[Rotterdam, le 8 juin 1685]

Au très illustre Jean-George Graevius

J’ai lieu de vous rendre de nouvelles actions de grâces pour m’avoir fait part de ce que votre très illustre ami Petit offre au monde littéraire [1]. Je verrais très volontiers sa dissertation de Amazonibus [2] et si vous pouviez m’en permettre brièvement l’usage (en effet cela me suffit) je ferais dans le journal de juillet le compte rendu des choses les plus dignes de remarque. Quant aux livres que vous me demandez, vous aurez comme réponse que notre libraire Leers ne possède ni Suétone in usum Delphini [3] ni les œuvres posthumes de Vavasseur [4], mais comme je les ai, je vous les envoie très volontiers. Si seulement je pouvais envoyer Suétone, mais il ne m’est pas possible de l’envoyer, ne le possédant pas, et je ne connais pas non plus d’ami à qui le demander ; je suis capable seulement de vous indiquer d’où vous pourriez facilement le procurer. Il y a maintenant à Utrecht un jeune homme très brillant et très noble qui m’a employé comme précepteur en philosophie pendant presque trois ans et qui, muni des plus grandes qualités d’esprit, poursuit avec le plus grand succès l’étude des humanités, pour lesquelles il a du penchant. Son nom est Vroeze [5]. Il fait maintenant des études de droit chez vous autres et si je ne me trompe vous en avez entendu parler. Il désirait ardemment faire personnellement votre connaissance, vous connaissait déjà par vos écrits et votre réputation, et vous admirait beaucoup. Il possède presque tous les Commentaires in usum Delphini ; et je suis sûr que celui qui concerne Suétone figure dans sa bibliothèque. Cela lui fera grand plaisir de vous contenter dans cette affaire et il cherchera avec empressement à témoigner ainsi sa considération. Faites-lui donc savoir que vous désirez consulter tel ou tel livre et tout de suite il s’occupera de se le faire envoyer, je crois même qu’il a laissé des volumes de ce genre à Rotterdam, qui est sa ville natale. Vous verrez d’ailleurs dans ce commentaire des choses de votre cru. L’auteur affirme en effet dans sa préface avoir utilisé principalement les travaux de Casaubon [6], de Torrentius [7] et de Graevius [8]. Quant à savoir s’il découvrira quelque chose de neuf, j’en doute fort. En attendant, souvenez-vous de votre promesse de nous rendre visite que nos Jurieu et Henricius ont été ravis d’entendre réitérer. Ils me prient de bien vous saluer. Adieu, homme très érudit et vivez en vous souvenant de moi à qui vous êtes cher.

A Rotterdam le 8 juin 1685.

 

J’ai récemment lu la dissertation d’un de vos amis, nommé Morhof, de patavinitate Liviana [9], qui m’a grandement plu par sa collection de choses curieuses. Morhof cite beaucoup de livres qui me sont mal connus, comme l’ Historia sacrae latinitatis de Melchior Inchofer [10] ; Gaddius de scriptoribus [11] ; Daumius de amissarum radicum linguae latinae caussis [12]. Il fait espérer un ouvrage d’une érudition étonnante intitulé Roma Attica [13] dont le m[anu]s[crit] existe chez le très savant Borrichius [14]. Je ne doute pas que vous ne connaissiez tous ces livres et auteurs sur le bout du doigt.

Notes :

[1La lettre du début du mois de juin par laquelle Grævius annonçait l’ouvrage de Pierre Petit ne nous est pas parvenue.

[2Voir Petri Petiti, philosophi, & doct. medici. De Amazonibus dissertatio, quà an verè extiterint, necne, variis ultro citroque conjecturis & argumentis disputatur. Multa etiam ad eam gentem pertinentia, ex antiquis monumentis eruuntur atque illustrantur (Lutetiae 1685, 12° ; 2e édition, Amsterdam 1687, 8°). Voir NRL, août 1685, art. I. Sur les raisons qui avaient été avancées pour ne pas donner la même éducation aux femmes qu’aux hommes, Bayle observe narquoisement : « Je n’aurais pas tiré ces remarques [du texte] latin si je n’avais pas considéré qu’il est important au beau sexe, qu’il sache ce que l’on publie contre lui : car c’est lui fournir l’occasion de faire son apologie, ou par le moyen de quelqu’une de ces dames qui écrivent si bien présentement, ou si elles n’en veulent pas prendre la peine, par le moyen de cent écrivains officieux, qui se feront une joie de leur fournir toute sorte d’armes offensives et défensives ».

[5Il a été impossible d’identifier plus précisément ce Vroeze, étudiant à Utrecht en 1685 ; il s’agit manifestement d’un membre de la famille patricienne de Rotterdam : Jan Vroesen, né en janvier 1672, Adriaen Vroesen, son frère aîné, né en mars 1668, ou bien Adriaen, leur cousin, né lui aussi en mars 1668. Le registre Album Studiosorum Academiae Rheno-Traiectinæ, MDCXXXVI-MDCCCLXXXVI (Utrajecti 1886), p.90, ne mentionne que Jan, qui s’inscrivit officiellement à l’université en 1692 : voir aussi S. Berti, « Jan Vroesen, autore del Traité des trois imposteurs ? », Rivista storica italiana 103 (1991), p.528-543.

[14Oluf Borch (1626-1690), docteur en médecine, fut professeur de philologie, de chimie et de botanique à l’université de Copenhague.

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