Lettre 1315 : Jacques-Gaspard Janisson du Marsin à Pierre Bayle
• A Paris le 14 oct[o]bre 1697
Savez vous bien, Monsieur, qu’on se lasse aisem[en]t de ne point recevoir de vos cheres nouvelles, et moy plus qu’un autre ? Je m’etois attendu d’ap[p]rendre par vous meme que vous aviez repondu au Sentiment du public etc. ; cependant il faut que je l’apprenne par la voye publique ; est-ce là en agir en bon correspondant ? à votre avis ai-je tort de me plaindre ? Ne soiez point je vous en sup[p]lie si negligent, mon cher Monsieur, envers vos amis dont je suis asseurement du nombre, et pour vous en convaincre, je vous envoïe une lettre que l’ abbé Renaudot a ecrite à mon pere, apres la lecture de vos Reflexions.
« Je croiois, mon cher Monsieur, avoir grand sujet de me plaindre du procedé de Mr Bayle apres ce que je vous avois dit, et ecris [ sic] qui est la verité meme touchant la peine que j’avois eüe de ce que la copie que j’avois donnée à Mr le chancellier s’etoit repanduë sans ma participation ; il devoit bien voir que je ne cherchois pas querelle avec lui ; pas meme d’erudition ; je croiois qu’il se contenteroit de me plaindre de mon peu de capacité et de mon mauvais goût, mais puisque je ne lui temoignois aucune rencune personnelle, il me laisseroit en repos, comme je vous avais prié de l’y exhorter.
Je voi par la piece que vous m’avés envoiée qu’il m’attaque personnellement, et d’une maniere outrageante ; cela passe la querelle de l’érudition et les bornes de l’honneteté puisqu’il sait bien q[ue] je n’ay aucune habitude directe, ou indirecte, avec ses ennemis, et que je suis amy de Mr Leers pour qui il devoit avoir quelque consideration : vous me ferez plaisir de l’assurer que je n’ay pas seulement veu l’ecrit auquel il repond, comme si j’y avois part, / et que cela etant, il ne se fait pas d’honneur de parler de moi comme il fait, puisqu’il ne me menageroit pas davantage, si j’avois ecrit de concert avec ses ennemis ; ce que j’ay dit à Mr le chancellier, sur les articles dont il se plaint, etoit ma pensée et l’est encore[.] Il lui etoit permis de se deffendre modestement, et de dire au moins ce qu’il savoit par vous sur mon sujet ; apres cela il auroit eu quelque honte de se dechainer contre moi comme il fait, puisqu’etant catholique et faisant profession de mœurs reglées, sachant aussi ce qu’il faut, pour qu’un livre passe sans reproche de celui qui est chargé d’en rendre compte ; je ne pouvois parler autrement que j’ay fait. S’il m’eut donc traitté d’ignorant ou de bizearre, je n’aurois rien dit, mais de me traitter de mal honnete homme, c’est ce qui lui attirera plus de mepris, et de haine qu’il n’en repandra sur moi : car sans vanité je croi passer pour honnete homme, et mon nom n’est ni odieux, ni meprisable dans les païs etrangers non plus qu’ici, s’il le pretend prouver par la Gazette, qui lui a dit que je fais la Gazette ? Y a t’il rien de plus ridicule que cette diversion ? Est-ce là mon ouvrage ? En fais-je vanité ? Je voudroïs pour le mal que je lui veux qu’il n’y eut pas plus de faussetez ni de beveües dans son livre que dans la Gazette ; mais enfin ce n’est pas par là qu’il a affaire avec moi, c’est par l’erudition, et c’est sur cela que je ne le crains gueres ; s’il ne peut parler que dans des infolio, je me picque de n’en point faire, mais de n’avoir que faire des siens pour lui montrer que les injures ne me font pas peur, et que son savoir ne m’ebloüit pas. Je serai fort aise qu’il entende raison, et qu’il ne m’oblige pas à lui repondre comme il meriteroit, et à me plaindre de lui conformement à la malhonneteté de son procedé, au lieu qu’il devroit etre content du mien, s’il ne se defend pas mieux à la queüe, ou à la teste du premier infolio qu’il fera que dans cette piece, il feroit mieux de se taire, car rien n’est / moins digne de lui, et je ne reconnois pas meme son style[.] S’il se veut faire des amis en ce païs ci, j’ose me vanter que ce ne sera pas à mes depens qu’il y reussira ; et un homme de lettres qui veut qu’on juge de mon erudition par la Gazette, n’a gueres eu d’habitudes avec les gens de lettres, et n’en sait gueres l’histoire. Je vous dis, si vous vous en souvenez, que j’etois entre autres choses faché* de la remarque sur le mot de Librarii, ce qui vous fait voir que j’y allois de bonne foy, parce qu’etre impie, libertin, diseur d’ordures, ne choque pas tant qu’un reproche de ne pas savoir le latin. Voyez ce que c’est que la colere ; il dit qu’il faut entendre par Librarii, les copistes et les relieurs, comme si les livres eussent eté reliés de ce tem[p]s là, au lieu qu’ils etoient roulés, ut scriptor si peccat idem Librarius usque, quamvis sit monitus, veniâ caret etc. Cela seul le devoit instruire ; enfin je voudrois bien en un mot que votre ami ne m’obligeat pas à me plaindre davantage de lui, et qu’il ne fut pas si rempli de son propre merite ; qu’il crût qu’on ne peut etre d’un avis contraire au sien, sans etre son ennemi, et sans avoir perdu le sens. Je vous souhaite le bonjour, et j’ay regret au tem[p]s que j’ay perdu, et que je vous fais perdre, sur cette matiere
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