Leyde, le 6 janvier 1685

Très célèbre Monsieur

Quand par hasard je feuilletais ce matin vos Nouvelles [1], j’ai remarqué en parcourant de nouveau le numéro du mois d’août que, dans la petite préface introduisant ce que j’avais communiqué au sujet d’une certaine expérience, il est fait allusion (et ici je ne saurais omettre de louer votre franchise en tant que philosophe) à quelque chose qui pourrait ne pas cadrer avec mon hypothèse. Vous vous exprimez ainsi : « Ne pourroit on pas croire que les parties du liquide servent de vehicule aux parties du corps pesant, comme de petits cloux fichez dans de la cire ne s’enfonceroient point dans l’eau, &c. »

• Cette supposition a été fortifiée par l’exemple des petits cloux de fer, qui étant fichez dans de la cire ne vont point au fond de l’eau ; mais à bien examiner la chose, les petites parties de fer environnées de cire ne flottent pas, parce que cette enveloppe de cire leur sert de vehicule, comme vous l’avez insinué, mais par le principe général de l’équilibre, c’est-à-dire, parce que le composé de la cire, et des petits cloux de fer n’est pas aussi pesant qu’un égal volume d’eau ; ce en quoi le fer pese plus que l’eau étant plus que compensé, par la proportion selon laquelle la cire pese moins que l’eau. En confirmation de quoi on doit remarquer, que soit que la cire serve de vehicule aux petites parties de fer en les couvrant, soit qu’au contraire les parties de fer couvrent la cire, et lui servent comme de vehicule, le composé flotte également, et ne s’enfonce pas dans l’eau. J’ajoûte, pour mieux prouver mon hypothese, que les menstruës étant mis sur un feu de digestion, comme parlent les chymistes, peuvent dissoudre une plus grande quantité du corps qu’on y jette, que lors que cette chaleur exterieure leur manque ; et si on les ôte du feu et qu’on le laisse refroidir, on voit qu’il se précipite une grande portion de ce qui avoit été dissous parfaitement, tandis que le menstruë étoit chaud, dont la raison est que les particules du feu, s’insinuant dans le menstruë, augmentent l’agitation de ses parties fluides, de telle sorte que par ce secours étranger elles peuvent soûtenir en agitation plus de parties du corps qu’elles ont dissous ; mais quand ce secours leur manque, elles n’ont plus la force d’en soûtenir un si grand nombre, ce qui fait que plusieurs parties du corps dissous tombent en bas par leur propre pesanteur ; les autres continuent à nager dans le menstruë, autant qu’il y a que l’agitation propre aux particules du menstruë peut tenir écartées les unes des autres, et chauffer deçà et delà.

• Vous me direz que les précipitations qui naissent du mêlange des acides et des alkali, sans que les parties du menstruë cessent d’être aussi fluides qu’auparavant, et aussi agitées selon toutes les apparences, sont contraires à mon hypothese ; car si la raison pourquoi un corps pesant se tient suspendu dans un liquide plus leger, vient uniquement de l’agitation perpetuelle des particules de ce liquide, et si l’agitation perpetuelle de ces particules se connoit par la liquidité du tout qu’elles composent, comment se peut-il faire, que la même liquidité, et par consequent la même agitation des particules, subsistant en son entier, le corps qui nageoit auparavant, se précipite dès aussi-tôt qu’on y mêle une autre liqueur ? La reponse à cette objection est aisée, c’est que tout mêlange de liqueurs differentes introduit dans chacune une differente conformation de pores ; c’est pourquoi l’injection d’une nouvelle liqueur chasse de leur place les parties insensibles du corps dissous, et les détermine a se choquer les unes les autres, et à s’embarrasser entre elles ; d’où vient qu’étant plus grosses et plus pesantes qu’auparavant, les parties du liquide ne pouvant plus les agiter, ni les soutenir, il faut donc nécessairement qu’elles tombent, et qu’elles se précipitent.

Le lecteur trouvera dans cet article un supplément et une confirmation du 4. des Nouvelles du mois d’août. J’ai déjà dit que je me plais à publier ces sortes d’éclaircissemens.

Si tout ceci plaît à votre fin discernement et vous paraît mériter de trouver place dans vos Nouvelles, je n’ai pas d’objection à ce qu’il y soit inséré.

En attendant, portez-vous bien et accordez votre faveur au très dévoué
Thomas Molyneux

Notes :

[1Sur Sir Thomas Molyneux, voir Lettre 305, n.1. Bayle a déjà publié un mémoire de Molyneux dans les NRL : voir Lettre 312, n.3.

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