Lettre 797 : Jacques Du Rondel à Pierre Bayle
Quand je serois encore quatre mois à chercher un Contre-assassin [1], je vois bien, mon cher Monsieur, que je n’en viendrois pas à bout. C’est assurément un livre tombé dans l’abysme de ceux quos fama obscura recondit [2], et il n’y a plus moyen de le tirer dias in luminis oras [3] ; son génie l’a abandonné à l’oubli. Ce qu’il y a de meilleur en cecy ; c’est qu’il y aura des gens qui auront, sans doute, travaillé sur le mesme sujet du Contre-assassin, et qu’ainsi rien ne vous arrestera dans vostre cariére. Je le souhaite fort, et il me tarde bien que je ne voye ce que vous aurez fait. J’en scauray des nouvelles, quand il vous plaira.
Mr de S[aint] Maurice [4] me dit, huit jours avant que de partir, que vous estiez sur le poinct de vous jetter sur la harasse* d’ Orkius [5]. Je vous supplie / très humblem[en]t de me mander* ce qui en est, et s’il en sera quitte pour un oeüil. Vous scavez bien que je prends beaucoup d’interest en ce qui vous regarde, et qu’on me sevreroit du plus grand plaisir de ma vie, si on me defendoit de vous lire : adieu, mon cher Monsieur.
Ce 2 may 1691.
A Monsieur / Monsieur Bayle professeur / en philosophie. / A Roterdam •
Notes :
[1] David Home (ou Hume), Le Contr’assassin, ou response à l’apologie des jésuites, faite par un père de la Compagnie de Jésus de Loyola et refutée par un très humble serviteur de Jésus Christ (s.l. 1612, 8°) : voir Lettre 785, n.2.
[3] Lucrèce, De rerum natura, i.22 : « aux rivages divins de la lumière ».
[4] Jacques Alpée de Saint-Maurice, ancien collègue de Bayle et de Larroque à l’académie de Sedan, devenu pasteur et professeur de théologie à Maastricht : sur lui, voir Lettre 114, n.9.
[5] Bayle était en effet sur le point de réagir à la dénonciation par Jurieu, dans son Examen d’un libelle, de l’ Avis et de l’implication de Bayle dans l’élaboration du projet de paix de Goudet, en publiant, chez Reinier Leers, La Cabale chimérique, ou Réfutation de l’histoire fabuleuse et des calomnies que Mr J[urieu] vient de publier malicieusement touchant un certain projet de paix dans l’« Examen d’un libelle etc. intitulé « Avis important aux réfugiez » (Rotterdam 1691, 12°) ; une seconde édition parut aussitôt sous l’adresse (Cologne, P. Marteau, 1691, 12°), mais provenait également de l’imprimerie rotterdamoise de Leers.