Tome XIII : Lettres 1591-1741
INTRODUCTION DU TOME XIII - JANVIER 1703 - DECEMBRE 1706 :
LETTRES 1591 - 1741
La dernière période de la vie de Bayle ressemble aux précédentes : malgré sa maladie – sur laquelle il n’a aucune illusion – il est au travail. Ce sont quatre années d’une grande intensité intellectuelle et d’une grande fécondité.
La deuxième édition du Dictionnaire historique et critique vient de paraître avec les Eclaircissements promis, où il confirme l’échec de la théologie rationaliste devant le problème de l’existence du Mal, incompatible avec notre conception d’un Créateur infiniment parfait. La foi est donc irrationnelle : la doctrine chrétienne est incompatible avec la raison philosophique sur le plan de la logique, de l’ontologie et de la morale : c’est la « folie de la Croix ». Bayle adopte ainsi la définition de la foi comme « zèle », qui est précisément celle de Jurieu – au grand dam de celui-ci, qui est convaincu de l’insincérité du « philosophe de Rotterdam ». Cette prise de position « fidéiste » déclenche la dernière grande bataille de Bayle : celle qu’il mène contre les théologiens « rationaux », Isaac Jaquelot, Jean Le Clerc et Jacques Bernard, querelle intensifiée par les interventions de dom Alexis Gaudin et de William King, qui combattent tous deux les articles « Manichéens » et « Pauliciens » du Dictionnaire, et par le recours de Le Clerc au système des « formes plastiques » de Ralph Cudworth. Bayle saisit l’occasion de démontrer que ces « formes plastiques » fournissent aux matérialistes des armes contre l’objection quod nescit des théologiens : elles permettent d’expliquer comment la matière peut s’organiser sans être guidée par une intelligence créatrice. Lady Masham, la fille de Cudworth, amie de cœur de John Locke, s’émeut et veut prendre la défense de son père, mais, après avoir lu les explications de Bayle, elle renonce à publier sa critique. Le Clerc s’entête cependant et quitte le terrain de l’argumentation : il s’en prend à la personne de Bayle, l’accusant explicitement d’athéisme et le dénigrant auprès de Shaftesbury. Il finira même par demander à Reinier Leers, par l’intermédiaire de Jacques Basnage, de supprimer les derniers écrits de Bayle sur cette question : en vain. Bayle tient à réfuter tous les arguments de ses adversaires avec sa précision scrupuleuse habituelle : sa dernière œuvre, Entretiens de Maxime et de Thémiste, devait rester inachevée à la date de sa mort, mais constitue néanmoins une nouvelle réfutation efficace de la théologie rationaliste. Bayle confirme ainsi sa conclusion dans l’Eclaircissement sur les pyrrhoniens :
Il faut nécessairement opter entre la Philosophie et l’Evangile : si vous ne voulez rien croire que ce qui est évident et conforme aux notions communes, prenez la Philosophie et quittez le Christianisme : si vous voulez croire les Mystères incompréhensibles de la Religion, prenez le Christianisme, et quittez la Philosophie ; car de posséder ensemble l’évidence et l’incompréhensibilité, c’est ce qui ne se peut […] Il faut opter nécessairement…
et sa conception anti-malebranchiste de la « philosophie chrétienne » :
Les Philosophes Chrétiens qui parlent sincèrement disent tout net qu’ils sont Chrétiens, ou par la force de l’éducation, ou par la grâce de la foi que Dieu leur a donnée, mais que la suite des raisonnements philosophiques et démonstratifs ne serait capable que de les rendre sceptiques à cet égard toute leur vie. (Bayle à Naudis, le 8 septembre 1698 : Lettre 1378)
Surtout, ayant ainsi déplacé le débat du champ des raisons – puisqu’il affirme que la foi est parfaitement irrationnelle – à celui des intentions et de la sincérité, la doctrine de la foi « aveugle » ou du fidéisme lui sert désormais de « bouclier » contre les attaques de Jurieu : « Dieu seul sonde les reins et les cœurs » : Jurieu est réduit au silence. C’est une conséquence du positionnement philosophique de Bayle et du déroulement du débat sur la nature de la foi, qu’on tienne Bayle pour sincère ou non. Il peut donc se consacrer à la composition de ses dernières grandes œuvres philosophiques : la Continuation des pensées diverses et la Réponse aux questions d’un Provincial, toutes deux marquées par la démonstration que la raison conduit à l’athéisme, par le retour au rationalisme moral du Commentaire philosophique et par la dénonciation emphatique du fanatisme religieux.
En même temps, à l’initiative de Pierre Des Maizeaux établi en Angleterre, Bayle communique à l’imprimeur londonien Jacob Tonson, secrétaire du Kit-Cat Club, des corrections pour la traduction anglaise de son Dictionnaire. L’entreprise est de taille et entraîne des querelles et des rivalités. Des Maizeaux se désintéresse de la première traduction, à laquelle Michel de La Roche prend une part importante : le résultat, publié en 1710, est désastreux. Deux autres projets sont aussitôt lancés, et Des Maizeaux prend part à tous deux : il révise la première traduction, dont une deuxième version est publiée en 1734 ; il participe également au grand projet dirigé par Thomas Birch d’une traduction dans laquelle s’insèrent d’innombrables articles nouveaux consacrés à d’éminents Anglais, philosophes, écrivains, théologiens, hommes politiques... ; cette nouvelle traduction sort également des presses en 1734 en 10 volumes.
Cherchant à se faire une place dans la République des Lettres, Des Maizeaux multiplie les projets : malgré la réticence de Bayle et de Basnage de Beauval, qui ont peur de réveiller les doutes sur l’auteur de l’Avis aux réfugiés, il voudrait publier une nouvelle édition des pamphlets polémiques composés par Bayle lors de ses grandes batailles avec Jurieu. Ce projet n’aboutit pas, mais, ayant été introduit par Pierre Silvestre dans le cercle de Saint-Evremond, Des Maizeaux est désigné par le vieil épicurien – proche de la mort – pour rassembler ses papiers. Avec Silvestre, il publie en 1705 les Œuvres meslées et compose pour de nouvelles éditions une Vie de Mr de Saint-Evremond sous forme de lettre adressée à Bayle. Malgré les questions pressantes de celui-ci, Des Maizeaux réussit à garder un silence prudent sur les sentiments de Saint-Evremond à l’égard de la religion au moment de sa mort.
Tout au long de cette période, Bayle est en relation avec Lord Shaftesbury, qui, de son côté, soutient financièrement Des Maizeaux et John Toland, s’entretient avec Pierre Coste, correspond avec Benjamin Furly et avec son fils Arent ainsi qu’avec Jean Le Clerc. C’est ainsi qu’un véritable « sous-réseau » de correspondance se constitue entre les anciens amis de John Locke, décédé en 1704. Mais c’est un réseau qui subit les péripéties des querelles philosophiques de Bayle. Le Clerc flatte Lady Masham et multiplie les extraits du « système » de Ralph Cudworth ; il n’hésite pas à dénigrer Bayle auprès de Shaftesbury ; Des Maizeaux en informe Bayle ; Pierre Coste prend sa défense. Celui-ci, traducteur attitré de Locke, se remet de sa déception d’avoir été laissé de côté dans le testament du philosophe anglais et tient Charles Pacius de La Motte, son ami correcteur d’imprimerie à Amsterdam, au courant de sa nouvelle vie dans le « désert » de Chipley auprès du mélancolique Edward Clarke.
Autre « sous-réseau » : celui de l’abbé Dubos, qui compose des pamphlets favorables à la politique étrangère du ministre Colbert de Torcy. Daniel de Larroque, libéré enfin de sa prison à Saumur, est employé comme traducteur au même ministère et collabore avec Jean de La Chapelle et Louis Rousseau de Chamoy, qui font de leur mieux pour contrer les livrets de Casimir Freschot, héritier de Lisola comme polémiste au service de l’empire des Habsbourg. A son retour de La Haye, Bonrepaux prend sous son aile le neveu de Bayle – et futur héritier de ses papiers – Charles de Bruguière, qui est lui aussi employé dans l’administration du ministère des Affaires étrangères.
La correspondance de Bayle reflète ainsi l’actualité politique et militaire. Arent Furly, le fils cadet du quaker Benjamin, poursuit sa carrière grâce au soutien de Shaftesbury : il est nommé secrétaire de Lord Peterborough et l’accompagne en 1705 au siège de Barcelone dans le contexte de la guerre de Succession d’Espagne. Les troupes anglaises remportent la victoire au mois de septembre, mais tout au long de l’hiver et de l’année suivante, le caractère orgueilleux de Peterborough et les tergiversations de Charles III – le « candidat » Habsbourg au trône d’Espagne – rendent la situation militaire extrêmement compliquée et Peterborough est finalement rappelé par le secrétaire d’Etat Lord Sunderland en décembre 1706. Arent Furly l’accompagne et l’assiste au moment où il doit répondre des divagations de sa direction de la campagne militaire. Le jeune Furly repart ensuite, en avril 1708, avec Lord Stanhope et participe aux efforts de celui-ci, sous le commandement de Lord Galway (Henri de Massue le fils, marquis de Ruvigny), pour reprendre la situation militaire en main. Malgré quelques succès (Minorque, Port Mahon), et malgré la promotion de Stanhope comme lieutenant-général en janvier 1709, ses efforts n’ont guère de succès. La lenteur de Galway et l’imprudence de Stanhope entraînent des conséquences malheureuses : les troupes de Stanhope sont prises au piège à Brihuega et capitulent en décembre 1710. Stanhope doit rester en Espagne comme prisonnier de guerre pendant dix-huit mois ; Arent Furly meurt à Barcelone le 31 décembre 1711. On voit que, jusqu’à sa mort en 1712, Arent Furly est au cœur de la vie politique et même militaire de la Grande-Bretagne.
Un épisode de cette triste aventure entraîne la rencontre entre Bayle et un personnage haut en couleur, Antoine de Guiscard, « abbé de La Bourlie » et « marquis de Guiscard », qui porte la lettre qu’Arent Furly, toujours à Barcelone, adresse le 1er décembre 1705 à Bayle à Rotterdam. On découvre à cette occasion que Guiscard avait assisté aux cours de Bayle à Sedan ; son frère aîné, Louis, aurait même tenté de convaincre Bayle d’abjurer et de retourner à Paris lors de la suppression de l’académie en 1681. En 1703, Antoine de Guiscard encourt l’inimitié de Madame de Maintenon : il s’enfuit en Rouergue et s’associe aux Camisards engagés, sous la conduite de Jean Cavalier, dans la lutte contre la répression militaire. Il se rend ensuite à Lausanne, où se trouve une importante communauté réformée, et prend contact avec Richard Hill, l’envoyé anglais à Turin, ainsi qu’avec Louis de Presme, seigneur de Saint-Saphorin, représentant de l’empereur en Suisse et proche du prince d’Eugène. Il prétend vouloir et pouvoir provoquer une révolte catholique dans le Dauphiné et en Languedoc et conduit une expédition catastrophique en juin 1704. Il retourne ensuite à Lausanne et s’engage dans une campagne de correspondance avec le duc de Marlborough et avec Anthonie Heinsius, prétendant vouloir poursuivre la bataille des Cévennes contre les autorités françaises. Il profite alors de la fuite de Cavalier lui-même à Lausanne pour s’associer avec lui et pour apparaître comme un allié dangereux pour les intérêts français, réussissant même à s’intégrer dans le conseil de guerre des alliés dirigé par Marlborough et par le prince Eugène à Landau en novembre 1704, puis à La Haye. Face à la méfiance des conseillers militaires des alliés, Guiscard obtient des lettres de recommandation de la part du duc d’Ormonde et de Pierre Jurieu, ce qui lui permet de participer en avril 1705 à l’élaboration d’un plan de débarquement à Sète et d’enlèvement des maréchaux de Bâville et de Berwick, visant à provoquer des émeutes simultanées dans plusieurs villes du Languedoc. Une trahison met fin au « complot des enfants de Dieu », qui est suivi par une répression sanglante. Guiscard réussit cependant à poursuivre sa carrière d’intrigant, se faisant inviter à la cour de la reine Anne comme « conseiller » auprès de Marlborough, de Sidney Godolphin et d’Ormonde : c’est à cette occasion que, passant par Rotterdam sur le chemin de Londres, il porte à Bayle la lettre d’Arent Furly. En 1706, un nouveau projet de débarquement, cette fois-ci en Gironde, censé provoquer la révolte de huguenots et de catholiques contre la tyrannie de Louis XIV, n’aboutit pas et cet échec entraîne le déclin de l’influence de Guiscard auprès de Heinsius et des Etats-Généraux d’abord, auprès de Marlborough ensuite. Il est même soupçonné de trahison, ce qui provoque son arrestation et sa tentative d’assassinat sur la personne de Robert Harley, le 8 mars 1711. Guiscard meurt à la prison de Newgate quelques jours plus tard.
Quelques nouveaux correspondants font leur apparition au cours de cette période. Bayle donne désormais des nouvelles littéraires au marquis de Bougy et au duc de Noailles – toujours avec la déférence qu’on lui connaît à l’égard des « grands » ; malheureusement, il semble que les réponses de ses correspondants aient été soustraites au corpus de sa correspondance. Mathurin Veyssière La Croze, ancien bénédictin devenu bibliothécaire du roi en Prusse à Berlin, entretient une correspondance suivie avec Bayle et apporte une érudition extraordinaire aux informations qu’il fournit à Bayle pour le Supplément du Dictionnaire. Faisant partie d’une petite société savante constituée de Johann Theodor Jablonski, secrétaire de l’Académie, son frère le théologien Daniel Ernest Jablonski, Charles Ancillon et Johann Leonhard Frisch, il prend la défense de Bayle lorsque celui-ci est mis en cause par Christophe Heinrich von Oelven, qui remue ciel et terre pour le discréditer au nom du patriotisme prusse. A Berlin également, nous assistons, grâce aux actes du consistoire de l’Eglise française, à la condamnation du Nouveau Testament édité par Jean Le Clerc et aux péripéties de la réforme du Psautier réformé. Avec le soutien de Leibniz, Frédéric Ier, roi en Prusse, tente de réunir les Eglises luthérienne et calviniste dans son royaume : il construit des églises à Berlin et à Charlottenbourg où les deux communautés doivent célébrer leur culte en commun. Il essaie même d’introduire la liturgie anglicane dans ses Etats : en vain. Les deux églises distinctes du Gendarmenmarktplatz de Berlin témoignent de son échec.
Shaftesbury avait pris sous son aile le jeune Paul Crell, qui se rend en Angleterre, effectue à Cambridge des recherches pour son « patron » et établit le catalogue de sa bibliothèque. Le frère de Paul, Samuel, socinien connu, travaille comme correcteur dans l’imprimerie de Reinier Leers, où Bayle fait sa connaissance : il mentionne incidemment que Crell l’a conseillé sur l’orthographe d’un nom polonais dans le Dictionnaire. Mais l’apport de Crell ne s’arrête pas à ce détail : il envoie à Bayle une explication très savante du rokosz de Gliniany, une révolte mythique de la noblesse polonaise, accompagnée d’une collation de différentes versions des chroniques. C’est sans doute cette lettre qui incite les frères Crell à mettre en avant leur contribution au Dictionnaire de Bayle – même si Bayle n’a pas eu le temps de rédiger cet article pour son Supplément. De même, Crellius aurait rédigé un article « Dudithius », qui n’a pas été publié. Les frères Crell font la connaissance de Crenius à Leyde, qui fournit des livres à Bayle – parfois par l’intermédiaire du mystérieux Alexandre (ou Alexander) Cunningham – et poursuit la composition de ses interminables Animadversiones. Secrètement, comme Bayle le confie à Dubos, il tient Crenius pour « l’un des plus forts compilateurs, et à parenthèses longues et fréquentes, que l’Allemagne ait jamais produits ».
Autre correcteur à l’imprimerie de Leers, le « chevalier Destournelles », apparaît dans la correspondance au cours des toutes dernières années de la vie de Bayle. Nous savons peu de choses sur lui, mais il jouit de la confiance de Bayle à une date où celui-ci se déplace peu : il sert d’intermédiaire pour sa correspondance et pour ses commandes de livres ; il est membre du petit cercle d’amis intimes à qui Bayle permet de fréquenter son logement jusqu’à sa mort. Destournelles écrit à Dubos : « Les Odes de Mr de La Motte en feront un article [dans l’Histoire des ouvrages des savants]. Je les reçus et je les envoyai à Mr Bayle une heure avant sa mort, avec votre derniere lettre qui les accompagnoit. Il l’avoit ouverte et lue ap[p]aram[m]ent, car on la trouva sur la chaise à coté de son lit, où on le trouva mort, lorsqu’on entra dans sa chambre. »
Une des dernières lettres composées par Bayle est sans doute son billet adressé à André Terson, pasteur de l’Eglise wallonne à Rotterdam, dont le frère, Jean, avait été autrefois le condisciple de Bayle à l’académie de Puylaurens. André Terson était venu rendre visite à Bayle et on avait refusé de lui ouvrir la porte ; celui-ci s’en excuse : « Mon cher ami, Ce n’etoit pas pour vous que j’avois donné les ordres qui m’ont privé du plaisir de vous voir encore une fois. Je sens que je n’ai plus que quelques moments à vivre ; je meurs en philosophe chrétien persuadé et pénétré des bontés et de la misericorde de Dieu, et vous souhaite un bonheur parfait. »
D’une curiosité inlassable à l’égard de tous les aspects de la culture de son temps, Bayle lit les Odes de Houdar de La Motte quelques moments avant sa mort, tout en s’acharnant à parachever sa réfutation des théologiens « rationaux » dans ses Entretiens de Maxime et de Thémiste. Ces deux témoignages reflètent bien sa carrière intellectuelle tout entière. Bayle meurt, le 28 décembre 1706 vers 9 heures du matin, quasiment la plume à la main.
Marchant dans les pas d’Elisabeth Labrousse, nous avons fait tous nos efforts pour découvrir de nouvelles lettres et nous avons pu en insérer bon nombre dans l’ordre chronologique de sa correspondance. Deux lettres nous avaient échappé jusqu’à présent : elles ont été découvertes récemment grâce à l’érudition scrupuleuse, à la curiosité et à la ténacité de Christine Jackson-Holzberg, éditrice de la correspondance de Shaftesbury. Nous les publions en annexe à ce tome. L’une est de la plume de James Vernon père et s’adresse à William Blathwayt le 4/15 mai 1693 : nous y apprenons que le fils homonyme de James Vernon, filleul de Lord Sunderland, était à cette époque un des élèves de Bayle à l’Ecole Illustre de Rotterdam. Vernon demande à Blathwayt ce qu’il convient de faire de son fils au moment où le statut de Bayle est mis en cause par le conseil municipal de Rotterdam.
La seconde lettre inédite est une lettre autographe de Bayle adressée à Michel Le Vassor, ancien oratorien réfugié en Angleterre, où il jouissait de la protection de William Trumbull et de Lord Portland. Les formules de la lettre sont discrètes, mais on devine qu’il s’agit d’une protection proposée par Trumbull à l’égard de Bayle, concrétisée sous la forme d’un poste en Angleterre auprès de lui-même ou d’une autre personne d’autorité : on peut penser aux relations de Trumbull avec Lord Sunderland et avec Lord Albemarle, qui devait par la suite offrir à Bayle un poste dans sa maison à La Haye. On peut conclure qu’en 1695 Bayle envisageait la possibilité de profiter de la protection de Trumbull et du poste qui lui était proposé au cas où l’hostilité de Jurieu lui rendrait la vie impossible à Rotterdam. La lettre du 3 février 1696 de Le Vassor (Lettre 1082) semble confirmer cette interprétation, puisque la dédicace du Dictionnaire à Trumbull y apparaît comme la contrepartie de la protection promise par le nouveau secrétaire d’Etat. En fin de compte, malgré la tempête provoquée par la publication du Dictionnaire, Bayle devait réussir – au moyen des Eclaircissements de l’édition de 1702 – à se mettre à l’abri des attaques de Jurieu et ne devait pas chercher à profiter des offres de Trumbull, qui d’ailleurs, à cette date, avait quitté la vie publique.
Antony McKenna