Lettre 10 : Pierre Bayle à Jacob Bayle
Enfin le temps est arrivé où nous n’aurons plus besoin de nous écrire par des termes obscurs et enigmatiques et de laisser au bout de la plume la moitié des choses que nous voulions nous apprendre. Nous ne sommes plus dans le temps du mystere[,] nous sommes dans le temps de la manifestation [1], si bien que ne goutans pas le bien que nous attendions, en esperance seulement, mais en ayans la pleine et entiere jouyssance il ne reste plus que de se rejoüir au Seigneur qui a fait cette grand’œuvre et de luy en rendre graces immortelles. Pour moy j’ay regardé ma sortie hors de cette ville superstitieuse [2] où j’ay fait quelque sejour avec la meme joye qu’ont ceux qui habitent sous les poles de revoir le soleil apres une absence de six mois, et j’ay remercié Dieu de ce grand bienfait comme d’une delivrance et d’une redemption tres ardemment attenduë. Je ne doutte pas que vous n’en ayez fait encore plus, vous dont les prieres ont comme haté le temps où Dieu vouloit deployer sa vertu et qui par vos soupirs et par vos gemissemens avez comme forcé le Tout Puissant à me ressusciter, et le souverain pasteur des ames à me rameiner au petit troupeau [3]. Continuons à loüer Dieu chacun de notre coté pour tous ses bienfaits, et prenons sa coupe de delivrance [4] invoquans son saint nom avec tous ses bien aymez et ses fidelles serviteurs. Je vous supplie de me secourir toujours de vos sainctes prieres, vous asseurant que la confiance que je prends au soin que vous avez de prier pour moy est une de mes plus sensibles consolations et que comme je ne suis pas de la force du patriarche Abraham, pour esperer contre esperance [5][,] je serois plusieurs fois abbatu de crainte et absorbé par la sollicitude de l’avenir, si je ne me souvenois que j’ay en votre personne p[ou]r ainsi dire un intercesseur qui me rendra par la ferveur de ses prieres le Ciel propice et m’impetrera ce qui me sera necessaire pour passer tranquillement le cours de cette caduque et perissable mortalité jusques à ce que notre grand Maitre nous fasse passer dans le sejour de l’immortelle beatitude. Je suis avec tout l’attachement du monde
Monsieur mon tres bon et tres honnoré frere
Votre tres humb[le] et tres obeissant serviteur.
pstournez s’il vous plait J’ay ecrit deux fois depuis que je suis en cette ville savoir la 1ere fois un billet à Mr Rivalz de Calmont [6] deux jours apres mon arrivée, et la 2. un billet qui s’adressoit à vous en datte si je ne me trompe du 2 d’octobre ou environ [7]. Là je vous aprenois ce qu’il vous importoit le plus d’aprendre, que j’avois fait heureusement mon voyage et etois arrivé icy le mardy 2 septembre, que j’avois rendu mes lettres aux professeurs et en avois été favorablement acc[u]eilli, que je m’etois logé en pension à 18 l[ivres] t[ournois] par mois avec Mr Oulez de Castres [8] et autres proposans que j’avois autrefois connu à l’Academie de Puylaurens, que tant à cause que les chevaux sont icy à bon marché qu’à cause que le mien n’etoit ni assez joly pour la selle, ni assez fort pour le charriot[,] j’avois eu toutes les peines du monde à m’en defaire et qu’enfin de peur qu’il ne me demeurat pour les gages* tout l’hyver[,] je l’avois vendu deux ecus, Cela ne vous surprendroit pas c[omm]e il fera si vous aviez eté à Geneve où vous verriez des chevaux que des proposans ont amenez n’etre achetez que 10 et 12 francs memes avec une selle fort jolie, au contraire où vous apprendriez que de[s] gens qui se retirent chez eux peuvent acheter des chevaux à un prix si bas qu’ils les vendent presque le double dans leur pays[,] si bien qu’il ne fait pas bon venir icy avec un cheval à vendre, oui bien* s’en aller d’icy et avoir un cheval à acheter. Je vous disois de plus l’extreme besoin que j’aurois bien tot d’argent et le peu d’apparence qu’il y a que je trouve de long temps une condition*. La ville de Geneve e[st] tout autre qu’on ne s’imagine[,] il y a tres peu de gens du lieu qui fassent etudier leurs enfans et l’Academie seroit fort deserte sans lez etrangers. Ainsi il y a tres peu de conditions à trouver et pour une qui se presente il y a dix proposans qui briguent pour l’avoir et qui pour l’emporter sur leurs concurrens ne manquent jamais de les decrediter aupres des peres de famille chez qui il s’agit d’aller etre precepteur. Or il est tres facile de disposer si mal les esprits de ces gens là qu’ils ne veuillent jamais entendre parler de moy[,] car il suffit de leur dire que j’ay eté papiste quelque temps et presque tous les echoliers le peuvent dire[,] car je ne say comment cela s’est fait ils le savent presque tous. De cette façon, il faudra beaucoup de temps pour m’établir, et bien faire des visites à m[essieu]rs les professeurs. Cependant il faudra que je me nourrisse à beaux deniers contans et[,] de la maniere que les vivres sont chers icy[,] j’auray au 1er jour depensé jusques à la derniere maille* parce que les hardes* et le linge qu’il m’a fallu acheter joint la depense faitte en chemin et le prix du cheval ont englouti les 2 tiers de mon argent, si bien q[ue] si vous n’avez pas quelque soin de moy à peine pourray je jamais avec tout ce qui me reste m’entretenir jusqu’au commencement de janvier prochain et cela sans m’etre habillé ni avoir du linge qui soit tant soit peu honnete*. Je vous disois encore d’autres choses de meme nature que je repete icy à cause que peut etre ces 2 lettres se seront perduës et que vous ne pourriez pas par ce moyen* savoir au vray l’etat où je me trouve reduit maintenant.
Je vous rendray conte en cette lettre de la facon avec laquelle j’ay employé mon temps depuis que je suis icy et je ferai desormais la meme chose dans toutes les lettres que je vous ecriray[,] vous priant d’en faire autant quand vous prendrez la peine de m’ecrire. Vous saurez donc que j’ay assisté une fois à des theses que soutint publiquement et en presence du fils ainé du prince électeur palatin [9] q[ui] e[st] icy depuis deux mois et y a meme eté malade de la petite verolle, un proposant d’Alençon [10]. Il en etoit l’autheur, mais Mr Mestrezat [11] presida à la dispute qui etoit De justificatione hom[inis] cora[m] Deo. J’ay aussi assisté aux leçons qui ont continué jusques au commencement d’octobre[,] depuis lequel temps nous avons eu des vacances qui n’ont pas fini encore. Mr Mestrezat expliquoit le commencement de l’Evangile selon s[aint] J[e]an et en tiroit les preuves de la divinité du fils de Dieu contre les chicaneries et les subtiles exceptions avec quoi les sociniens eludent de si forts passages [12]. Mr Tronchin [13] faisoit des leçons sur ces paroles d’Esaïe, On appellera son nom l’admirable etc [14]. et en tiroit pareillement les preuves de la divinité du Messie[,] refutant les chicaneries des memes sociniens qui ont crié au triomphe sur ce passage fondez sur ce que dans l’hebreu le verbe qui signifie appeller est au futur actif[,] si bien qu’ils pretendent qu’il faut lire Il appellera et que les epithetes de Dieu fort, d’admirable, de conseiller, etc. sont des attributs que le prophete donne à Dieu qu’ils veulent qui soit le nominatif du verbe, et prince de paix[,] qu’ils interpretent du roy Ezechias l’accusatif, leur sens revenant là que le Dieu fort, l’admirable, etc. appellera le roy Ezechias prince de paix avec quoi ils pretendent eluder la force de ce passage et convaincre les orthodoxes d’une manifeste supercherie et de peu de foy à traduire les passages qui leur peuvent rendre quelque bon office [15]. Mr Turretin [16] expliquoit les types de l’ancienne loy et les appliquoit à Christ, en quoy faisant il expliqua à fonds les
Pour mes lectures particulieres vous saurez que j’ay leu 2 sermons prononcez à Charenton par Mr Bosc sur ces paroles de l’Apocalyp[se,] A la mienne volonté q[ue] tu fusses froid ou bouillant etc. [21]. Outre cela j’ay leu l’ Idee des sciences en 3 petits tomes par le pere Leon carme dechaussé [22], ce n’est pas un livre universellement bon quoy qu’il y ait de bonnes choses. J’ay leu aussi Les Erreurs populaires et Le Scibbolet de J[e]an d’Espagne et un Traitté de la Manduca[ti]on du corps de Christ par le meme [23], tous traittez fort bons et d’une critique tres profitable. J’ay veu aussi quelq[ue] chose d’un livre intitulé Scaligeriana [24] qui e[st] un receuil des entretiens de vive voix de Scaliger le fils. Le fait est que les messieurs Du Puy [25] qui etoient elevez aupres de ce grand ho[mm]e couchoient [p]ar ecrit tout ce qu’ils luy entendoie[n]t dire indifferemment[,] d’où est venu qu’un certain Serr[anus] [26][,] qui a mis le nez dans la bibliotheque de messieurs Du Puy apres leur mort[,] y a trouvé cela et en a fait un juste* volume qu’il a fait imprimer sous le titre que je viens de dire. C’est un livre où il y a de tres bonnes choses et qui ne sont pas indignes de leur autheur[,] mais il y en a d’autres qui le deshonnorent entierement et qui le perdroient de reputation si l’on ne consideroit pas que ce sont des discours qu’il a tenus en se peignant ou en se debotant et pensant si peu travailler pour le public que meme il ne songeoit pas que personne s’en dut jamais ressouvenir : et voila la lecture que j’ay faitte operis succisivis [27]. P[ou]r le capital de mon etude j’ay leu quelque chose de la Philosophie de Mr De Rodon [28], quelque autre chose de Vendelin [29] ou du Systeme de Mr De Marets [30] et le Nouveau Testament en original. A propos de Mr De Marets, la belle chose qu’est sa Bible [31], de tant d’ouvrages qu’il a donnez au public dont la pluspart ne sont pas grand chose, celuy cy est le plus savant, le plus utile et le plus universellement estimé. Les notes marginales sont tres judicieuses essentielles et fines et generalement tout y est bien entendu* si bien que le travail de Mr Diodati [32] a eté fort eclypsé depuis que cet autre a veu le jour. Elle est accompagnée[,] cette Bible de Mr De Marets[,] de plusieurs tables geografiques qui satisfont fort les curieux et quoy que le langage francois n’en soit pas d’une finesse à contenter les puristes, il e[st] pourtant male et pur autant que le doit etre un ouvrage de cette nature.
Je ne say pas si vous avez ouy parler de ce que le synode d’Anjou qui vient de [se] tenir a fait sur l’affaire de Mr d’Huissaut [33][,] ce ministre inquiet de Saumur qui a si souvent troublé le repos de son Eglize ; on vient d’ecrire de cette province qu’il a eté deposé. Vous savez sans doutte qu’il avoit composé un livre touchant l’accord des deux religions [34] et qu’il avoit renouvellé la fameuse tentative de Mr de La Milletiere [35][,] sinon plus adroittement et plus regulierement que luy[,] au moins d’une facon qui hazardoit plus les intherets de la Reformation et qui les prostituoit p[ou]r ainsi parler, Ce qu’il y avoit encore de dangereux c’est qu’il tendoit à etablir[,] quoy que faisant semblant de n’y songer pas[,] cette pernicieuse maxime dont tant de gens se sont laissez coiffer apres le savant Grotius [36] que pour veu que l’on croye certains chefs generaux qui constituent l’essence du christianisme[,] il est indifferent de quelle religion on vivra quant au reste et qu’il n’en est point qui en soi et de sa nature soit preferable à l’autre. Mr Le Fevre [37][,] qui comme vous savez est un homme sans religion[,] a eté de moitié avec luy de cet ouvrage ou pour le moins a fait de[s] vers qui ont eté mis au frontispice et le synode l’a condamné à desavouer cela à peine d’etre destitué. P[ou]r Mr d’Huissaut, il en a appellé à un autre synode et l’on ne sait pas encore bien quelle sera l’issue de tout cecy. Vous aurez sans doutte appris la mort de Mr Morus et le deuil de son Eglize sur luy [38]. Ainsi je ne vous en diray rien. Je vous prie seulem[en]t de me donner de vos nouvelles au plutot car je suis fort en peine de n’en avoir point encore receu. Vous pourrez vous servir ou de Mr Oulez ou de Mr Fargues de Puylaurens qui ecrivent souvent à leurs fils [39]. Mr Bonnafous [40] proposant qui me sert beaucoup pour me faire trouver une condition, vous baise tres humblement les mains, et moi je les baise au cousin Naudis [41] de qui je vous demande aussi des nouvelles et ce faisant prieray Dieu pour votre prosperité, repos, et bonne fortune. Je n’oublie point mon frere Joseph [42] que j’embrasse avec affection, l’exhortant à bien etudier et à se rendre capable de paroitre avec honneur dans les Academies, si pourtant il n’a pas eté admis à la confidence, et n’a pas seu encore où je suis, ` nihil de me resciat per me licet [43] ’. On vient d’imprimer icy un livre d’un professeur suisse nommé si ma memoire ne me trompe Jacob Gerard des Bergeries intitulé Moyse devoilé ou explication des figures de l’Ancie[n] Testament [44] . Il servira de beaucoup aux proposans et leur servira de pedagogue de la pedagogie mosaique.
Notes :
[1] Allusion à Rm xvi.25.
[2] Toulouse, où Bayle arriva le 19 février 1668. Sur sa conversion au catholicisme lors de son séjour dans cette ville, et son abjuration le 21 août 1670, voir Lettre 8, n.1 et Lettre 9, n.1.
[3] Allusion à Lc 12, 32 : voir F. Vigouroux (éd.), Dictionnaire de la Bible (Paris 1895-1912), v.2359-65. Les huguenots désignaient volontiers leurs Eglises par cette locution scripturaire, qui convenait bien à leur situation si minoritaire en France.
[4] Allusion à Ps cxvi.13.
[5] Allusion à Rm iv.18.
[6] Elie Rivals, ami de Jacob Bayle, était devenu pasteur à Calmont, au nord de Saverdun, en 1668. Vers fin 1676, il succéda à Jean Bonafous à Puylaurens. Bayle devait retrouver Rivals en Hollande, où ce dernier fut l’un des pasteurs d’Amsterdam, voir sa lettre à Bayle du 29 août 1686.
[7] Cette lettre ne nous est pas parvenue.
[8] Jacques d’Oulès (ou d’Oulez, ou bien Doulès), étudiant à Genève de 1670 à 1672, après l’avoir été à Puylaurens. Il fut par la suite pasteur à Sénégats, puis à Anglès. A la Révocation, il se réfugia en Angleterre, sans doute en compagnie de son frère aîné – Jean d’Oulès – et il vint en Hollande avec celui-ci en 1687. Il y mourut vraisemblablement peu après, car on perd sa trace. Jean d’Oulès, le père des précédents, était pasteur à Castres quand il mourut dans cette ville en 1673. Son fils aîné et homonyme avait été étudiant à Puylaurens (où il connut certainement Jacob Bayle) et, après deux années d’étude à Genève (1664-1666), il devint pasteur successivement à Sablayrolle, Roquecourbe, Castelnaudary et Saverdun. Réfugié en Angleterre après la Révocation, il gagna un peu plus tard les Provinces-Unies, où il connut Bayle : voir ses deux lettres à Bayle du 9 octobre et du 26 novembre 1696. Il était pasteur à La Haye quand il mourut en août 1708. Les deux frères Jean et Jacques d’Oulès ont été plus d’une fois confondus. Sur eux, voir Stelling-Michaud, v.66, n o 4097 et 3869 ; Rabaud, Histoire du protestantisme, p.603 ; Robert-Labarthe, Histoire du protestantisme dans le Haut-Languedoc, i.222 ; SHPF, Collection Auzières 572 : Haut-Languedoc-Haute-Guyenne.
[9] Le fils de l’électeur Charles-Louis (1617-1680), Charles (1651-1685), frère de celle qui devait devenir la Palatine, duchesse d’Orléans et belle-sœur de Louis XIV, signa l’album de l’Académie de Genève le 26 octobre 1670. Quand il visita ce jour-là la bibliothèque et le collège, « luy ayant esté presenté des vers par les escoliers », l’Altesse Sérénissime demanda pour eux aux autorités quinze jours de congé : voir Ch. Borgeaud, Histoire de l’université de Genève : I. L’Académie de Calvin (1559-1798) (Genève 1900), p.440.
[10] Abraham de Saint-Denis, arrivé à Genève le 1er décembre 1669 : voir Stelling-Michaud, v.437. Il fut ensuite pasteur à Sancourt, non loin de Gisors, et se réfugia en Angleterre à la Révocation (voir FP, ix.148), où il figure en 1691, parmi les quarante-six signataires d’une protestation élevée contre l’accusation de socinianisme lancée, sur une suggestion de Jurieu, par Henry Compton, évêque de Londres, contre l’ensemble des pasteurs réfugiés. B. Robert, L’Eglise réformée d’Alençon (Alençon 1940), p.111 et 125, nous apprend qu’il est né en 1648 et qu’il était fils de Samuel de Saint-Denis, procureur et diacre. Par ailleurs, Samuel de Chaufepié, le père de l’auteur du Nouveau dictionnaire (1750), vint de Puylaurens à Genève en mai 1669 pour y demeurer jusqu’en avril 1671. Il fut ensuite pasteur à Couhé, en Poitou, puis, après la Révocation, à Balk, et enfin à Leeuwarden, en Frise. Chaufepié mentionne, parmi ceux avec qui il se lia à Genève, Chouet, Basnage, Bayle et Saint-Denis : voir N. Weiss, « Mémoires de la famille de Chaufepié », BSHPF, 52 (1903), p.243.
[11] Philippe Mestrezat (1618-1690), neveu du ministre de Charenton, Jean Mestrezat (1592-1657), à qui Bayle consacrera un article du DHC, fut pasteur et professeur à Genève : voir F. Lichtenberger (éd.), Encyclopédie des sciences religieuses (Paris 1877-1882), ix.121-23.
[12] Selon les sociniens, le prologue de l’Evangile de Jean n’était pas une preuve de la divinité du Christ ; celui-ci est appelé Verbe parce que Dieu a fait de lui sa Parole et non parce que Dieu a assumé la nature humaine. En refusant la traduction traditionnelle du verbe grec
[13] Louis Tronchin (1629-1705) devint professeur de théologie à Genève, sa ville natale, en 1661 : voir W. Rex, Essays on Pierre Bayle and religious controversy (The Hague 1965), et « Pierre Bayle, Louis Tronchin et la querelle des donatistes », BSHPF, 105 (1959), p.118, n.22 ; O. Fatio et L. Martin van Berchem, « L’Eglise de Genève et la Révocation de l’Edit de Nantes », in Genève et la Révocation de l’Edit de Nantes, éd. O. Reverdin (Genève, Paris 1985), p.161-311 ; O. Fatio, Louis Tronchin (1629-1705), une transition calvinienne (Paris 2016).
[14] Es ix.5 (dans les versions anciennes et modernes d’après le texte hébreu, mais ix.6 dans le texte grec et dans la Vulgate).
[15] Le verset d’Esaïe évoqué par Bayle peut se prêter à une certaine ambiguïté de par le fait que dans le texte hébreu le sujet manque et que le verbe est à la forme narrative ; or, celle-ci, tout en étant utilisée généralement dans le contexte d’un récit et étant traduite par le passé simple, peut, dans certains cas, indiquer une forme future. Les sociniens niaient la portée christologique d’Es ix.5, mais sur la base d’autres arguments que ceux évoqués par Bayle. Nous n’avons su trouver la source socinienne à laquelle faisait allusion Tronchin dans ses cours. Voir O. Fatio, Louis Tronchin (1629-1705), une transition calvinienne (Paris 2016), ch. 7 : « La théologie de Tronchin », , n.10 sqq.
[16] François Turrettini (1623-1687), pasteur et professeur de théologie à Genève ; son traditionalisme sourcilleux l’opposait à son collègue Tronchin, ouvert aux nouveautés venues de Saumur : voir E. de Budé, Vie de François Turrettini (Lausanne 1871), et G. Keizer, François Turrettini, sa vie et ses œuvres et le Consensus (Lausanne 1900).
[17] Objets dont la forme nous est inconnue, l’Ourimm et le Toummin étaient des moyens de divination des anciens Hébreux qui servaient, avant que ne fût développé en Israël le ministère prophétique, à interroger Dieu par le sort : voir Ex xxviii.30 ; Lv viii.8 ; et texte grec de 1 S xiv.41. Ils étaient logés dans une poche du rational ou pectoral du grand-prêtre : voir Vigouroux (éd.), Dictionnaire de la Bible, v.2359-65.
[18] Mt ii.23.
[19] Le caractère décousu de l’enseignement, que Bayle déplore, était la conséquence des vives querelles théologiques qui avaient opposé les professeurs genevois : voir Lettre 11, et Labrousse, Pierre Bayle, i.111.
[20] Depuis 1661, le professeur d’hébreu était Pierre de La Fontaine (1602-1675). Le proposant mentionné ici est sans doute Michel Turrettini (1646-1721), cousin du professeur de théologie, qui succéda à la chaire, après concours, en août 1676 : voir Borgeaud, i.367, et Lettre 128.
[21] Sur Pierre Du Bosc (1623-1692), pasteur de Caen et orateur de grand renom, voir DHC, « Bosc ». Il s’agit ici de La Censure et condamnation des tièdes en deux sermons sur les paroles de Jésus-Christ dans l’Apocalypse, chap. iii vers 15 et 16, prononcez à Charenton le 23 février et le 2 mars 1670 (Charenton, Paris 1670, 8 o). Bayle a probablement tenu en main la réimpression qui en fut faite aussitôt à Genève.
[22] Léon de Saint-Jean, carme [Jean Macé] (1600-1671), Le Portrait de la sagesse universelle, avec l’idée générale des sçiances et leur plan représenté en cent tables (Paris 1655, 4 o). Bayle semble avoir lu une des éditions de Lyon, publiées en 1666 et 1667 (12 o, 3 vol.).
[23] Jean d’Espagne (1591-1659), Dauphinois, eut une existence assez mouvementée : voir
[24] Sur Joseph-Juste Scaliger (1540-1609) et les Scaligeriana, voir J. Jehasse, La Renaissance de la critique : l’essor de l’humanisme érudit de 1500 à 1614 (Saint-Etienne 1976), A.T. Grafton et H.J. De Jonge, Joseph Scaliger, a bibliography 1852-1982 (The Hague 1982, Leiden 1993 2), A.T. Grafton, Joseph Scaliger (1540-1609), a study in the history of classical scholarship (Oxford 1993), et P. Botley et D. van Mirk (éd.), The Correspondence of Joseph Justus Scaliger (Geneva 2012). La première édition des Scaligeriana (Genevæ 1666, 8°), avec des notes de Paul Colomiès, est assez fautive ; la seconde, « auctior et emendatior », Scaligeriana (Hagæ Comitis 1666, 12 o) est celle que Bayle a eue entre les mains, plutôt que l’édition procurée par Jean Daillé sous le titre Scaligerana (Coloniæ Agrippinæ [=Rouen] 1667, 12 o) : voir la lettre du 26 juin 1694, adressée à Bayle par l’abbé Claude Nicaise, et celle de Jacques Du Rondel du 10 juillet 1700 ; aussi DHC, « Daurat », rem. E, et « Papesse », rem. A.
[25] Les frères Pierre (1582-1651) et Jacques (1586-1656) Dupuy tinrent à partir de 1617 une célèbre académie (souvent appelée « putéane », du latin puteus, ou puits). Cette réunion de lettrés érudits eut lieu dans l’hôtel du président de Thou : voir R. Pintard, Le Libertinage érudit dans la première moitié du XVII e siècle (1943) (Genève, Paris 1983, 2 e éd.), p.92-95.
[26] Jean de Serres ou Serranus (1540-1598) n’a été pour rien dans les Scaligerana, qui furent rédigés par Jean et Nicolas Vassan, transcrits et classés par Jean Daillé, et édités par Isaac Vossius.
[27] « Durant mes loisirs. »
[28] David Derodon (1600-1664) dut se réfugier à Genève en 1663 à cause d’une satire écrite contre la messe alors qu’il enseignait la philosophie à l’Académie de Nîmes. Il avait obtenu l’autorisation de donner dans la cité de Calvin des leçons particulières, sans pouvoir pourtant accéder à l’une des chaires de l’Académie genevoise : voir
[29] Markus-Friedrich Wendelin (1584-1652), disciple de Pareus, recteur du Gymnase de Zerbst en mai 1612 : sur lui, voir J. J. Herzog et A. Hauck, Realencyklopädie für protestantische Theologie und Kirche (Leipzig 1896-1909), xxi.94-95. Bayle aura peut-être lu ses Christianæ theologiæ libri II (Hanoviæ 1634, 12 o), ou bien son Christianæ theologiæ systema majus duobus libris comprehensum (Cassellis 1656, 4 o). Tous ces ouvrages connurent de multiples rééditions et servirent de manuels de dogmatique réformée à des générations de proposants.
[30] Samuel Des Marets (Maresius) (1599-1673) fut d’abord pasteur et professeur de théologie à l’académie de Sedan et ensuite à l’université de Groningue : voir DHC, « Marets ». Par son « système » il faut sans doute entendre son Collegium theologicum sive breve systema universæ theologiæ (Groningæ 1645, 4 o).
[31] La Sainte Bible, qui contient le Vieux et le Nouveau Testament, édition nouvelle faite sur la version de Genève (Amsterdam 1669, folio, 2 vol.). Pour le texte, c’est la version de Genève, mais Des Marets y joignit de nombreuses remarques tirées ou de Diodati, ou de son propre cru.
[32] Jean Diodati (1576-1649), pasteur et professeur d’hébreu, puis de théologie à Genève, traducteur de la première Bible en italien parue à Genève, La Bibbia : cioè i libri del Vecchio e del Nuovo Testamento ; nuovamente translatati in lingua italiana (s.l. 1607, 4 o) : voir W. A. McComisch, The Epigones : a study of the theology of the Geneva Academy at the time of the synod of Dort, with special reference to Giovanni Diodati (Princeton 1989).
[33] Sur le pasteur Isaac d’Huisseau, qui mourut en 1672, voir R. Stauffer, L’Affaire d’Huisseau, une controverse protestante au sujet de la réunion des chrétiens (1670-1671) (Paris 1969).
[34] [ Isaac d’Huisseau] La Réunion du Christianisme ou la manière de rejoindre tous les Chrétiens sous une seule confession de foy (Saumur s.d. [1670], 12 o). Sur son projet de réunion, voir B. Tambrun, L’Ombre de Platon. Unité et Trinité au siècle de Louis le Grand (Paris 2016).
[35] Sur Théophile Brachet de La Milletière (1588-1665), voir R. J. M. van de Schoor, The Irenical theology of Théophile Brachet de La Milletière (1588-1665) (Leiden, etc. 1995) et DHC, « Milletiere ». Dès 1628, sa Lettre […] à M. Rambours […] pour la réunion des evangéliques aux catholiques (Paris 1628, 12 o) avançait des projets de réunion. Il avait été arrêté l’année précédente comme agent de Rohan, puis, quatre ans après, il fut non seulement remis en liberté, mais grassement pensionné par la Cour. De ce fait, les divers ouvrages iréniques qu’il publia coup sur coup en latin et en français entre 1634 et 1637 inspirèrent aux huguenots une méfiance grandissante. En 1637, le synode national d’Alençon censura sévèrement La Milletière et, en 1644, celui de Charenton l’excommunia. La Milletière abjura le protestantisme le 2 avril 1645. C’était un auteur fécond et un esprit un peu brouillon : il n’y a pas de raison de douter de ses sincérités successives.
[36] Hugo de Groot ou Grotius (1583-1645), le grand théoricien du droit naturel, était arminien et très porté à l’irénisme. Les calvinistes intransigeants l’ont assurément calomnié en l’accusant d’impiété ou de penchants pour le catholicisme, deux griefs fréquemment lancés à l’encontre des tolérants. Outre son irénisme, ce sont surtout ses fréquentations sociniennes à Hambourg et à Paris qui entraînèrent ces calomnies. Bayle relèvera ces accusations pour les réfuter dans le DHC, « Grotius » : voir G. Cohen, « Une biographie inédite de Hugo Grotius par S. Sorbière », in Mélanges Salverda de Grave (La Haye 1933), p.45-64 ; E. M. Wilbur, A History of unitarianism (Cambridge, Mass., 1946), p.548-49 ; XVII e siècle, 141 (1983) : « Actualité de Grotius » (numéro spécial) ; J. Lesaulnier, « Témoignages port-royalistes sur Grotius », Lias, 14 (1987), 277-90.
[37] Le philologue Tanneguy Le Fevre (1615-1672) abjura le catholicisme après 1643 et devint peu après professeur au collège rattaché à l’Académie réformée de Saumur, contribuant à la réputation de cette institution. Très lié avec le pasteur d’ Huisseau, Le Fevre procura l’impression de La Réunion du christianisme (voir Stauffer, L’Affaire d’Huisseau, p.5) et c’est lui qui composa les vers latins placés en exergu e de l’opuscule. Sa réputation d’indifférence religieuse s’explique peut-être uniquement par l’hostilité à son encontre des calvinistes les plus rigides ; toutefois, son anticléricalisme est bien attesté (voir fp2, « Basnage », i.929-30), ainsi que sa truculence verbale, sinon ses écarts de conduite. Sur lui, voir F. Laplanche, L’Ecriture, le sacré et l’histoire : érudits et politiques protestants devant la Bible en France au XVII e siècle (Amsterdam-Maarssen 1986), p.545-50, et Saumur, capitale européenne du protestantisme au XVII e siècle, 3 e Cahier de Fontevraud, 1991.
[38] Le pasteur Alexandre Morus (1616-1670) : son nom n’est pas latinisé ; même s’il est probable que les ancêtres écossais du pasteur s’appelaient « More », en France son patronyme était Morus. Après une carrière assez mouvementée, il devint pasteur à Charenton en 1659. Partout où il passa, sa personnalité cyclothymique lui suscita des adversaires acharnés, mais aussi des partisans enthousiastes. Ce furent ces derniers qui firent imprimer à Genève une relation édifiante de la maladie et de la mort de leur pasteur : Les Derniers discours de monsieur Morus (Genève 1681, 12 o), un genre littéraire bien attesté. Morus fut l’un des plus célèbres prédicateurs réformés de son temps, mais la plupart de ses sermons ne parurent qu’après sa mort. Ils nous paraissent ampoulés et amphigouriques, mais beaucoup de contemporains, dont Jacob Bayle, prisaient au plus haut point les productions de Morus : voir Lettres 146 et 168. On le constatera, les lettres de Pierre Bayle le montrent de plus en plus réservé quant au style de Morus. Sur lui, voir DHC, « Morus », et A. Bruce, A Critical account of the life, character and discourses of Mr Alexander Morus (London 1813), témoignage curieux de la renommée durable de Morus chez les presbytériens écossais.
[39] Stelling-Michaud, iv.240 n o 4061, mentionne un Jean Lafargue de Castillon-en-Guyenne, arrivé à Genève le 11 février 1670, mais on n’y trouve pas de Fargues. Les parents de l’étudiant dont parle Bayle s’étaient peut-être établis à Puylaurens après la naissance de leur fils. C’était en effet le lieu de naissance, et non celui de résidence, qu’indiquaient les étudiants en s’inscrivant. On retrouve ce Jean Lafargue réfugié à Koenigsberg en 1698, mais il reste loin d’être établi que ce soit de lui que parle Bayle ici et dans les Lettres 11 et 18 ; sous ses formes variées, le nom est assez fréquent en Haut-Languedoc.
[40] Après des études de théologie faites à Puylaurens, Abel Bonafous, neveu de Jean, passa un an à Genève : il s’y immatricula en mai 1670 (Stelling-Michaud, ii.251). Admis au ministère en 1672, il fut pasteur dans la région de Castres et se réfugia en Prusse après la Révocation. En 1699, on l’y trouve pasteur de l’Eglise française de Pretzlow.
[41] Jean Bruguière de Naudis, fils d’un frère de la mère de Bayle, était à peu près contemporain de celui-ci et particulièrement lié avec lui. Ils se retrouvèrent comme externes au collège jésuite de Toulouse, où Naudis avait été envoyé avec la mission de ramener son cousin au protestantisme. La date de sa mort est inconnue, mais postérieure à celle de Pierre Bayle, dont il fut l’héritier universel. Après 1685, et la mort de tous les proches de Pierre Bayle, la correspondance familiale de celui-ci se fit surtout avec Naudis.
[42] Né le 11 juin 1656, Joseph Bayle était dans sa quinzième année, aussi avait-on pu le trouver trop jeune pour le mettre au courant de la situation de son frère Pierre. En effet, il fallait que, vis-à-vis des catholiques, la famille Bayle parût tout ignorer de ce qui avait suivi le départ de Toulouse, sans quoi, tenue pour responsable, elle aurait pu encourir des sanctions, puisque le retour de Pierre Bayle au protestantisme était interdit par la législation alors en vigueur.
[43] « Je suis d’accord pour qu’il ne découvre rien à mon sujet. »
[44] Jean-Jacob Girard des Bergeries, docteur en médecine comme son père, succéda à celui-ci en 1642 dans la chaire d’hébreu de l’Académie de Lausanne, qu’il occupa – avec une interruption de dix ans entre 1661 et 1671 – jusqu’à sa mort, survenue en 1681. Il s’agit ici de son Moyse devoillé, ou l’explication des types et figures du Vieux Testament (Genève 1670, 8 o). Les deux lettres à David Constant, du 17 avril, et du 17 décembre 1675, montrent que par la suite Bayle rencontra personnellement l’hébraïsant.