet, on peut encore avoir l’occasion ou le loisir de tirer de celles-ci des éléments qui pourront être utiles.

Portez vous bien, et aimez-moi toujours comme vous le faites.

Donnée à Rotterdam le 17 e jour avant les Calendes de mai 1697.

 

A Monsieur / Monsieur d’Almeloveen / Docteur en medecine / A Tergou

Notes :

[1Bayle rappelle à Almeloveen sa promesse de venir le voir à Rotterdam : voir Lettres 1221.

[2Sur le déménagement d’ Almeloveen, qui venait d’être nommé professeur à l’université de Harderwijk, et sur sa conférence inaugurale, voir Lettre 1231, n.1.

[3Sur ce périodique, imprimé à Berlin, voir Lettre 716, n.7.

[4Voir le Nouveau journal des savants d’ Etienne Chauvin, novembre-décembre 1696, p.552 : « Les libraires parlent d’entreprendre d’imprimer des lettres de femmes scavantes que le célébre et curieux Mr Almeloveen a recueillies. » Sur ce projet d’ Almeloveen, voir Lettres 1146, n.12, et 1253, n.2. L’ouvrage projeté ne fut pas publié, mais des textes préparatoires ont été conservés parmi les papiers d’Almeloveen à la bibliothèque de l’université d’Amsterdam, ms 880 I B 51-82 : voir S. Stegeman, Patronage and service, p.576-577.

[6Sur cet ouvrage d’ André Chevillier, voir Lettre 1045, n.1.

[7Sur cet ouvrage d’ Hilarion de Coste, où Bayle puisait des détails sur les femmes érudites, voir Lettres 1051, n.2, 1121, n.6, 1123, n.4. et 1173, n.5.

[8Il s’agit apparemment des dissertations De legione fulminante, que Bayle attendait d’Allemagne selon sa lettre du 2 octobre 1696 : voir Lettre 1163, n.13.

[9Bayle évoquera de nouveau des ouvrages envoyés d’Angleterre dans sa lettre du 6 mai (Lettre 1253), mais toujours sans citer de titre. Il s’agit sans doute des Casauboniana, ouvrage qui devait être envoyé à Almeloveen par l’intermédiaire de Reinier Leers par un certain Smith, pasteur à Londres, mais qui, en fait, ne devait paraître que bien des années plus tard : voir Lettre 1221, n.8.

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