[Rotterdam, le 8 février 1697]

Homme très illustre [1],

Le soin que vous mettez à enrichir la République des Lettres, et les capacités dont vous avez récemment donné la preuve en publiant les lettres des hommes savants dans un ouvrage pleinement achevé, augmenté d’une éminente préface [2], capacités qui se manifestent brillamment, m’engagent à oser aujourd’hui m’adresser à vous pour vous demander si vous voudriez bien prêter la main à la publication de quelque ouvrage similaire. Voici ce que j’ai à vous proposer : le très célèbre Baluze [3] a trouvé trois cents lettres [4] du jurisconsulte très lettré François Hotman [5]. Il garde pour lui les manuscrits autographes, mais a pris soin de les copier minutieusement. Et il les juge dignes d’être publiés parce qu’ils renferment autant qu’il est possible de nombreux faits remarquables, portent la marque d’une érudition éclatante et sont très propres à illustrer l’histoire de ces temps. Peu de monde les connaît. Il me demande si dans ces régions, on pourrait trouver un imprimeur qui veuille les mettre sous presse. Comme les personnes de ce métier ont des coutumes particulières, qu’il faut par tous les moyens leur arracher les manuscrits pour qu’ils ne les passent pas à d’autres, et qu’il ne faut les donner qu’aux seuls imprimeurs, pour leur commodité, il veut faire une convention avec celui qui se chargera d’imprimer cet ouvrage, afin que, s’il ne s’acquitte pas de sa tâche dans le temps qui lui sera imparti, il soit tenu de lui payer cent pièces d’or. Ces conditions ne doivent pas vous sembler pesantes, en effet, le typographe aura le temps nécessaire pour travailler. Le très illustre Baluze ne demande rien d’autre que quelques exemplaires.

Je ne crois pas, homme très illustre, qu’il y ait quelqu’un de plus apte que vous à satisfaire ces vœux de Baluze.

C’est pourquoi je vous prie de m’excuser, si je m’en suis remis à vous, plein de l’espoir que vous ne dédaignerez pas accorder quelque soin à cette affaire, qui dépend de vous.

Je vous suis reconnaissant en même temps de me donner cette occasion de témoigner à quel point j’ai de la considération pour vous et combien j’estime heureux ce jour où nous avons déjeuné ensemble chez De Mey [6], notre ami commun.

Je suis sûr que vous transmettrez, s’il vous plaît, avec mes mots, mes plus profondes salutations au très excellent Grævius. Je vous garantis qu’en cette affaire vous vous rendez agréable à Baluze, et vous adresse mille saluts. Croyez bien que je serai toujours votre très affectionné
Bayle /

Donnée à Rotterdam le 8 février nouveau style 1697.

 

J’espère que vous verrez d’un œil favorable, homme très illustre, que je demande votre avis au sujet de Nicolas Valla, jurisconsulte, auteur d’un livre intitulé De rebus dubiis [7].

J’ai lu chez Étienne Pasquier que ce Nicolas était français et qu’il avait brillé au Parlement de Paris. J’ai du mal à croire que c’est vrai. C’est pourquoi, je veux vous demander (faites-le comme cela vous conviendra le mieux) de me prêter assistance.

Notes :

[1Pieter Burman (1668-1741), petit-fils du grand théologien calviniste de Leyde, Abraham Heidanus, fils du Frans Burman qui fut lié avec Descartes, élève de Grævius à Utrecht et de Gronovius à Leyde ; il fut professeur de droit romain à Utrecht en 1695 et fut nommé à Leyde en 1715. Voir J.E. Sandys, A History of classical scholarship (Cambridge 1903-1908 ; New York 1967, 3 vol.), ii.443-445.

[3Sur Etienne Baluze, voir Lettre 93, n.23.

[4La préparation de cette édition de la correspondance de François et Jean Hotman par Etienne Baluze devait prendre un certain temps, et nous assisterons tout au long de l’année 1697 à la mise au point des conditions stipulées par Baluze : voir Lettres 1225, n.1, 1238, n.2, 1242, n.1, 1261 et 1276, n.6. L’édition devait paraître, par les soins de Johann Wilhelm van Meel, quelques années plus tard chez Georges Gallet : Francisci et Joannis Hotomanorum, patris ac filii, et clarorum virorum ad eos Epistolae. Quibus accedit epistolarum miscellanearum virorum doctorum, qui hoc et superiore sæculo claruere appendix, ex bibliotheca Jani Gulielmi Melii J. C. (Amstelædami 1700, 4°). Le nom de Baluze n’y apparaît jamais explicitement ; il y est pourtant présent à plusieurs reprises : dans la dédicace [p.3], où il est question d’un eruditissimus Gallus qui a donné les lettres à Grævius ; et dans l’épître « Au lecteur » [p. 6] : In lucem edimus Francisci ac Joanni Hotomanorum, et Clarorum Virorum ad eos epistolas, mecum ab illustri et erudito quodam Gallo per Clarissimum Grævium communicatas [...]. Baluze est donc un acteur essentiel de l’affaire, mais il cherche à cacher son rôle dans la publication. Rappelons qu’à cette époque, Baluze était très proche du cardinal de Bouillon et avait déjà expertisé les fameux papiers qui allaient alimenter la querelle sur les origines de la maison d’Auvergne. Voir R. Dareste, « François Hotman, sa vie, sa correspondance », Revue historique, 2 (1876), p.1-59. Nous remercions Jean Boutier des indications qu’il nous a fournies sur cette édition ; elle fut recensée dans les Mémoires de Trévoux, février 1703, art. XIV.

[5François Hotman (1524-1589), jurisconsulte à l’université de Bourges à partir de 1567, s’exila à Genève après le massacre de la Saint-Barthélemy en 1572. Son ouvrage principal est le Franco-Gallia ([Genève] 1573, 8° ; Francofurti 1586, 8°), traduit par Simon Goulart sous le titre La Gaule françoise (Cologne 1574, 8°). Ses œuvres complètes parurent quelques années après sa mort (Geneva 1599-1600, folio, 3 vol.). Voir D.R. Kelley, François Hotman. A revolutionary’s ordeal (Princeton 1983).

[6Sur Willem de Mey, juriste et conseiller municipal de Rotterdam, fils du ministre de Gouda, voir Lettre 851, n.5.

[7Bayle s’informe pour le DHC, deuxième article sous le nom de « Valla (Nicolas) » : le premier article sous ce titre porte sur Niccolo Valla (?-1568), docteur en droit et chanoine de Saint-Pierre à Rome ; le second porte sur Nicolas Du Val, conseiller au Parlement de Paris et ensuite au parlement de Rennes, publia un ouvrage intitulé De rebus dubiis et quæstionibus in jure controversis tractatus XX (Parisiis 1571, 4°) ; Bayle se sert de la cinquième édition (Arnhemii Geldriæ 1638, 4°).

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