Lettre 524 : Théophile d’Arbussy le fils à Pierre Bayle

• [Berne, le 27 febvrier 1686]

Il y a long temps, mon tres honnoré Monsieur, que j’avois resolu de vous ecrire pour vous assurer de toute mon estime, et pour vous demander en meme temps quelque part dans votre bienveillance [1][.] Permettés moy, Monsieur, de le faire presentement, il vaut mieux tard que jamais ; la perte que vous avés fait[e] depuis peu de Monsieur votre illustre frere mon cher parent et mon intime amy m’en offre une triste occasion [2][.] J’y suis sensible, Monsieur, comme je le dois par tous ces endroits, et je suis si persuadé que vous avés reçu ce coup avec tant de soumission à la volonté de Dieu que je ne m’etendray pas à faire le consolateur[.] Je vous diray seulement, Monsieur, que la douceur[,] la patience et la constance que ce fidelle serviteur de Dieu a fait paroitre jusqu’à son dernier soupir doit vous consoler merveilleusement, regardons tous [s]a fin pour l’imiter, et n’ayons en veue que de vivre et de mourir comme luy, pour jouir de son bonheur ; Dieu n’a pas voulu que nous ayons eu luy et moy la satisfaction de vous aller joindre comme nous l’avions souvent projetté [3], quelle joye n’eut ce pas eté pour moy • d’etre auprés de deux si illustres freres ; mais puis que la providence divine en a autrement ordonné, ce me seroit encore une consolation bien douce si je pouvois avoir l’avantage d’etre dans un pais où je peusse avoir un commerce facile avec vous, Monsieur, dont j’admire les grandes lumieres et les beaux dons[.] Dans cette veue / j’avois resolu déz que je fus hors des prisons de Tolose [4] de prendre la route de Hollande, mais je ne sçay comment le torrent m’entraina dans ce pais, où je suis depuis trois mois avec les bras c[r]oiséz de meme que plus de deux cens ministres ; vous jugés bien, Monsieur, que ce ne peut etre qu’avec un extreme regret que je me trouve parmy des gens qui ne veulent absolument point donner de l’employ aux etrangers. Messieurs les Etats de Hollande en usent bien differemment, et c’est ce qui me fait disposer à vous aller voir bien tot [5], cepandant, Monsieur, je vous seray infiniment obligé si vous avés la bonté de m’aprendre au plustot ce que peuvent esperer les ministres qui iront dans vos cartiers*, car on en parle diversement, il est fac[heu]x d’entreprendre un voyage si grand et de si grand fraïx sans sçavoir à peu pres ce qu’on en doit attendre[.] Je veux croire, Monsieur, que [les] liaisons d’amitié et de parenté [6] qu’il y a eu entre nos familles se conservera [ sic] entre nous, et que vous m’en donnerés le temoignage que je vous en demande[.] Si vous me faites cette grace, Monsieur, je vous prie de me repondre incessamment puis que voyla la saison de voyager qui s’avance[.] Vous fairés s’il vous plait l’adresse à Arbussi chez Madame la capitaine Villading à Berne[.] Je finis, Monsieur, en vous assurant qu’il n’y a personne qui soit plus penetré de votre merite que moy, ny qui soit plus votre tres humble et tres obeïssant serviteur.
Arbussi

De Berne le 27 e febvrier 1686

 

A Monsieur/ Monsieur Bayle professeur/ en histoire./ A Rotterdam

Notes :

[1Sur Théophile d’Arbussy le fils, pasteur de Puylaurens réfugié en Suisse avant de gagner les Pays-Bas, voir Lettre 150, n.10, et 427, n.2.

[2Sur la mort de Jacob, voir Lettre 485.

[3Jacob Bayle avait donc projeté de se réfugier avec Théophile d’Arbussy auprès de son frère Pierre à Rotterdam : c’est peut-être à cette éventualité qu’il faisait allusion dans sa lettre du 12 mai 1685 : « Vous jugés bien que toutes ces choses avec les exemples de ce qu’on fait à nos frères, me disposent assez bien à me tenir prêt pour quand il faudra. » (Lettre 427, p.386). A l’occasion d’une première visite des autorités au Carla, il évoquait d’ailleurs la possibilité qu’il soit pris comme cible de persécutions suscitées par le succès des écrits de son frère : « Je serois bien malheureux que cela m’attirât des affaires, et que mon attachement aux intérêts d’un tel écrivain fût cause d’une disgrace telle que plusieurs même à Toulouse soubçonnèrent d’abord sans fondement. » ( ibid., p.387).

[4Sur l’emprisonnement des pasteurs du Languedoc, voir Lettre 427, n.2.

[5En effet, d’ Arbussy devait se réfugier prochainement aux Pays-Bas, où il devint pasteur français de Leurs Hautes Puissances, les Etats de Hollande, à La Haye. Une lettre de Théophile d’Arbussy, proposant, se trouve parmi les archives inventoriées à Haarlem en 1692 : Posthumus Meyjes et Bots, Livre des actes des Eglises wallonnes, p.946.

[6Les liens de parenté entre les Bayle et les d’Arbussy restent obscurs : voir Lettre 205, n.1.

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