Lettre 364 : Jacques Du Rondel à Pierre Bayle
• [Description d’un orage.] Je ne sçai, mon cher Monsieur, si l’hyver est aussi fantasque chez vous, qu’il l’est ici depuis quinze jours : mais, en verité, il n’y a rien de si étrange, et je ne m’étonne plus que Varron l’ait traité lui et ses camarades, de bourus enfans du Nord ; phrenetici Septentrionum filii [1]. Il a gelé déja et dégelé, à trois diverses reprises, et lundi quatrieme de ce mois à neuf heures et demie du matin, il a fait un orage digne de la fureur du plus véhement eté. Toute la nuit du dimanche au lundi, il avoit plû malgré un vent de Midi extrêmement fort et violent : mais à l’heure que je vous dis, il s’éleva une noirceur qui effaça entièrement la clarté, et qui fit une nuit d’un demi quart d’heure ;
Undique, uti tenebras omneis Acherunta rearis
Liquisse, et magnas cœli complesse cavernas [2].
Aussi-tôt et en même temps, frigido ab axe venti erumpunt, secum ferentes tegulas, ramos, sirus et… [3] Après, il tomba de la grêle dure, luisante, et de l’épaisseur du petit doigt, et ensuite on entendit le tonnerre. J’ay compté jusqu’à quinze coups, tous grands, éclatans, et épouventables. D’autres en ont compté jusqu’à dix-neuf, et l’ont pû mieux que moy, parce qu’ils pouvoient être à la campagne. Il tomba au quatrieme coup. Cela est bien aisé à remarquer, comme vous sçavez. On oit le bruit en même temps qu’on voit l’éclair, et il n’y a point d’intervale sensible entre l’un et l’autre. Je ne sçaurois vous dire si ce coup a été funeste à quelque personne ; je n’en ai rien appris. Mais je puis bien vous assurer selon les anciens, qui malgré la violence et la vitesse de l’éclair, ont eu pourtant les yeux assez fins / pour remarquer de la difference dans cette lueur perçante, qui vient saisir les avenües de notre ame avec tant de hardiesse et de terreur, que ce n’a point été Jupiter qui a lancé ce tonnerre. L’éclair en étoit blanc, et par consequent point de ce Dieu qui n’a que les rouges à son commandement.
Dexterâ Sacras jaculatus arces [4],
Notes :
[1] Varron, Satires Ménippéennes, « Marcipor », 271 : « fils frénétiques du Septentrion ».
[2] Lucrèce, De la nature des choses, 250-252 : « les nuages s’épaississent dans toute l’étendue de l’atmosphère : on dirait que les ténèbres ont en masse quitté l’Achéron pour emplir l’immense voûte céleste ».
[3] Varron, loc. cit. : « les vents se ruent hors du pôle froid […] emportant avec eux tuiles, branches, balais » ; Du Rondel substitue erumpunt à se eruperant.
[4] Horace, Odes, I.ii.3 : « et de sa rouge main droite a lancé la foudre contre les hauteurs sacrées ».
[5] « éclair divin » ou « éclair matinal ».
[6] Summanus était une divinité romaine à qui on imputait les éclairs nocturnes. C’est Sextus Pompeius Festus, qui cite dans son lexique, éd. Müller, p.75, la distinction entre fulgur dium et fulgur Summanum.
[7] Nigidius Figulus,
[8] Nigidius Figulus, ibid.,