Lettre 780 : Pierre Bayle à Gilles Ménage
Monsieur
Apres vous avoir souhaitté une bonne et heureuse année ad multos annos, je vous dirai que je me suis acquitté le plus exactement que j’ai pu de vos commissions [1]. Je ne puis me consoler de ce que la voie d’Utrecht a eté plus favorable à l’ Heautontimoroumenos que celle de Rotterdam [2]. Il faut que nous aions ici des gens plus ombrageux que dans tout le reste du pays, et qu’on donne des ordres au commis de la poste d’arreter tous les gros paquets. On n’auroit rien à dire si ce n’etoit que pour voir s’il y a des choses qui ne doivent pas etre envoiées, mais apres avoir veu que ce ne sont que des livres qui se vendent ici publiquement, et de pure erudition sans relation aux affaires d’Etat, ils devroient refermer les paquets, et les envoier à leur adresse. La poste y trouveroit son compte, veu les personnes à qui on les adresse qui n’ont / point l’exemption des ministres d’Etat.
Mr de Beauval n’a point recu encore le paquet que Mr Jannisson lui a fait tenir où sont les exemplaires de votre tres curieuse dissertation sur les femmes philosophes [3], et je crains bien que les glaces n’aportent un nouveau retardement à l’arrivée de ce paquet qu’on lui a donné avis avoir eté embarqué à Hambourg pour Rotterdam. Cependant Monsieur, le dernier journal de Mr de Beauval annonce l’ouvrage et les additions [4], mais il n’en donnera point d’extrait qu’il n’ait recu vos additions.
Mr Wetstein m’a fait savoir par lettre du 13 e du passé [5] qu’il n’avoit plus que 15 ou 18 feuilles à imprimer du texte de Laerce accompagné des notes d’ Aldobrandin, d’ Etienne et des 2 Casaubons [6] ; et que pour les votres Monsieur qui s’impriment à part [7] on a commencé d’y travailler, qu’ainsi il fait fond d’avoir fait l’eté prochain. Mr de Beauval, ou Mr Basnage ou tous 2 ensemble (car ils ont eté tous deux à Amsterdam depuis que j’ai recu votre derniere) lui ont dit que vous le priiez de vous envoier par la poste la 1 ère feuille de vos notes. Je ne sais pas s’il l’a fait.
Quant aux Mescolanze [8], j’en ai parlé à Mr Leers le plus instamment que j’ai pu, et selon vos / ordres Monsieur, je lui ai dit que s’il ne vouloit pas les imprimer en prenant de vous pour son dedommagement ce qui seroit trouvé à propos, vous souhaittiez qu’il me remit l’ouvrage. Il m’a repondu qu’il ne vouloit point de votre argent et qu’il feroit tout ce qu’il pourroit pour vous donner satisfaction en cela. Je crains toujours les renvois, à cause que la librairie va fort mal ici depuis la guerre. Le Suetone de Mr Grævius où il a joint quelques nouvelles notes à celles de l’edition de 1672 est en pleine vente [9]. On dit qu’il doit donner un Callimachus avec ses notes [10].
Je finis Monsieur, comme j’ai commencé en vous souhaitant à ce jour-cy des kalendes de janvier toute sorte de bonheur et de joye tant pour cette année 1691 que pour tout le reste du siecle et au delà bien avant dans le 18 e. Mr de Larroque à qui je prens la liberté d’écrire sous votre couvert [11], m’a parlé avec beaucoup d’eloge de vos remercimens à la deesse Mnemosyne [12]. Vous ne sauriez jamais assez reconnoitre les faveurs que vous en avez receues.
Je suis avec toute sorte de respect et de veneration Monsieur votre tres humble et tres obeissant serviteur
A Monsieur / Monsieur l’abbé Menage / au Cloitre Notre Dame / A Paris
Notes :
[1] Bayle répond à une lettre perdue de Ménage ; toutes les lettres de celui-ci adressées à Bayle sont perdues. A cette date, la dernière lettre de Bayle à Ménage que nous connaissions est celle du 23 novembre 1690 (Lettre 767).
[2] Sur l’envoi à Ménage d’un exemplaire de son propre Discours sur l’Heautontimoroumenos de Térence par Larroque et puis par l’intermédiaire de Janiçon, voir Lettre 767, n.2, et Lettre 772, n.16.
[4] Aucun article concernant cet ouvrage de Ménage ne devait paraître dans l’ HOS de Henri Basnage de Beauval ni dans la BUH de Jean Le Clerc.
[5] Aucune lettre de la correspondance entre Bayle et Henri Wetstein, l’imprimeur d’Amsterdam, ne nous est parvenue.
[6] Diogenis Laertii De Vitis, Dogmatibus Et Apophthegmatibus Clarorum Philosophorum Libri X. Græce Et Latine, cum subjunctis integris Annotationibus Is. Casauboni, Th. Aldobrandini et Mer. Casauboni. Latinam Ambrosii Versionem complevit et emendavit Marcus Meibomius. Seorsum excusas Aeg. Menagii in Diogenem observationes auctiores habet volumen II, ut et ejusdem Syntagma de mulieribus philosophis et Joachimi Kühnii ad Diogenem notas [...] (Amstelædami 1692, folio, 2 vol.).
[7] Il s’agit d’une nouvelle édition du commentaire de Ménage, In Diogenem Laertium observationes et emendationes (Paris 1663, 8°), incluse dans la nouvelle édition de Diogène Laërce citée ci-dessus, n.6.
[8] Sur les Mescolanze de Ménage, voir Lettres 726, n.11, 727, n.2, et 736, n.1.
[9] C. Suetonius Tranquillus, ex recensione Joannis Georgii Graevii cum ejusdem animadversionibus, ut et commentario integro Laevini Torrentii, Isaaci Casauboni et Theodori Marcilii, nec non selectis aliorum. Editio secunda (Hagæ-Comitis 1691, 12°).
[10] L’édition de Callimaque établié par Jean-Georges Graevius s’intitule : Callimachi Hymni, epigrammata, et fragmenta ex recensione Theodori J.G. F. Graevii cum ejusdem animadversionibus. Accedunt N. Frischlini, H. Stephani, B. Vulcanii, P. Voetii, A. T. F. Daceriæ, R. Bentleji, commentarius, et annotationes [...] Ezechielis Spanhemii Nec non præter fragmenta, quæ ante Vulcanius et Daceria publicarant, nova, quæ Spanhemius et Bentleius collegerunt, et digesserunt. Hujus cura et studio quædam quoque inedita epigrammata Callimachi nunc primum in lucem prodeunt (Ultrajecti 1697, 12°, 2 vol.). Le volume II porte le titre : Ezechielis Spanhemii in Callimachi hymnos observationes.
[11] Cette lettre est perdue, comme la plupart des lettres que Bayle a adressées à Daniel de Larroque.