Lettre 888 : Pierre Bayle à Etienne Morin

[Rotterdam, le 20 septembre 1692]

Monsieur
Je vous suis le plus obligé du monde de la bonté que vous avez euë de me communiquer tant de bons et seurs eclaircissemens [1] ; et je vois bien que j’avois raison de croire que je ne pouvois m’adresser mieux qu’à vous ; personne ne possedant autant que vous Monsieur, les deux qualitez qu’il faut pour cela, savoir la diligence* et l’exactitude d’un coté, et l’humeur obligeante et officieuse de l’autre. Je vous suplie d’etre fortement persuadé de ma profonde reconnoissance. J’ai lu autrefois avec plaisir la harangue latine que Mr Morus prononcea à Amsterdam à son retour d’Italie [2] et je la veux relire encore. C’est apparemment la meme que celle dont vous me parlez, où il apliqua le sic me servavit Apollo [3]. J’ai eté ravi de lire le plaidoyer de Mr Talon et surpris en meme tems qu’il se soit servi de termes si honorables pour nos ministres, car il les qualifie « ministres de la parole de Dieu, constituez dans une fonction pure et sainte » [4]. C’est une piece digne / d’etre conservée, comme vous avez fait Monsieur, et je vous la renvoie des aujourd’hui afin que vous lui redonniez la place qu’elle occupoit parmi d’autres papiers curieux et rares que vous avez sans doutte ramassez avec soin. J’ai eté fort aise de ce qu’il vous a plu me communiquer touchant les synodes wallons de 1659. J’avois là un hiatus dans mon article de Mr Morus [5] ; car je n’avois rien • trouvé à dire de son passage de Hollande en France. Vous me fournissez dequoi remplir cette lacune tres exactement.

Si j’etois assez heureux pour trouver les occasions de vous rendre mes obeissances respectueuses, je les embrasserois avec une extreme ardeur, etant Monsieur votre tres humble et tres obeissant serviteur
Bayle

A Rotterdam le 20 de sept[embre] 1692

 

A Monsieur/ Monsieur Morin pasteur/ et professeur aux langues/ orientales/ A Amsterdam •

Notes :

[1Bayle remercie Morin des renseignements envoyés en réponse aux questions qu’il lui avait posées concernant Alexandre Morus dans sa lettre du 3 septembre 1692 (Lettre 883). La réponse de Morin ne nous est pas parvenue.

[2 Alexandri Mori Oratio habita in illustri Amstelodamensium Lycæo... super insigni Venetorum victoria, die XXVI junii a. 1656 de Turcis reportata, et Epinicia, carmen ejusdem argumenti ad [...] principem Joannem Pisaurum (Amstelodami 1658, folio). Bayle fait allusion à cette harangue dans le DHC, art. « Morus, Alexandre », rem. D : « On voit dans une harangue latine qu’il récita à Amsterdam après son retour d’Italie, pourquoi il n’était pas retourné plutôt. Il y expose plusieurs dangers qu’il avait courus. » La remarque E du même article est consacrée à la réception de Morus chez le grand duc de Toscane, sur la maladie qu’il subit alors et sur les soins que lui apporta un médecin italien : Bayle tire ces informations d’un Panégyrique de M. Morus (Amsterdam 1695, 12°).

[3Horace, Satires, 1,9,78 : « ainsi m’a sauvé Apollon ».

[4Nous n’avons pas trouvé trace de ce plaidoyer dans le Mercure galant ni dans les Œuvres d’Omer et Denis Talon, éd. D.-A. Rives (Paris, 1821, 6 vol.). Bayle s’étonne à juste titre des termes flatteurs de la formule citée, car les plaidoyers d’ Omer Talon se caractérisent par leur dureté à l’égard des réformés : voir l’édition citée, iv.68-78, n° 29 : « Le père étant mort, l’éducation d’une fille peut-elle être confiée à la mère qui professe la religion prétendue réformée ? », et iv.175-206, n° 35 : « Un prêtre allant faire profession de la religion prétendue réformée, peut-il contracter mariage ? ». Nous n’avons trouvé aucune mention des réformés dans les plaidoyers de Denis Talon.

[5Sur les « bourrasques » subies par Alexandre Morus aux synodes des Eglises wallonnes, voir Lettre 883, n.5, et DHC, art. « Morus, Alexandre ».

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