Lettre 1294 : Pierre Bayle à Jean-Baptiste Dubos

[Rotterdam, le] 29 e d’aout 1697

Je repon[d]s tout à la fois Monsieur, à votre lettre du 9 et à celle du 19 du courant. J’ai eté bien aise de savoir plus exactement ce qui concerne la version du livre persan de l’histoire de Tamerlan, et j’en ai fait part à Monsieur le comte de Pembroeck. Je voudrois bien que ce livre là, celui de Mr de La Croix le pere, et celui de Mr Galland fussent publiez en francois ; et puis que les libraires de Paris ne sont pas accommodan[t]s là dessus, je m’emploirois agreablement à porter ceux de ce pays à traiter de ces copies. Mais ils sont en possession de contrefaire tout ce qui s’imprime en France, propre à etre debité, c’est pourquoi ils ne veulent guere entendre parler de traiter avec les auteurs ; ils esperent de faire une edition sur la copie de Paris à nuls frais par rap[p]ort au manuscrit.

J’ai eté ravi d’ap[p]rendre qu’un manuscrit dont je regrettois la perte, ne soit pas perdu, et plus encore de ce qu’il est entre les mains de Mr Perrault. J’avois toujours oüi parler du travail de Colletet comme d’un livre où l’on verroit la vie des poetes francois en perfection. Il me semble qu’on a dit dans Menagiana que toutes les recherches de Colletet etoient perdues sans ressource, mais voila votre lettre Monsieur, qui me fait savoir que Mr Perrault s’occupe à en tirer parti, et à les preparer pour le public. Vous pouvez juger par l’interet particulier que j’ai à un tel ouvrage si utile à mon Diction[n]aire, combien je souhaite qu’il le publie. Je l’assure de mes tres-humbles respects, et le remercie tres humblement de l’exemplaire qu’il me fait l’honneur de m’envoier de son poeme de la Creation.

On ne sait rien encore de certain du P[ère] Hennepin à l’égard des autres parties de sa decouverte qu’il a promises. Je voudrois pouvoir donner à Mr Toinard que je saluë de tout mon cœur, un eclaircissement plus précis sur ce sujet.

Nos prophetes ne s’etonnent point de l’abjuration du duc de Saxe ; ils esperent que les effects s’arreteront à sa personne, et que ses Etats d’Allemagne joüiront toujours de la religion protestante comme dominante. Ils ne croient point que le zele lui fasse faire des demarches pour la conversion de ses sujets, et ils ont trop bonne opinion de sa prudence pour ne juger pas que l’exemple du roi • Jaques reprimeroit son zele s’il en avoit. Je vous ai dejà dit que son election à la couronne de / Pologne est une consolation generale qui fait un contrepoids beaucoup plus fort que le mal. Ils pren[n]ent leur bonne part à cette consolation : ils s’imaginent avec un plaisir tres vif que la superiorité des intrigues de la Maison d’Autriche sera une mortification extreme pour la France qui ne perdra pas seulement ses gran[d]s frais, et la gloire d’avoir heureusement cabalé, mais qui sentira long tem[p]s et à son dam les liaisons tres etroites du nouveau roi de Pologne avec l’empereur et autres ennemis du nom francois. Je ne laisse pas de croire qu’ils sentent quelque chagrin, mais soiez certain qu’ils feront paroitre moins d’embar[r]as et moins de contrainte dans leur langage que vos nouvellistes publics lors qu’il leur faudra changer de style apres la paix, et faire ce que s[ain]t Remi dit à Clovis mitis depone colla Sicamber adora quod incendisti etc.

Vous m’avez fait justice, Monsieur, vous n’avez rien jugé que de veritable dans le preambule de votre derniere lettre. C’est au sujet du memoire qui sert de matiere au papier cy joint. Je vous suis tres obligé de la peine que vous avez prise, et de l’idée que vous avez euë de moi à cet egard. Mr de Tourreil etoit deja parti quand je recus votre lettre, mais je vous promets de vous envoier le N[ouveau] Testament de Mr Martin par le premier envoi que Mr Leers fera à l’Isle, ou meme par quelque autre voie plus courte si j’en decouvre quelqu’une : vous me ferez beaucoup de plaisir de me donner souvent de pareilles commissions • et j’accepte tres volontiers d’en user de la meme maniere envers vous.

Mr Pinsson m’a envoié diverses pieces sur la mort de Mr Santeuil. On ne peut pas mieux juger que vous faites du verbiage de Mr Leti. Vous le verrez plus qu’ailleurs dans sa Critique des loteries, ouvrage qui lui a fait de grosses affaires, et dont il n’est sorti qu’en s’humiliant dans l’assemblée des ministres et anciens de l’Eglise wallonne d’Amsterdam. Il a publié une lettre d’une feuille pour se disculper. On la croit de la facon de Mr Le Clerc son gendre. Je vous l’enverrois si elle n’etoit trop epaisse pour la poste. Je ne saurois vous dire s’il parle dans son Philippe II du dessein de ce monarque de se transporter en Amerique : la version de cette histoire pourroit bien etre de sa fille[,] femme de Mr Le Clerc, mais elle ne paroitra pas si tot.

Il y a deux jours que je recus un paquet de Mr Cuper, où je trouvai la dissertation latine qu’il vient de / publier De tribus Gordianis. Il me charge de vous en faire tenir de sa part un exemplaire, et il en envoie un à Mr l’eveque d’Avranches, un à Mr l’abbé Nicaise, et un autre au P[ère] Pagi. Ils sont chacun dans un paquet cacheté, trop gros pour la poste, c’est pourquoi je ne pourrai m’en defaire que par d’autres voies. Il vous refute mais avec toute l’ honneteté* imaginable, ne parlant jamais de vous, et de vos raisons sans des epithetes glorieuses soit quand il examine ce qui concerne les Gordiens, soit quand il examine quelques autres choses avancées incidemment et qu’il ne juge pas assez certaines, par exemple ce que vous dites que l’autorité des cohortes pretoriennes • dura à Rome autant que l’empire. Il dit qu’elle n’y dura que jusqu’à la translation de l’empire à • Byzance par Constantin. Je ne veux pas prevenir votre jugement, Monsieur, il vaut mieux que vous lisiez l’ouvrage sans avoir seu ce qu’il paroit à d’autres : je voudrois bien avoir eu l’exemplaire que l’auteur vous envoie lors que Mr de Toureil partit d’ici. Vous l’auriez presentement. Dès qu’il y aura quelque occasion, je vous le ferai tenir.

Ayez encore la bonté de m’excuser auprès du Pere Lami qui m’a of[f]ert si obligeamment un exemplaire de son traitté De la connoissance de soi meme, et De l’evidence de la religion chret[ienne]. Nous n’avons rien vu ici de ces traittez là quelque bons qu’ils soient. Jugez par là du mauvais etat de la librairie en ce pays ci et du mauvais gout des lecteurs. Pendant qu’un roman, un libelle, un livre historique se debite jusqu’à la 2 e edition, on ne fait pas venir de France un exemplaire d’un ouvrage de profond raisonnement. Je ne con[n]ois point de meilleure voie à lui indiquer que celle de Mr Fievet de l’Ile, quoi qu’elle ait eté fort lente pour sa refutation de Spinoza.

On a rimprimé à Francfort sur l’Oder les harangues latines de Malagonelli cum selectis epistolis cardinalium. Mr Bentley bibliothecaire du roi d’Angleterre, l’un des plus gran[d]s Grecs de l’Europe, et dont les quelques notes sur la Chronique de Malala ont eté si admirées[,] vient de publier un livre anglois où il montre que les lettres de Phalaris, de Themistocle, de Socrate, d’ Euripide, et les fables memes d’ Esope sont sup[p]osées. Lycophron avec les commentaires de Tzetzes et les notes des savan[t]s, Nicander avec ses scholiastes ont eté imprimez à Oxford en grec et latin in folio. /

Voici le titre d’un livre nouveau imprimé à Leide Jura Gulielmi III. restauratoris magni in regna Angliæ etc. ex fonte naturali et divino asserta justi voluminis compendio, ab Henrico Hulsio Th[eologiæ] doct[ore] et professore. Van Helmont le fils vient de publier des pensées sur les 4 premiers chapitres de la Genèse. Sans avoir vu ce livre de Van Helmont, je vous garantis que c’est un amas de chimeres. /

Ce que vous me dites Monsieur, qu’aussi tot apres la paix vous ferez un voiage ici, me fait souhaiter ardemment la signature du traité.

A Monsieur / Monsieur l’ abbé Du Bos chez / Monsieur de Montour au milieu / de la ruë du Roule / A Paris

Accueil| Contact | Plan du site | Se connecter | Mentions légales | icone statistiques visites | info visites 261755

Institut Cl. Logeon