Lettre 88 : Pierre Bayle à David Constant
Je n’ose presque, mon tres cher Monsieur, vous faire savoir que je suis encore au monde, parce que c’est vous detromper de la bonne opinion que vous avez sans doutte toujours euë de la cause de mon silence. Selon toutes les apparences vous avez creu que j’etois mort, puis que je ne vous ecrivois pas, et sur ce pied là bien loin de m’accuser d’avoir violé la religion de l’amitié, vous plaigniez et vous pleuriez mon trepas. Mais à present que je vous fais savoir que je suis plein de vie, oh, je ne puis echapper* ma condemnation, et vous m’allez juger tout à cette heure, comme atteint et convaincu d’un cas enorme* mais dites plutot votre alphabet, mon cher Monsieur, selon la pensée du bon homme Athenodore [1]. Car la colere vous pourroit faire exceder la mesure du chatiment, et vous serez plus rassis etant parvenu à l’
Notes :
[1] Athénodore, philosophe stoïcien, fut le maître d’ Octave, qui le garda à ses côtés quand il devint empereur. L’historiette est relatée par Plutarque, Apophtegmes, trad. Amyot : « Les dicts notables des anciens roys, princes et grands capitaines » : « César Auguste » (f.188-209), Œuvres morales et meslées (Paris 1572, folio), f.209.
[2] Le terme « alphabet » est forgé sur le nom des deux premières lettres de l’alphabet grec ; en langue vernaculaire, son équivalent exact est « ABC ». La dernière lettre de l’alphabet grec est « oméga ».
[3] Code Théodosien, viii.40.13.
[4] Les postes du royaume dépendaient de Louvois : voir E. Vaillé, Histoire générale des postes françaises (Paris 1947-1955), iv.469-74 ; A. Corvisier, Louvois (Paris 1983), p.222-240.
[5] Bayle n’avait confié qu’à Minutoli et à Chouet les véritables motifs de son départ de Coppet. Comme le comte de Dohna, Constant croyait que Bayle avait été rappelé au Carla par son père malade. Le comté de Foix, où Bayle feint de se trouver lorsqu’il écrit la présente lettre, ne bénéficiait pas encore d’un service postal régulier.
[6] Lausanne et le Pays de Vaud étaient alors une possession de Berne et les magistrats supérieurs de ce canton étaient appelés « advoyers ».
[7] Le Pays de Foix ne connut sa première route carrossable que dans la seconde moitié du siècle.
[8] Sur le frère de Constant, voir Lettre 48, n.3 ; sur Mlle Marcombes, voir Lettre 28, n.6, et 55, p.275 ; sur L’Illustre Bassa, voir Lettre 48, n.9, et sur le Mercure hollandois, voir Lettre 37, n.31.
[9] Voir Lettre 81, n.3, sur ces victoires de Turenne en Alsace. La phrase de Bayle semble attester des sympathies francophiles chez Constant, en dépit des bonnes relations que celui-ci entretenait avec la maisonnée de Coppet.
[10] Le poste de principal du collège de Lausanne était pour Constant une pierre d’attente, avant l’obtention d’une chaire à l’académie.
[11] Sur « Mademoiselle Constant », la femme de Constant, voir Lettre 21, n.17 ; sur Girard des Bergeries, voir Lettre 10, n.44, et Lettre 48, n.5.
[12] Les Cantons suisses avaient scrupuleusement respecté leur neutralité et, par conséquent, interdit aux troupes coalisées le passage à travers leurs territoires (voir Lettre 81, n.7), ce qui avait été précieux pour la France.
[13] Voir la Gazette, n° 25, nouvelle de Strasbourg du 8 mars 1675.
[14] Nicolas Bautru, marquis de Vaubrun, allait être tué à Altenheim le août suivant, alors qu’il commandait avec Lorges l’armée de Turenne, celui-ci venant d’être emporté par un boulet. Vaubrun avait été Résident de France auprès des Cantons helvétiques dans le passé. Bayle tire ce qu’il dit de la Gazette, n° 27, nouvelle de Brisac du 17 mars 1675, et n° 30, nouvelle de Strasbourg du 25 mars 1675.
[15] Voir Lettre 81, n.5 et 7 : Bayle adopte sans réserve l’optique officielle française : voir la Gazette, n° 32, nouvelle de Strasbourg du 29 mars 1675.
[16] En dépit de sa nomination à Lausanne, Constant continuait à fréquenter les Dohna. Lausanne était sensiblement plus éloigné de Coppet que Genève, mais un cavalier pouvait franchir la distance assez vite ; au surplus, le déménagement à Lausanne de la maisonnée de l’ancien pasteur de Coppet n’avait peut-être pas encore eu lieu.