Lettre 252 : Henri Justel à Pierre Bayle
Le degel étant enfin venu comme on le pouvoit souhaitter, j’espere que vous ne m’aurez pas oublié et que vous aurez donné à votre ami le livre que je pris la liberté de vous demander[,] que je conserverai pretieusement [1]. Si je le puis avoir je rendrai l’argent que vous me marquez qu’il couste à celuy qu’il vous plaira. Il y a ici une histoire des entreprises des boucaniers avec des figures dont on faict cas : mais il est en anglois [2]. Il n’y a rien de nouveau en France. Le Cabinet des medailles du Roy est à Versaille. Mr Vaillant [3] les devoit ranger, c’est un homme tres intelligent et qui entend fort bien ce qui regarde ceste connaissance là. Monsieur l’archevêque de Rheims aura soin de toutes les curiositez et de l’imprimerie [4]. On m’ecrit de Paris qu’il y a eu des glaçons de dix huict pouces. La glace de la riviere dans un lieu uni n’estoit ici que de dix pouces ou environ.
Mr Boyle a donné des experiences qu’il a faictes sur le sang. Ce traitté là est en anglois [5]. / Nous devons avoir bien tost la seconde partie du livre de Mr Lyster
S’il y a quelque livre nouveau ou quelque invention curieuse obligez moi de m’en faire part.
Notes :
[1] Justel avait demandé à Bayle de lui envoyer un exemplaire de l’ouvrage de Jurieu, L’Esprit de M. Arnaud : voir Lettre 243, p.. Nous ne saurions identifier l’ami de Bayle auquel Justel fait allusion, à moins qu’il ne s’agisse de M. Maurice, qui sera leur intermédiaire par la suite : voir Lettre 292, n.2.
[2] Cet ouvrage n’allait pas tarder à être traduit : Histoire des avanturiers qui se sont signalez dans les Indes, contenant ce qu’ils ont fait de plus remarquable depuis vingt années, avec la vie, les mœurs […] des habitants de St Domingue et de la Tortue et une description exacte de ces lieux, où l’on voit l’établissement d’une Chambre des comptes dans les Indes et un état des offices où […] le roy d’Espagne pourvoit, les revenus qu’il tire de l’Amerique et ce que les plus grands princes de l’Europe y possedent [traduit par M. de Frontignières] (Paris 1686, 12°, 2 vol.). L’auteur était Alexander Oliver Oexmelin – francisé en Exquemelin. Voir NRL, mars 1684, art. VI, qui fait état des renseignements fournis par Justel, et juillet 1686, cat. vii.
[3] Jean-Foy Vaillant (1632-1706), célèbre numismate, pourvoya en médailles et, après la chute de Carcavi, à partir de 1683, avec Pierre Rainssant, organisa le Cabinet du roi. Il devint plus tard, en 1701, membre de l’Académie des Inscriptions. Voir T. Sarmant, La République des médailles. Numismates et collections numismatiques à Paris du Grand Siècle au Siècle des Lumières (Paris 2003), p.117-128.
[4] Charles-Maurice Le Tellier, archevêque de Reims, était le frère de Louvois.
[5] Robert Boyle, Memoirs for the natural history of humane blood, especially the spirit of that liquor (London 1684, 8°) ; l’ouvrage n’allait pas tarder à connaître une version latine : Apparatus ad Historiam naturalem sanguinis humani… (Londini 1684, 12°), que Bayle mentionnera : NRL, juin 1684, cat. ii.
[6] Martin Lister (1638-1711), médecin, De fontibus medicatis Angliæ, II (Londini 1684, 8°) ; la première partie de cet ouvrage avait été publiée à York, en 1682, in 8°. Dans les NRL de mars 1684, art. VI, Bayle reproduit certains passages de la présente lettre de Justel.
[7] La Royal Society avait procédé à une enquête sur la condition et sur les méthodes de l’agriculture anglaise. Si cette initiative n’avait pas exercé immédiatement une grande influence, son importance à long terme ne doit pas être sous-estimée : voir R. Lennard, « English agriculture under Charles II : the evidence of the Royal Society’s enquiries », The Economic History Review, 4 (1932-1934), p.23-45. L’enquête fut reprise à partir de 1681 dans une Collection of letters for the improvement of husbandry and trade de John Houghton, fellow de la Royal Society (London 1681, 1683, 4°, 2 vol.), et de nouveau entre 1692 et 1703, donnant lieu à une nouvelle publication sous le même titre (London 1703, 4° ; rééd. Farnworth 1969). Parmi les méthodes de culture les plus prometteuses citées dans les lettres figurait le système quadriennal d’assolement sans jachères, dit « Norfolk four-course system », qui gagna du terrain tout au long du dix-huitième siècle pour triompher dans la première moitié du dix-neuvième.
[8] Il s’agit apparemment des globes de poche de Joseph Moxon (1627-1700), hydrographe et mathématicien, fellow de la Royal Society, qui, s’il n’inventa pas ce type de globe, le mit à la mode dès 1680. La reine Anne devait lui commander un modèle de luxe pour le présenter au roi de Prusse. La représentation du ciel sur la surface concave du globe céleste, qui servait d’« enveloppe » au globe terrestre, avait le grand avantage de faire voir les constellations comme dans un dôme, alors qu’elles étaient dessinées sur la surface convexe des globes célestes ordinaires : voir E. Dekker et P. van de Krogt, Globes from the Western World (London 1993).
[9] Par l’« Académie » il faut entendre la « Royal Society », dont Justel était devenu membre peu après son arrivée en Angleterre.
[10] Jean de Launoy, docteur de Sorbonne et célèbre « dénicheur de saints » (voir Lettre 80, n.13), était mort quelques années plus tôt, en 1678 : voir le Dictionnaire de Port-Royal, s.v. Justel évoque sans doute la vente des ouvrages individuels de Launoy, car on ne connaît pas, à cette date, de recueil publié de ses œuvres.
[11] Le Père Garnier est l’éditeur du Liber diurnus Romanorum Pontificum. Ex antiquissimis codices M.S. nunc primum in lucem editus (Parisiis 1680, 4°) ; JS du 26 février 1680 : il s’agit d’un recueil de formules usitées par la chancellerie pontificale du au siècle.
[12] L’ Auctarium de Théodoret, évêque de Cyr, né au milieu du siècle et mort vers 458, fut édité également (texte grec et traduction latine) par le Père Jean Garnier, S.J. (1612-1681) : Beati Theodoreti […] Operum tomus V, nunc primum in lucem editus […] opus posthumum (Lutetiæ Parisiorum 1684, folio). Cette édition se présentait comme un cinquième tome des Opera omnia de Théodoret, édités par le fameux érudit jésuite Jacques Sirmond en 1642. Voir JS du 15 mai 1684.
[14] Le roi Charles II.