Lettre 1605 : Jacques Du Rondel à Pierre Bayle
[Maastricht, le 28 juillet 1703]
M le Bauda veufve d’un chirurgien [11], que vous ne connoissez peut estre point, revient de Hollande, et en passant a veû Orkius [12], qu’elle trouve encore plus delabré que M le Perignon [13] ne me l’a dépeint. J’ay leû à cette demoiselle ce qui estoit pour elle dans vostre lettre [14]. Elle vous en remercie très humblem[en]t aussi bien que ma petite femme [15] de l’honneur de vostre souvenir.
Je suis toujours, mon cher Monsieur, vostre très humble et très obéissant serviteur
ce 28 juillet 1703.
Je ne m’estonne point de l’entestement d’ Orkius.
A Monsieur / Monsieur Bayle Professeur / en Philosophie et en Histoire / A Rot[t]erdam •
Notes :
[1] Du Rondel déclare aimer Bayle d’un « pur amour » supérieur à l’amitié proverbiale d’ Oreste et de Pylade.
[2] Allusion au dialogue de Lucien de Samosate sur l’amitié, que Du Rondel a pu lire dans l’une des éditions suivantes : Lucien de Samosate, Le Toxaris de Lucian : dialogue non moins elegant que recreatif, pour les belles hystoires de parfaicte amytié qui y sont contenues : nouvellement traduit de grec en francoys, par Jehan Millet de Sainct Amour (Paris, Nicolas Chrestien 1553, 8°), ou Luciani Opuscula Erasmo Roterodamo interprete. Toxaris, sive de amicitia. Alexander, qui et pseudomantis. Gallus, sive somnium. Timon, seu misanthropus. Tyrannicida seu, pro tyrannicida. Declamatio Erasmi contra tyrannicidam ; De iis qui mercede conductidegunt ; et quædam eisdem alia. Eiusdem Luciani Thoma Moro interprete, Cynicus. Menippus, seu necromantia. Philopseudes, seu incredulus Tyrannicida ; Declaratio Mori de eodem ; Eiusdem Thomæ Mori de optimo reip. statu deque noua insula Utopia libellus vere aureus (s.l. [Italie] 1519, 8°).
[3] Du grec
[4] « au-dessous de », « par défaut » : Du Rondel déclare ainsi qu’il se tient en retrait.
[5] Néologisme : « rendre bienheureux », comme Du Rondel l’explique par la suite.
[6] « Avant votre mort, vous pouvez vous dire heureux. » Allusion à une sentence d’Ovide, d’inspiration stoïcienne, Métamorphoses, III, 136-137 : « Dicique beatus / ante obitum nemo supremaque funera debet » : « aucun homme, avant sa mort ne peut se dire heureux ». Voir aussi Montaigne, Essais, I, 18 : « Qu’il ne faut juger de notre heur qu’après la mort ».
[7] Clément Marot : « O gent bienheurée, / Qui, toute asseurée, / Pour son Dieu le tient : / Heureux le lignage, / Que Dieu en partage / Choysit, et retient. » (Psaume XXXIII), in Marot, Cinquante pseaumes de David : mis en françoys selon la vérité hébraïque (Genève, Jean Gérard 1543, 8° ; éd. G. Defaux, Paris 1995). Voir aussi, Marot, Epistre en prose à la dite dame, touchant l’armée du Roy en Haynault : « Ainsi, bien heurée princesse, esperons nous la non assez soubdaine venue de Paix : qui toutesfoys peult finablement revenir en despit de guerre cruelle », in Œuvres poétiques, éd. G. Defaux (Paris 1990-1993, 2 vol.), Epistres, n° IV, i.83, et Œuvres complètes, éd. F. Rigolot (Paris 2007-2009, 2 vol.), i.95-96. Mathurin Régnier aussi s’était servi de ce terme : « N’avoir crainte de rien, et ne rien esperer, / Amy, c’est ce qui peut les hommes bienheurer » : Satyres et autres œuvres [Leiden, Jean et Daniel Elsevier 1652, 12°], éd. J. Plattard (Paris 1965), p.208 ; éd. G. Raibaud [Paris 1958], p.263.
[8] Le mot « tendreur » figure, en effet, dans le Psaume 144 de l’édition de Marot- Bèze, comme le signale Huguet dans le Dictionnaire de la langue française du XVI e siècle, s.v., qui donne une longue liste d’occurrences de ce terme chez Brantôme, Montaigne, Charron et d’autres. Le mot figure également dans le Dictionnaire universel de Furetière (La Haye 1690, folio, 3 vol.) et dans les Nouvelles remarques de M. Vaugelas sur la langue (Paris 1690, 12°), p.471 ; François de La Mothe Le Vayer, Dialogues faits à l’imitation des anciens, « De la philosophie sceptique », éd. B. Roche (Paris 2015), « De la philosophie sceptique », p. 90 et « Lettre de l’auteur », p. 259.
[9] François Bertaut (1621-1701), lecteur du roi, conseiller du parlement de Bretagne, auteur d’un Ballet du déreiglement des passions de l’amour et de la gloire (s.l. 1648, 4°), de poèmes de circonstance intitulés Les Advantages de la paix et de l’union de la ville de Paris (Paris 1649, 4°) et Les Délices de la paix représentez par les estats et les villes de ce royaume (Paris 1649, 4°) et Les Sentiments du vrai citoyen sur la paix et union de la ville (Paris 1649, 4°), ainsi que de La Ville de Paris en vers burlesques (Paris 1652, 4°).
[10] Le centurion de la première centurie, qui était le premier après les tribuns, s’appelait le centurion
[11] Nous n’avons su identifier plus précisément M me Bauda, veuve d’un chirurgien à Maastricht.
[12] Pierre Jurieu. Du Rondel se réjouissait chaque fois qu’il avait l’occasion de constater que la santé de Jurieu était de moins en moins solide : voir Lettre 1554, n.13.
[13] Nous n’avons su identifier M lle Pérignon, sans doute une huguenote réfugiée, résidant à Maastricht ou à Rotterdam.
[14] Cette lettre de Bayle à Du Rondel doit être perdue, car nous n’avons pas rencontré de mention de M lle Perignon dans leur correspondance antérieure.
[15] Madeleine Hamal, épouse de Jacques Du Rondel : voir Lettre 236, n.4.
[16] Homère, Iliade, V, 185 : « Ce n’est pas sans l’aide d’un dieu qu’il montre ici une telle fureur ».