Lettre 31 : Pierre Bayle à Vincent Minutoli
Je suis bien aise, mon cher Mons r de ce que vous m’aprenez que les conferences interrompues par l’absence de Mr de Rocole [1] s’en vont reprendre leur 1er train. Pleut à Dieu* etre asses heureux pour y pouvoir assister toutes les sepmaines ! car je ne dout[e] nullement que je n’y fisse un tres grand profit, cognoissant le savoir et la belle literature* de celuy qui y preside [2], et les rares lumieres de tous vous autres mess[ieu]rs qui y parlez. Je trouve encore que vous choisisséz tout à fait bien vos matieres, et il me paroit fort digne de votre jugement que vous veuilliez vous entretenir sur les philosofes grecs. C’est un sujet assez vaste et asses fertile ; mais qui •peut étre mieux debrouillé par l’ industrie* d’un habile homme, qu’il ne l’est naturellement. Il me semble que Vossius qui a fait un traitté des filosofes [3], ne satisfait pas de la bonne sorte la curiosité des lecteurs : Car si je ne me trompe, il n’est rien dequoi l’on soit plus curieux sur ce chapitre que de savoir quand se sont formées les differentes sectes*, quels en ont eté les tenans, et par quels moyens elles se sont propagées dans le monde. Or c’est ce que Vossius a negligé de nous eclaircir, je ne sai pourquoy.
La plus generale division qu’on ait accoutumé de faire de toutes les sectes des filosofes, est de les distinguer en ceux qui croyoient avoir trouvé la verité, ceus qui croyoient qu’elle ne se pouvoit pas trouver, et ceus qui ne croyans pas l’avoir trouvée, la cerchoient pourtant toute leur vie [4]. Les premiers etoient de gens fort decisifs et plus resolus que Bartole [5] : ils fuyoient la neutralité et l’equilibre entre deux opinions probables, et ne manquoient jamais de prendre parti. On les nomma dogmatiques à cause de cela. Tels ont eté les aristoteliciens, les stoiciens et les epicuriens. Les seconds qui etoient les academiciens voulant prendre le contrepied des autres, allerent trop avant, et sans y penser, tomberent dans le piege qu’ils avoient voulu tant fuir. En effet quiconque determine positivement qu’il n’y a p[oin]t de sciance et q[ue] la verité ne se peut trouver, pose dés là un dogme et admet à tout le moins une sciance. Aussi arriva t’il que les troisiemes, à savoir les pyrrhoniens ou les sceptiques, se trouvans pressés par cette objection que l’on leur faisoit à tout propos, prirent le party de ne s’expliquer pas si fortement, et se contenterent de dire qu’on pouvoit douter de tout, meme de cette proposition qu’ils venoient d’avancer. Ils en demeuroient toujours à un cela peut etre, mais il ne faut pas tant se presser •d’aller à l’affirmative ; cerchons mieux, car jusques icy le procez n’est pas assez instruit pour etre jugé en dernier ressort. Enfin si on les pressoit d’en venir au jugement de la cause, ils concluoient toujours à un plus amplement enquis et n’opinoient jamais qu’avec le non liquet [6]. Ils se tiroient admirablement de la chicane de leurs adversaires qui vouloient conclure de cette proposition, on peut douter de tout[,] qu’ils posoient doncques affirmativem[en]t quelque chose ; ils s’en tiroient dis je en • soutenant que leur proposition etoit aussi sujette à la loy gener[ale] du doute que les autres propositions, et qu’elle ressembloit à une medecine qui s’en va dehors avec les mauvaises humeurs qu’elle chasse. Outre que dans leurs principes qui dit qu’il ne sait rien, nie de savoir cela meme qu’il ne sait rien
An sciri possit quo se nil scire fatetur [7]
Lucret[ius],
de sorte que cette proposition, on peut douter de tout, ne doit pas etre rangée dans la categorie de celles que les logiciens appellent se ipsas falsificantes [8], lesquelles ils n’enveloppent jamais dans la these generale, de peur de contradiction. Par exemple quand on dit, je mens toujours ; si on n’excepte pas cette fois que l’on parle ainsi, l’on tombe dans une contradiction manifeste. Car s’il est vrai que celui qui parle mente toujours ; au moins en cette rencontre qu’il avouë qu’il ment toujours, il ne ment pas : et par consequent il se contredit luy meme. D’autre coté, s’il n’est pas vrai qu’il mente toujours la proposition par laquelle il dit qu’il ment toujours, sera fausse. C’est pourquoi les logiciens ont fort bien etabli q[ue] quand on se sert d’une façon de parler comme celle là, on doit considerer le reste de la vie sans avoir aucun egard à la proposition même qu’on employe. Mais il n’en va pas ainsi dans le principe des pyrrhoniens. Ils pretendent que leur grand axiome, on peut douter de tout, soit compris tout le premier dans la regle generale, et qu’en meme tems qu’il detruit toute sorte de sciance, il se detruise lui meme, comme fait un barril de poudre qui fait sauter une tour [9].
Au reste si on examine bien la chose on trouvera que le parti des dogmatiques n’a pas eté le plus fort. Car pour ne pas dire qu’en general tous les platoniciens ont tenu pour cette suspension de jugement qui fait q[ue] nous gardons l’equilibre entre le pour et le contre ; qui ne sait que les principales sectes en quoi s’est divisée l’echole de Platon, ont eté ennemies du dogme ? Arcesilas [10] ne s’ecarta de la commune doctrine de l’Academie que parce qu’il n’y trouvoit pas à son gré asses d’indifference ; et qu’on ne s’y etoit pas asses formellem[en]t declaré contre l’alternative de croire une chose ou fausse ou vraye. Cela l’obligea de fonder la seconde Academie où il enseigna tout sec qu’il n’y avoit rien de certain ni meme de veritable dans la nature. Carneades [11] qui vint depuis luy, et qui fit branche avec Lacides, dans la succession de l’ecole platonique adoucit un peu et relacha la severité d’ Arcesilas ; toutefois il a eté si flottant dans ses opinions, qu’il n’a eté rien moins que partial pour les dogmatiques. Pour Sextus Empiricus qui fit encore une autre branche sous les Antonins, on sait qu’il a ecrit en faveur du pyrrhonisme, qu’il a expliqué les 10 moyens de l’ epoche, et montré comment les sceptiques s’acheminent à l’ ataraxie [12], qu’ils disent etre le fruit bienheureux de leurs douttes. Enfin nous avons encore de fort beaux livres qu’il a composé contre les mathematiciens (c’est ainsi qu’il appele les dogmatiques). En un mot nous pouvons mettre tous les academiciens du cot[é] qui est diametralement contraire aux philosophes affirmatifs et quand nous y aurons joint les sceptiques je ne sai pas trop bien qui l’emportera.
De plus on remarque que les plus grands ho[mm]es des autres sectes ont panché au pyrrhonisme. Car pour ne toucher pas à ces derniers siecles* où un Michel de Montagne, un La Mothe Le Vayer [13] l’ont ouvertem[en]t soutenu, et le docte Mr Gassendi [14] couvertement[,] ne sait on pas que Pherecides le pere de tous les philosofes et le tronc d’où sont sorties toutes les diverses branches de ce grand corps, ecrivant à son cher disciple Thales peu avant que de mourir, luy parle en ces termes. « J’ay ordonné à mes heritiers apres qu’ils m’auront enterré de vous aporter mes ecrits. Si vous et les autres sages vous en contentez, vous les pourrés publier, sinon supprimés les. Ils ne contiennent aucune certitude qui me satisface à moi meme ; aussi ne fai je pas profession de savoir la verité ni d’y atteindre, j’ouvre les choses plus que je ne les decouvre » [15]. Socrate[,] quelque bon temoignage que l’oracle eut rendu de luy, repondit à ceux qui luy demandoient ce qu’il savoit, unum scio quod nihil scio [16]. Democrite l’un des plus grans ho[mm]es de son tems a soutenu que la verité etoit cachée au fons d’un puits ce qui n’est pas fort contraire à ceux qui tiennent l’incomprehensibilité [17].
Ciceron a eté pour le moins aussi changeant en matiere de filosofie, qu’en matiere d’etat, et il alloit de secte en secte cerchant partout quelque probabilité, aussi bien qu’il changeoit de party dans les affaires de la republique. Au reste peu decisif.
dit il quelque part. En plusieurs autres endroits il declare à ses auditeurs que pourveu qu’il raisonne probablement, ils se doivent contenter, et ne pretendre à rien davantage.
Tusculan[æ] l. I 9
Et pour montrer qu’il ne prenoit pas de son chef la probabilité pour la borne de notre intelligence, il nous assure dans le 1er livre des Questi[ons] academiques qu’il suivoit en cela la bonne et sage Antiquité,
Et au 1 er livre De la nature des dieux il parle ainsi
Le grand s[aint] Augustin a eté un peu touché de la maladie academicienne, et s’il en faut croire Mr Daillé [22], il s’est fait un grand tort et s’est beaucoup oté de l’estime que l’on devroit avoir de son esprit, par une certaine maniere de raisonner flottante et peu affirmative. De verité il ne faut pas trouver etrange q[ue] tant de gens ayent donné dans le pyrrhonisme car c’est la chose du monde la plus commode. Vous pouvez impunement disputer* contre tous venans, et sans craindre ces argumens
Cicero De orat[ore]
Je ne dis rien de mon grand autheur Horace[,] encore qu’il ait eté un vrai coureur de sectes et qu’il ne se soit acharné* nulle part ; parce que l’exemple d’un poëte, monté sur • le cheval Pegase qui vole par tout le monde, ne sert p[oin]t de loy au sujet dont nous parlons. Autrement j’avouë qu’il seroit de grande efficace*, car il ne faisoit pas comme ceux qui ayant eté une fois poussez dans un party quel qu’il soit, s’y attachent pour toute leur vie,
Nullius addictus jurare in verba magistri,
Quo me cunque rapit tempestas deferor hospes.
Nunc agilis fio, et mersor civilibus undis,
Virtutis veræ custos, rigidusque satelles :
Nunc in Aristippi furtim præcepta relabor,
Et mihi res non me rebus submittere conor [25] .
Hor[atius] Epist[olarum]
Lucrece n’avoit pas seu à cent fois pres si bien qu’ Horace, se servir du privilege de la poesie. Car il s’est borné à la secte d’Epicure, et a si bien suivi ses vestiges qu’il ne s’en est detourné ni à droitte ny à gauche. Il adore le chef de sa secte ; il le regarde comme un soleil aupres de qui tous les autres filosofes ne sont que de petites etoiles
Præst[r]inxit stellas exortus ut ætherius sol [26] .
Et si le bon homme eut seu qu’un jour son heros seroit decrié dans le monde, je ne doutte pas que pour luy conserver son honneur, il n’eut supposé quelque oracle maudissant celuy qui luy manqueroit de respet ; ou du moins semblable à celuy qu’ Apollon prononcea en faveur d’ Aratus, dont voici une partie de la belle version d’ Amiot
Ce personnage, ou en est marri, peche
Contre la terre et le haut firmament
Contre le Ciel aussi ensemblement [27].
Ce qui ne lui auroit pas eté de peu de service envers la posterité, sur tout si on y eut joint une inscription de la force de celle qu’on fit pour le meme Aratus
Qu’a fait cet homme à l’honneur de la Grece
Sont aprochans des colomnes jumelles
Dont Hercules borna ses œuvres belles [28].
Je m’etonne qu’il n’ait pas meme employé cette lezine*, car il pouvoit avoir apris que le grand Fabrice n’avoit pas fait un trop bon jugem[en]t d’Epicure lors qu’entendant • conter à Cyneas qu’il y avoit un excellent philosophe en Grece qui soutenoit que le souverain bien de la vie consistoit dans la volupté, il luy repondit en soûriant, plut aux dieux que Pyrrhus et les Samnites fussent de l’opinion de ce philosophe tant que nous aurons la guerre avec eus [29].
Mais que dites vous, Mr, des pythagoriciens ? ne m’avoüerés vous pas qu’ils etoient bien eloignez de l’independance d’un Ciceron, eux qui ne croyoient pas q[ue] ce fut vivre que de se departir de la secte de Pythagore, d’où vient qu’ils faisoient les funerailles de ceux qui l’abandonnoient [30] ; eus encore qui pour croire les choses les plus choquantes n’avoient besoin que d’un
Je ne dois pas passer sous silence l’erreur d’ Ovide d’avoir fait Pythagoras contemporain de N[uma] Pompilius [34]. Il seroit facile de prouver par mille raisonnemens que ce philosophe vint s’etablir en Italie du tems de Tarquinius Priscus, apres avoir quitté l’île de Samos où il etoit né, parce qu’elle etoit tyrannisée par Polycrate, et apres etre venu etudier en l’île de Lesbos sous Pherecydes. Il eut d’autant plus de facilité d’etablir une secte en Italie, qu’il y trouva quantité de villes de fondation grecque, Tarente, Crotone, Metapont[,] Locres, la ville des Sybarites si renommée pour sa mollesse, etc. Quoi qu’il en soit sa secte est devenue tres florissante, et a eté soutenue par de grands noms, par un Architas de Tarente, un Parmenide, un Zenon Eleate inventeur de la logique, un Philolaus etc.
Le fils de Pythagore nommé Telauges a eté moins illustre, par luy meme que par un excellent disciple qu’il a elevé, je veux dire Empedocle, cet illustre Agrigentin de qui l’on a fait un beau conte disant qu’il s’etoit precipité dans les flames du mont Ætna pour s’eriger en Dieu ; dequoi il auroit eté frustré parce q[ue] ses pantoufles qui ne furent pas consumées le trahirent malheureusement. C’est ce qu’on disoit parmi les rieurs, mais Mr Le Fevre [35] relance ce mechant conte, et fait voir qu’Empedocle etoit plus honnete homme et plus raisonnable qu’on ne s’imagine quand on s’arrete à cette fable. Pour l’illustre Damo fille de Pythagoras il seroit à souhaitter qu’elle eut elevé ce Brutus qui a chassé Tarquin le Superbe, comme Mr de Scudery l’a feint si •vraisemblablement dans sa
de combien croyez vous que soit plus agreable une leçon q[ui] sort d’une belle bouche ? et ne m’accorderez vous pas que tout ce qu’il y a naturellement de rude dans le precepte, s’adouciroit s’il nous etoit dit par une professeuse dont nous admirerions la beauté ? asseurement elle convertiroit les epines du college en fleurs
Mais revenons à Mr de Scudery. Il faut avoüer que cet ingenieux autheur s’est tout à fait à propos servi de ce qu’il a rencontré Pythagoras dans le siecle de son heroïne. Il n’a eté obligé à aucun anachronisme. Il est vrai qu’il n’a pas suivi la chronologie de Vossius [40] qui fait vivre Pythagoras jusques à la 70 e olympiade, c’est à dire jusques aux premiers consuls de Rome, mais son roman n’en vaut pas moins pour tout cela.
Pour la secte de Platon et d’ Aristote qui ont fait ou font encore tant de bruit par toute la terre ; je n’en pourrois rien dire qui ne se trouve dans l’excellent ouvrage que le P[ere] Rapin a donné au jour, de la comparaison de ces 2 gran[d]s chefs de parti. C’est pourquoi je me contenterai de remarquer l’agreable fantaisie que se mit dans l’esprit l’empereur Gallien et l’imperatrice Salonine, de permettre à Plotin d’etablir le gouvernem[en]t dont Platon avoit donné l’idée dans ses livres de La Republiq[ue] en une ville d’Italie qu’ils luy donnerent po[ur] en faire l’essai [41]. Ce dessein n’eut garde de reussir comme il est facile de se l’imaginer. Car je croi que pour en venir à bout il faudroit aller en quelque lieu du monde où les hommes fussent d’une autre espece que ceux que nous connoissons. Il faudroit aller au pays des romans où non seulem[en]t les moindres palais surpassent celuy de l’Alambre [42], et où on voit les plus beaux jardins et les plus charmans paysages que l’on se p[e]ut imaginer : mais aussi où on ne voit que de gens bien faits, spirituels, genereux, liberau[x] et parfaitem[ent o]rnez de toutes les vertus imaginables. C’est là que Plotin auroit peu remplir les idées de Platon, et etablir l’utopie de Thomas Morus [43] si elle eut eté en nature. Mais tandis qu’on ne trouvera pas le secret de rendre les hommes si achevez qu’il seroit difficile à un poete d’en faire de plus accomplis ; il y a toutes les apparences du monde que la rep[ublique] de Platon demeurera ideale. Que je m’imagine de contentem[en]t pour Caton s’il avoit peu gouverner la republique que Plotin auroit etablie. Je croi qu’il y auroit bien fait ses chous gras, luy qui sans considerer la corruption de Rome y opinoit toujours co[mm]e s’il eut vecu dans la republiq[ue] platonique. Nocet interdum reipublicæ, (dit Ciceron, beaucoup plus facile à s’humaniser que luy) dicit enim tanquam in Platonis Politei/a non tanquam in Romuli fæce sententiam Cicer[o]
Je sais bien que l’auteur de l’ Hex[ameron] rustique n’a point peu souffrir que Mr de Balzac ait expliqué le vers de Virgile au sens que j’ay dit [48]. Mais quelque savant qu’il puisse etre, voire plus savant que Balzac, je le defierois de soutenir sa critique si Mr de Balzac revenoit au monde. Je finis mon tres cher Mr en vous demandant pardon de ma long[u]eur, mais sur tout de ce que je me dispense* si familierement à m’ecarter de mon sujet avec vous qui avés l’esprit si juste et si delicat. J’avois commencé cette lettre avec le dessein de parler un peu par ordre des philosophes grecs, mais quand je me suis mis à la relire j’ay trouvé que je n’en parle qu’à batons interrompus. Cela vient sans doutte* d’un fort mauvais principe et je trouve de jour en jour que je ne donne pas mal dans le defaut de Montagne qui est de savoir quelquefois ce que je dis, mais non jamais ce que je vay dire [49]. Le mal est qu’il y a ici plus que Montagne[,] c’est à dire cent autres imperfections qui rendent insupportable ce que le savoir et le bel esprit de Montagne fait excuser fort facilement.
Je suis tout en[tiere]ment v[ot]re tres humb[le] etc.
Notes :
[1] Sur les « conférences », voir Lettres 27, p.147, et 30, p.182.
[2] Il s’agit de Pierre Fabri.
[3] Gérard Jean Vossius, De philosophia et philosophorum sectis libri II (Hagæ Comitis 1658, 4 o). Dans le DHC, Bayle tentera d’être plus précis, voir « Arcesilas », « Carneade », « Lacyde », « Pyrrhon », « Zenon d’Elée ».
[4] Bayle s’inspire de Montaigne, Essais ii.xii.225-26, qui cite Sextus Empiricus, Hypotyposes pyrrhoniennes, i.i. Sur cette question, voir C.B. Brush, Montaigne and Bayle, variations on the theme of skepticism (The Hague 1966).
[5] Bartole (1313/1314-1357), jurisconsulte italien qui s’efforça de faire revivre le droit romain ; ses opinions étaient formulées d’une manière si catégorique que l’expression était devenue proverbiale.
[6] « impossible de conclure ». Bayle s’inspire à nouveau de Montaigne, Essais, ii.xii.225-26 : voir aussi Sextus Empiricus, Hypotyposes pyrrhoniennes, i.vii.
[7] Lucrèce, De la nature des choses, iv.469-70 : « Qui pense qu’on ne sait rien, ne sait même pas s’il est possible de savoir cela, étant donné qu’il avoue ne rien savoir. » Bayle cite peut-être d’après Montaigne, Essais, ii.xii.226. Montaigne, cependant, écrit quisquis et non quisque. Les éditions modernes de Lucrèce portent si quis (au lieu de quisque) et quum (au lieu de quo).
[8] Pedro Hurtado de Mendoza, qui, dans son Universa philosophia (1617) (Lyon 1624, folio), p.32, appelle ces propositions propositiones falsificantes et dit qu’elles se détruisent elles-mêmes. La formule « je mens toujours » figure parmi les propositions citées par Hurtado. Voir aussi Cicéron, Académiques, ii.xxix, et DHC, « Philetas », rem. E, et « Euclide », rem. D.
[9] L’image est, bien entendu, moderne. Dans l’Antiquité, on proposait celle de la purge, voir Diogène Laërce, Vies et doctrines des philosophes de l’Antiquité, ix.xi.76.
[10] Sur Arcésilas (316-241), fondateur de la nouvelle Académie, voir Cicéron, Académiques, I.xii.43-45, et DHC, « Arcesilas ».
[11] Bayle semble s’inspirer ici de l’ouvrage de René Rapin, La Comparaison de Platon et d’Aristote (Paris 1671, 12 o), iv.1, p.160 ; sur Carnéade, voir aussi DHC, « Carneade » et « Lacyde ».
[12] Sextus Empiricus, Hypotyposes pyrhonniennes, I.xiv, expose les dix moyens de l’ epochè, ou suspension de jugement, mais c’est certainement de seconde main que Bayle en parle ici ; voir aussi Diogène Laërce, Vies et doctrines, IX.xi.70. L’ ataraxie est un état de sérénité parfaite, liée à la suspension du jugement : voir Montaigne, Essais, II.xii.226-27 et 333-34. Dans son ouvrage intitulé Contre les dogmatiques, Sextus réfute successivement les tenants des diverses sciences.
[13] Dans les ouvrages dont il s’avouait l’auteur, La Mothe Le Vayer se présentait comme un disciple de Montaigne et de Charron, mais l’influence du scepticisme est surtout évidente dans ses Dialogues à l’imitation des Anciens par Orasius Tubero (Francfort 1604 [1630], 8 o ; éd. B. Roche, Paris 2015).
[14] Pierre Gassendi (1592-1655), chanoine de Digne et, à partir de 1645, professeur au Collège royal, se donna pour tâche de réhabiliter l’atomisme épicurien. Bayle fait peut-être allusion au premier ouvrage de Gassendi, Exercitationum paradoxicarum adversus Aristoteleos libri septem (Gratianopoli 1624, 8 o), qui est d’inspiration pyrhonnienne, mais il y a tout lieu de croire qu’à la date de cette lettre il ne connaît ce philosophe que par ouï-dire. Sur Gassendi, voir O. R. Bloch, La Philosophie de Gassendi : nominalisme, matérialisme et métaphysique (La Haye 1971), M. Messeri, Causa e spiegazione : le fisica di Pierre Gassendi (Milano 1985), et B. Brundell, Pierre Gassendi : from Aristoteleanism to a new natural philosophy (Dordrecht, Boston 1987) ; T.M. Lennon, The Battle of the Gods and Giants. The legacies of Descartes and Gassendi, 1655-1715 (Princeton 1993).
[15] Voir Diogène Laërce, Vies et doctrines, i.xi.122.
[17] Ce mot est attribué à Démocrite par Diogène Laërce, Vies et doctrines, ix.xi.72.
[18] Voir Cicéron, De la divination, ii.3 : « Je parlerai, mais sans rien affirmer, je m’enquerrai de tout, doutant le plus souvent, et me défiant de moi », cité par Montaigne, Essais, ii.xii.224.
[19] Bayle combine des passages tirés de deux ouvrages de Cicéron : voir Tusculanes, I.ix : « Je ferai de mon mieux pour expliquer ; ce ne sera pourtant pas à la façon d’un Apollon Pythien, dont les mots seraient décisifs et intangibles ; mais comme un homme faible qui formule des conjectures probables » ; et Timæus, viii.13-15 (traduit de Platon, Timée, xxix D) : « il faut, en effet se rappeler que moi qui parle et vous qui jugez nous ne sommes que des hommes, de sorte que, si l’on dit des choses probables, nous ne devons pas chercher plus loin ». Montaigne cite aussi ces passages de Cicéron, mais sans les combiner : voir Essais, ii.xii.232-33, d’où Bayle les tire apparemment, puisque, comme Montaigne, il écrit dans la seconde citation ut au lieu de quasi et nihil au lieu de ni quid.
[20] Voir Cicéron, Académiques, i.xii.44 : « Presque tous les Anciens ont dit qu’on ne peut rien connaître, rien comprendre, rien savoir ; que la sensibilité est bornée, l’intelligence faible, la vie courte. »
[21] Voir Cicéron, De la nature des dieux, i.11-12 : « Tout est soumis à la controverse et rien n’est jugé ouvertement dans cette philosophie établie par Socrate, reprise par Arcésilas, perfectionnée par Carnéade et qui fleurit encore à notre époque. Nous sommes de ceux qui pensent qu’à la vérité se mêlent toujours quelques erreurs, et cela d’une façon si trompeuse qu’on n’y voit aucun caractère positif pour juger ou pour adhérer sans réserve. » Bayle cite ici de suite deux passages qui ne se suivent pas chez Cicéron ; en outre il remplace confirmata par consummata, et viguit par viget.
[22] Jean Daillé, Traicté de l’employ des saincts Peres pour le jugement des differends, qui sont aujourd’hui en la religion (Genève 1632, 8 o), ii.iv.393.
[23] Voir Cicéron, De l’orateur, ii.xviii.67 : « On dit qu’ Arcésilas rejetait tout jugement de l’esprit et des sens et que le premier – d’ailleurs c’était là un procédé socratique – il adopta comme méthode, non point d’établir son opinion, mais au contraire de prendre celle qu’avaient énoncée les autres et de la discuter. » Bayle a supprimé une incise de cinq mots et remplacé quem, par Arcesilam.
[24] Voir Cicéron, Académiques, ii.iii.8 : « Portés comme par la tempête vers n’importe quelle secte, ils s’attachent à elle ainsi qu’à un rocher », passage cité par Montaigne, Essais, ii.xii.228.
[25] Voir Horace, Epîtres, i.i.13-19 : « Tu vas peut-être me demander quel est mon chef, et sous quelle autorité je m’abrite : or, je ne me suis lié à aucun maître, je n’ai prêté serment à personne, je me laisse conduire où me mène l’état du ciel ; mais même là, je ne suis qu’en passant. Tantôt je vis dans l’action et me baigne dans la politique, j’observe rigoureusement et pratique la vraie vertu ; tantôt, au contraire, je me laisse retomber sans avoir l’air de rien, dans la philosophie d’ Aristippe, et essaie de soumettre les faits à ma volonté, au lieu de me laisser dominer par eux. » Bayle remplace subjungere par submittere.
[26] Voir Lucrèce, De la nature des choses, iii. 1043-44 : « [ Epicure] qui par son génie s’éleva au-dessus de l’humanité et plongea dans l’ombre tous les autres sages, comme dans les régions de l’éther, le soleil levant éteint les autres étoiles », passage cité par Montaigne, Essais, ii.ii.216. Les éditions modernes portent restinxit au lieu de praestrinxit.
[30] Bayle s’inspire du texte de La Mothe Le Vayer sur les pythagoriciens, De la vertu des payens (Paris 1642, 4 o), p.217-18, et Œuvres (1662), i.642-43, où l’auteur cite Jamblique, De vita pythagorica, xxxv ; et Protrepticus, xiv.
[31] « Lui-même [le maître] [l]’a dit. »
[32] Sur le voyage de Platon en Italie, voir Rapin, La Comparaison de Platon et d’Aristote, i.2, p.27.
[33] Simon Goulart (1543-1628), pasteur à Genève de 1566 à sa mort, fut un compilateur et un éditeur infatigable. En particulier, il a procuré une édition de Plutarque, dans la version d’ Amyot, en ajoutant aux Vies racontées par Plutarque celles de plusieurs autres Anciens, dont celles d’ Epaminondas et de Philippe de Macédoine, ainsi que celles de « neuf excellens chefs de guerre, prises du latin d’Æmilius Probus », c’est-à-dire de Cornelius Nepos (Paris 1587, 8 o, 4 vol.). C’est sans doute cette édition – qui fut souvent réimprimée – que Bayle a consultée, car, le 4 juillet 1672, il entama un « Abregé des Vies illustres de Plutarque », où figurait un résumé de la vie d’ Epaminondas : voir L. Nedergaard, « Manuscrits de Pierre Bayle », Modern language notes, 73 (1958), p.37. Les détails que donne ici Bayle viennent de cette « Vie d’Epaminondas », i-iii, Les Vies des hommes illustres (s.l. 1613, 8 o, 2 vol.), ii.1042-46.
[34] Voir Ovide, Pontiques, iii.iii, 44 ; le poète reprend une tradition qui faisait de Numa Pompilius un disciple de Pythagore, tradition déjà rejetée par Cicéron et Tite-Live, pour d’évidentes raisons de chronologie. Bayle suit Tanneguy Le Fevre, « Vie d’Empédocle », Les Vies des poetes grecs en abbregé (Paris 1665, 12 o), p.74 ; il reviendra sur cette question dans DHC, « Pythagoras », rem. B.
[35] Voir Tanneguy Le Fevre, « Vie d’ Empédocle », p.74-78.
[36] Voir [ Madeleine de Scudéry], Clélie, histoire romaine (Paris 1656-1661, 8 o, 10 vol.), iii.ii.1, p.187.
[37] D’Arete, nous savons seulement qu’elle fut fille d’un philosophe et mère d’un philosophe, nommés tous les deux Aristippe : voir Diogène Laërce, Vie et doctrines, II.viii.72, qui ne dit pourtant pas qu’Arete tînt école après la mort de son père. Il y a une allusion à la fille d’Aristippe dans Tanneguy Le Fevre, La Vie d’Aristippe, traduite du grec de Diogène Laërce (Paris 1667, 12 o), p.36 : « une fille admirablement bien faite et capable des plus hautes spéculations », mais aucune allusion à son école. Nous n’avons pu trouver la source de cette anecdote des disciples amoureux d’Arete, mais elle a l’air d’être tirée d’un romancier plutôt que d’un historien.
[38] Virgile, Enéide, v.344 : Bayle donne à la ligne précédente sa traduction de cette formule ; Virgile a écrit
[39] Perse,
[40] Voir Gérard Jean Vossius, De historicis græcis libri IV (Lugduni Batavorum 1624, 4 o), iv.ii, p.348. En fait, Vossius suit Diogène Laërce en faisant vivre Pythagore à l’époque de la 60 e Olympiade et non à celle de la 70 e, quarante ans plus tard.
[41] Voir Porphyre, Vita Plotini, xii (nous remercions K. Coleman de nous avoir fourni cette référence) ; pourtant Bayle s’inspire plus immédiatement de Rapin, La Comparaison de Platon et d’Aristote, iv.3, p.190.
[42] L’Alhambra est le palais des rois maures à Grenade, une des villes privilégiées par le roman héroïque depuis la publication de la traduction française du roman de Gines Perez de Hita, Histoire des guerres civiles de Grenade (Paris 1608, 8 o). Il est possible que Bayle s’inspire ici du roman d’ Antoine Furetière, Le Roman bourgeois (Paris 1666, 8 o), car le romancier raille également le peu de vraisemblance des romans qui se déroulent « dans la galante et romanesque ville de Grenade » : voir Romanciers du dix-septième siècle, éd. A. Adam, p.904. Bayle reviendra sur l’invraisemblance romanesque dans les Nouvelles lettres critiques, xxi.iv-vii.
[43] « Utopie » (qui veut dire « nulle part ») est un néologisme tiré du grec, forgé par Thomas More (1478-1532) pour baptiser une société imaginaire où régnerait la raison, et donc l’équité et le bonheur : Libellus vere aureus nec minus salutaris quam festivus de optimo rei[publicæ] statu, deque nova insula Utopia (Lovanii 1516, 4 o). L’énorme succès de l’ouvrage dans toute l’Europe et sa traduction en langues vernaculaires depuis le milieu du seizième siècle en rendirent si familier le titre qu’il finit par devenir un nom commun. Au seizième siècle, il fut traduit en français par Jehan Le Blond, La Description de l’isle d’Utopie où est comprins le miroer des republicques du monde (Paris 1550, 8 o), et au siècle suivant Samuel Sorbière en procura une traduction française nouvelle, L’Utopie de Thomas Morus (Amsterdam 1643, 24 o). Voir le commentaire de P. Mesnard, L’Essor de la philosophie politique au XVIe siècle (Paris 1936), p.141-77.
[44] Voir Cicéron, Epîtres à Atticus, ii.i.8 : « [ Caton] va parfois contre les intérêts de la république : il opine comme si nous étions dans la cité idéale de Platon, et non dans la cité fangeuse de Romulus. »
[45] Voir Cicéron, Epîtres à Atticus, ii.i.8 : « [ Caton] va parfois contre les intérêts de la république : il opine comme si nous étions dans la cité idéale de Platon, et non dans la cité fangeuse de Romulus. »
[46] Voir Sénèque, De la constance, ii.1 : « son époque a peu compris Caton ». Bayle remplace æta sua du texte de Sénèque par suum sæculum, et intellexisset par intellexit.
[48] Voir La Mothe Le Vayer, « De l’éloquence de Monsieur de Balzac », Hexameron rustique (1670), V e journée, p.189 ; Guez de Balzac, Aristippe ou de la Cour (Paris 1658, 4 o), Discours vi, p.157-59.
[49] Bayle cite de mémoire ; il s’agit d’une remarque de Guez de Balzac sur Montaigne : « De Montaigne et de ses écrits », Les Entretiens de feu Monsieur de Balzac (Paris 1657, 4 o) : voir éd. B. Beugnot, i.290. Bayle reviendra ultérieurement sur son manque de méthode, voir par exemple PDC, i.