Lettre 619 : François de La Ville à Pierre Bayle
J’ai sujet de me plaindre, Monsieur, de la maniere peu honneste* dont vous parlés de moi dans l’article 8 des Nouvelles de la republique des lettres du mois de juilliet au supplement [1]. Vous me faites autheur d’un livre où mon nom n’est point, et sur une lettre borgne* vous me voulés donner un air ridicule. En verité, Monsieur, vous vous faites tort en faisant des extraits des miserables memoires qu’on vous fournit qui n’ont rien de commun avec les Prejugés contre le jansenisme et, si je le puis dire sans vous fascher, qui n’ont rien digne d’estre connu des savans de l’Europe. J’espere, Monsieur, que vous ne me citerés à l’avenir que quand vous serés sûr que / je suis auteur, et qu’alors vous ne publierés point de miserables reproches personnels. En verité pourquoi attaqués vous un homme qui ne vous a jamais rien fait et qui n’est coupable que d’avoir découvert les vrais caracteres du plus grand ennemi des protestants et du plus-insigne trompeur qui ait jamais esté dans l’Eglise romaine. Ne violés pas le droit des gens, gardés des mesures d’honnesteté dans vos Nouvelles, observés les regles de la charité chrétienne, ne parlés que des ouvrages, laissés les personn[es] des auteurs anonymes en repos, et vous en serés beaucoup plus approuvé. Mes religieux [2] vous remercient de ce que vous les mettés dans les Nouvelles de la republique des lettres, quoiqu’ils ne soient pas de grands hommes ils sont de fort honnestes gens qui vous remercient de vostre obligeant souvenir. Au reste, Monsieur, la protection que S[on] A[ltesse] R[oyale] de Savoie a donné[e] à cet ouvrage m’a fait croire que vous vous repentiriés d’avoir parlé dans vostre supplément si malhonnestement de celui que vous en faites l’auteur. Quoiqu’il en soit souvenés vous de ces deux paroles diligite homines, interficite errores [3], et me croiés vostre tres humble serviteur.
Notes :
[1] Sur l’abbé François de La Ville et son ouvrage Préjugés contre le jansénisme, voir Lettre 581.
[2] Allusion au passage de l’article de Bayle, tiré de la lettre anonyme qu’il avait reçu au sujet du livre de François de La Ville : « Il reussira sans doute encore mieux dans l’Eglise de son prieuré de Bellevaux, parce qu’étant située entre quatre ou cinq montagnes et éloignée d’une demy lieüe de tout village, il y sera rarement entendu que par des religieux idiots qui la desservent » (Lettre 581, p.451).
[3] Saint Augustin, Contra litteras Petiliani, i.29, « Aimez les hommes, exterminez les erreurs ».