Lettre 379 : Charles Drelincourt à Pierre Bayle
L’erreur de fait étant éfacée, et le mérite inconnu étant reconnu, tout-ira bien, Dieu aidant [1].
Ce n’est point de la plume, mais du cœur, que je vous avois dispensé d’une réponse [2]. Car, de bonne-foy, Monsieur, je vous plains dans votre travail excessif ; et vous y succomberez, si vous ne vous-y ménagez-pas.
Il faut avoir le discernement aussi-fin que vous l’avez, Monsieur, pour m’avoir reconnu dans des billets qu’une Excellence de La Haye vous a envoyez. C’est un récit, ou un raport de l’état de feuë Mademoiselle la comtesse de Bréderode, qui est morte icy, et qui étoit la belle sœur de Mr le marquis de Mompouïllan, mon ancien amy, et avec qui il paroit par mon 1 er billet que je m’étois entretenu [3].
Comme cette Académie fourmille d’envieus, l’on y crevoit de dépit de ce que la défunte rejettoit tous les autres médecins. L’on a donc eté ravy de pouvoir publier qu’on avoit trouvé ma malade morte dans son lit.
Je replique qu’il me sufit d’avoir un si bon-garent et un si fidéle dépositaire de mes pensées que Mr ** qu’il n’y a pas-un / de mes billets qui se démente : qu’on les confronte tous, qu’ils sont tous-funestes, et même ceus qui sont écrits lors que les aparences nous flatoient le-plus etc.
Sic pag[es] 30 40 42 où j’écris en des termes de la guerre à mon guerrier, et où je luy raporte une comparaison de Vienne assiégée, qui a confondu ceus qui luy promettoient une guérison de M le sa soeur [4].
Je crois donc, Monsieur, qu’il sufit de dire qu’ une personne de qualité, étant malade hors de chez-soy, son médecin a pris la péne d’en écrire, tous les jours, au beau-frére de la malade quelques billets, qui sont autant de pronostics • fidéles, non seulement de la mort, mais du genre de mort, qui luy a ravy son illustre d[emoisel]le etc. Car ce n’est-pas à des gens de vostre trempe, Monsieur, qu’on trace un plan de ce qu’ils doivent construire.
Puis-que vous acceptez mon cœur et mon estime, mon amour ne sera plus un amour, mais une amitié. •
Notes :
[1] Drelincourt avait eu l’impression fausse que Bayle était hostile à l’égard de Jacques Du Rondel : en lisant les NRL, il s’est convaincu de son erreur : voir Lettre 377.
[2] Voir la Lettre 377, où Drelincourt dispensait Bayle de répondre.
[3] Il s’agit sans doute de Sophie de Brederode (1620-1678), épouse de Christian-Albrecht de Dohna ; elle était la sœur d’ Amélia Wilhelmina, épouse d’ Armand Nompar de Caumont, marquis de Montpouillan : sur elle voir Lettre 26, n.2. Après une carrière militaire, Montpouillan se retira en Hollande au moment de la révocation de l’Edit de Nantes : voir Lettre 244, n.37.
[4] Charles Drelincourt, De feminarum ovis, p.30, 40, 42.