[La Haye, le 2 août 1684]

A Pierre Bayle

J’ai reçu enfin vos Pensées diverses à l’occasion de la comète qui est apparue en 1680 : et comme la Lettre sur le même sujet que vous aviez écrite autrefois [1] m’a merveilleusement plu, de même vous pouvez facilement deviner que votre petit opuscule mis dans un meilleur ordre et complété par de multiples suppléments a plu infiniment. Car pour ne rien dire du style, qui se relève par sa beauté naturelle, ni des phrases qui sont parsemées de pavot et de sésame, la matière même est traitée et illustrée d’une manière si érudite qu’après vos efforts il n’y aura pour ainsi dire personne, je crois, qui se persuade qu’un dieu irrité appelle sur des règnes injustes des comètes fatales, et que celles-ci n’ont pas été vues sans péril dans le ciel, opinion qui doit sembler d’autant plus étrange que les anciens, comme vous le savez, ont estimé que certaines des comètes étaient bénéfiques. Je vous remercie donc pour ce cadeau et espère bientôt vous payer de retour avec un Lactance, De la Mort des persécuteurs, qui, fourni de mes notes et de celles de Jean Columbus, un professeur très érudit parmi les Upsaliens, s’imprime aux pays nordiques [2]. J’ai l’habitude, d’ailleurs, de lire avec le plus vif intérêt ce que vous publiez si utilement dans les catalogues de livres de chaque numéro mensuel de la République des lettres, et tout comme j’ai toujours approuvé les anciennes initiatives françaises de Paris et les nouvelles initiatives allemandes de Leipzig [3], de même les vôtres, encore que très récentes, n’ont pu ne pas plaire, car vous éclairez si bien et faites avec tant de jugement, à l’instar du patriarche Photius [4], les extraits de ce qu’il y a de particulièrement mémorable et digne de remarque dans les travaux des érudits. Je vois même que mon Apothéose y est comprise [5], et je me réjouis en mon coeur de savoir qu’un homme d’une érudition peu superficielle y ait trouvé des choses qui plaisent, et qu’il approuve la voie que j’ai suivie en expliquant ou en clarifiant les mots et sentences des auteurs anciens ou modernes. En tout cas, rien ne me tient plus à cœur que de n’atteindre à la gloire de personne, et non seulement j’ai toujours sous les yeux cette maxime célèbre :

l’apprentissage fidèle des arts adoucit les moeurs et les empêche d’être cruelles [6],
mais je condamne ces hommes qui appellent le désespoir pour ainsi dire en consultation et ne respirent en quelque sorte que le fer et le meurtre (il nous plaît qu’on explique ou corrige un auteur autrement qu’eux). Vivez longtemps en piété, en modestie et en doctrine, homme distingué, c’est mon vœu. Je vous prie de présenter à M. Jurieu mes salutations les plus amicales.

Notes :

[1Cuper vient de lire les Pensées diverses […] à l’occasion de la comète qui parut au mois de décembre 1680 (Rotterdam 1683, 12°) et les compare avec la première édition intitulée : Lettre […] où il est prouvé que les comètes ne sont point le présage d’aucun malheur […] (Cologne [Rotterdam] 1682, 12°).

[2Voir L.Cæcilii Firmiani Lactantii de mortibus persecutorum, liber, cum notis Johannis Columbi et al. (Aboæ 1684, 12°) et le compte rendu NRL, août 1685, catalogue.

[3Le JS, publié à Paris, et les Acta eruditorum, publiés à Leipzig.

[4Sur Photius, voir Lettre 282, n.4.

[6Ovide, Pontiques, II.ix.48.

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