Lettre 840 : Pierre Bayle à Jacques Du Rondel
• Voici, mon tres-cher Monsieur, le livre promis [1], je vous prie de donner l’un des deux exemplaires à Mr de S[ain]t Maurice [2], en lui faisant mes excuses de ce que je ne lui ecris pas. J’ai un des plus méchans historiens du monde, en abrégé parmi mes livres, c’est un feuillant nommé S[ain]t Romuald [3], il dit et cite Le Prince de Balzac [4] ; que Philippe le Bel envoyant demander la fille de Charles le Boiteux, roy de Naples, pour son frere Charles de Valois, les ambassadeurs voulurent voir si elle tenoit de l’imperfection de son pere, et qu’elle se fit voir à eux avec une chemise fort déliée, ajoûtant qu’elle ne feroit point de conscience de la quitter pour une couronne. J’ai parcouru tout Le Prince de Balzac ce matin sans trouver cela. Vous qui savez ad unguem où est tout ce que vous avez leu, me pourriez être un garand seur si le moine cite à faux ou non.
En cherchant j’ai trouvé une sentence d’ Agathon citée par Monsieur de Balzac qui me paroît suspecte [5] ; il fait dire à Agathon « que cela seulement est vraisemblable ; qu’il arrive des choses contre la vraisemblance ». Je connois un passage à peu près comme celui là dans Seneque, mais l’adverbe seulement me choque dans l’Agathon de Balzac. Je voudrois qu’il ne l’eust pas dit : car cela rend sa pensèe fausse.
Je suis tout à vous mon cher Mons r
Notes :
[1] Du Rondel avait déclaré, dans sa lettre de fin juillet 1691 (Lettre 817), avoir envoyé « votre réfutation orkiale » à Marcilly : il s’agissait alors, sans doute, de La Cabale chimérique, parue au mois de mai 1691. Bayle déclare ici envoyer le « livre promis », avec un exemplaire pour Jacques Alpée de Saint-Maurice : il s’agit vraisemblablement de La Chimère de la cabale (parue au mois de septembre) ou même du pamphlet Janua cœlorum reserata, paru au même mois de décembre 1691 et auquel Du Rondel fait allusion dans sa lettre suivante du 19 décembre (Lettre 842).
[2] Jacques Alpée de Saint-Maurice : voir Lettre 114, n.9.
[3] Sur le Trésor chronologique et historique de Pierre Guillebaud, en religion le Père de Saint-Romuald, voir Lettres 549, n.14, et 526, n.2.
[4] En effet, cette anecdote sur Philippe le Bel et la fille de Charles le Boiteux ne figure pas dans l’ouvrage de Jean-Louis Guez de Balzac, Le Prince (Paris 1631, 4°). Bayle s’en prend très durement aux citations infidèles de Saint-Romuald dans le Projet de dictionaire, p.271, et dans le DHC, art. « Erasme », rem. D.
[5] Bayle revient sur cette sentence dans l’article « Agathon » du DHC, rem. F : «