Lettre 420 : Henri Justel à Pierre Bayle
Nous continuons Monsieur à lire vos Nouvelles avec bien du plaisir et du profit aussi bien que vos Lettres qui vous servent d’apologie [1]. Je ne vous ai rien mandé touchant la physique et les experiences parce que depuis quelque temps on n’a rien faict ici de considerable. Monsieur Boyle a donné au public un Traitté des eaux minerales [2]. Il y a un traitté De menstruis mulierum en latin [3], et un autre De motu circulari sanguinis [4]. L’algebre de Mr. Wallis qui est in folio est achevée [5][.] Nous avons aussi un livre touchant le dessechement des marais qui sont en Angleterre avec une grande carte [6][,] il y a sous la presse un Dialogue d’un admiral et d’un capitaine de vaisseau qui s’entretiennent de tout ce qui regarde la marine [7][.] Vous scavez qu’il y a une Morale chretienne et diabolique qui a esté imprimée à Lyon [8] qu’on a deffendüe. Je m’etonne que vous n’ayez pas oui parler d’un traitté qui est contre les libertes de l’Eglise gallicane. Celuy qui l’a faict respond à Mess rs Du Puy, Vigor, Leschassier[,] de Marca et Launoy et deffend les papes. On dit qu’il est imprimé à Brussele [9][.] Un de mes amis doit traduire une Relation du voyage de Moscovie à la Chine par terre faicte par un nommé Spatarius [10]. Comme il entend fort bien le moscovite et qu’il ecrit bien en latin il nous donnera un livre curieux. Il est à Venise où il travaillera avec assiduité. Le Voyage du Pere Mabillon [11] est imprimé il y a long temps. Sans la Hollande nous n’aurions point de livres nouveaux. Je suis Monsieur avec estime votre tres humble et tres obeissent [ sic] serviteur[.]
A Monsieur/ Monsieur Bayle professeur/ en philosophie et en histoire/ à Rotredam/ A Rotredam
Notes :
[1] Justel reçoit régulièrement les NRL et accuse réception des Nouvelles lettres critiques de Bayle.
[2] Voir Robert Boyle, Short memoirs for the natural experimental history of mineral waters (London 1684-1685, 8°).
[3] Il se peut que Justel désigne ici l’un des ouvrages de Charles Drelincourt, professeur de médecine à l’Université de Leyde, publications que Bayle connaissait bien, puisqu’il était en correspondance avec l’auteur : De fœminarum ovis, tam intra testiculos et uterum, quam extra, ab anno 1666 ad retro secula (Lugduni Batavorum 1684, 12°), compte rendu NRL, décembre 1684, art. XIII ; De conceptione adversaria (Lugduni Batavorum 1685, 12°), compte rendu NRL, mai 1685, art. XI ; De humana fœtûs membranis hypomnemata (Lugduni Batavorum 1685, 12°), compte rendu NRL, juin 1685, art. VII ; enfin, Super humani fœtûs umbilico meditationes elencticæ (Lugduni Batavorum 1685, 12°), compte rendu NRL, août 1685, art. VI : tous ces ouvrages étant conçus comme des éléments constituant sa Bibliotheca anatomica.
[4] Il se peut que Justel désigne ici l’ouvrage Œconomia animalis ad circulatem sanguinis breviter delineata, in duas partes distributa. Item generatio hominis ex legibus mechanicis (Goudææ 1685, 8°), qui est un manuel composé par les écoliers de M. Craanen, professeur de médecine à l’Université de Leyde ; la troisième partie est, en effet, consacrée à la circulation du sang et à la génération : voir le compte rendu de Bayle dans les NRL, juin 1685, art. V.
[5] Voir John Wallis, A Treatise of algebra, both historical and practical : shewing the original, progress, and advancement thereof, from time to time ; and by what steps it hath attained to the height at which it now is. With some additional treatises, I. Of the Cono-cuneus ... II. Of angular sections ; and other things relating thereunto, and to trigonometry. III. Of the angle of contact ... IV. Of combinations, alternations, and aliquot parts (London 1685, folio) ; édition en latin De algebra tractatus : historicus et practicus / Anno 1685 Anglice editus ; nunc auctus Latine ; Cum variis appendicibus ; partim prius editis Anglice, partim nunc primum editis. Operum mathematicorum volumen alterum (Oxoniae 1693, folio).
[6] Sur le dessèchement des marais d’Angleterre et la carte, voir Lettre 321, n.3.
[7] Voir Nathaniel Butler (parfois Boteler), Six dialogues about sea-services : between an high-admiral and a captain at sea, concerning The commanders in chief, in dialogue the first, The common mariner, in dialogue the second, The victualling out of ships, in dialogue the third, The names of all the parts of a ship, in dialogue the fourth, The choice of the best ships of war, in dialogue the fifth, The sailings, signals, chases and fights, in dialogue the sixth (London 1685, 8°).
[8] Nous n’avons pu localiser un ouvrage portant le titre Morale chrétienne et diabolique : dans la première édition des NRL, juin 1685, art. IX, in fine, Bayle faisait mention de cet ouvrage, imprimé à Lyon et interdit. Cette mention disparaît des éditons ultérieures des NRL.
[9] Voir NRL, juillet 1685, art. I, où est mentionné l’ouvrage d’ Antonio Charlas, Tractatus de libertatibus Ecclesiae gallicanae, continens amplam discussionem Declarationis factae ab illustrissimis archiepiscopis et episcopis Parisiis mandato regio congregatis anno 1682 (Leodii 1684, 4°). Il répond à Pierre Dupuy, Traittez des droits et des libertez de l’Eglise gallicane. Avec les preuves (s.l. 1639, folio), qui avait connu une nouvelle édition augmentée en 1652 ; Simon Vigor (1556-1624), Apologia de suprema romani pontificis in ecclesiam potestate, adversus Andream Duval (Parisiis 1615, 8°) et De l’Etat et gouvernement de l’Eglise (Troyes 1621, 8°) ; Jacques Leschassier (1550-1625), De la Liberté ancienne et canonique de l’Eglise gallicane, aux cours souveraines de France (Paris 1606, 8°) ; Pierre de Marca, De primatu Lugdunensis et ceteris primatibus dissertatio (Parisiis 1644, 8°), Epistola ad [...] Henricum Valesium de tempore quod primum in Galliis suscepta est Christi fides (Parisiis 1658, 8°) et son Exercitatio de singulari primatu Petri, dans ses Opuscula (Parisiis 1681, 8°) ; Jean de Launoy avait engagé une longue dispute avec Jean David sur la même question : voir Lettre 258, n.16.
[10] L’auteur de ce récit est le Hongrois Nicolae Milescu Spãtarul, dit Nicolas Milescu le Spathaire.
L’ouvrage a été publié sous le nom de Foy de La Neuville, Relation curieuse et nouvelle de Moscovie. Contenant, l’état présent de cet empire. Les expéditions des Moscovites en Crimée, en 1689. Les causes des dernières révolutions. Leurs moeurs, et leur religion. Le récit d’un voyage de Spatarus, par terre à la Chine (Paris 1698, 12°). Leibniz en avait donné la traduction latine en 1697 : Novissima sinica, historiam nostri temporis illustratura in quibus de christianismo publica nunc primum autoritate propagato missa in Europam relatio exhibetur, deqve favore scientiarum europæarum ac moribus gentis et ipsius præsertim monarchæ, tum et de bello Sinensium cum Moscis ac pace constituta, multa hactenus ignota explicantur ([Leipzig ?] 1697, 12°).
[11] A cette date, le seul voyage de Mabillon publié est l’ Iter Germanicum, publié dans le Veterum Analectorum tomus IV, cum adnotationibus et aliquot disquisitionibus (Parisiis 1685, 8°). Il n’y a donc pas « très longtemps » qu’il est paru ; il faisait l’objet d’un compte rendu dans le JS, du 28 mai 1685.