Lettre 1746 : Reinier Leers à Pierre Des Maizeaux

[Rotterdam, le 18 janvier 1707] Monsieur J’ai reçu en son tem[p]s l’honneur de la votre du 24 Xbre [1], je l’ai montré à Mons[ieur] Basnage, qui est exècuteur du testament de feu M. Bayle, il se souvient d’avoir trouvé votre lettre [2], il me la remettra à la 1 re occasion quand il aura debrouillé les papiers et lettres de M. Bayle.

Je serai non seulement bien aise d’avoir vos corrections et reflexions judicieuses sur le Dict[ionnair]e mais je vous propose si vous vous vouliez travailler à un Dict[ionnair]e historique et critique de la nature de celui de M. Bayle, que je suis resolu d’imprimer separement dans un nouvel alphabet, en 2 ou 3 volumes in folio, contenant des art[icles] dont M. Bayle n’a pas parlé [3]. Je vous laisserois le choix de tels articles que vous voudrez entreprendre, en imprimant l’ouvrage tout entier de vous, ou si j’y ajoute des articles d’autrui, on les distinguera des votres. Je vous prie de vous expliquer là dessus le [plus] prom[p]tement que vous pourrez, en me disant si vous con[n]oissez des gens chez vous qui vous pourroient aider, ou qui voudroient y travailler seuls en cas que vous n’entriez point dans mon projet. Quoi qu’il en soit je vous conjure de tenir la chose secrette.

Mons[ieur] Bayle a laissé un grand nombre d’art[icles] mais je ne scai s’il y en aura assez pour un gros volume [4]. /

Si vous donnez dans mon sentiment, je ne serois pas faché que vous dressassiez un art[icle] tell [ sic] que vous voudrez, et que vous me l’envoyassiez par la poste.

Au reste M. Bayle est mort fort tranquillement, et sans qu’il y eut personne auprès de lui. La veille de sa mort, après avoir travaillé toute la journée, il donna de la copie de sa reponse à M. Jaquelot [5] à mon correcteur [6] en disant qu’il se trouvoit tres mal ; le lendemain à 9 heures du matin son hotesse entra dans sa chambre, il lui demanda mais en mourant, si son feu etoit fait, et mourut un moment apres, sans que ni M. Basnage, ni moi, ni aucun de ses amis ayent eté presents.

Il a laissé ses livres en theologie et en hist[oir]e eccles[iastiqu]e à M. Basnage, et les autres à Mons r Paets [7] : ses m[anu]s[crit]s à moi. Il a constitué pour heritier un de ses parents en France, à qui ses lettres appartiennent [8], mais je tacherai de les avoir de lui. Je suis avec toute l’estime et toute la consideration que vous meritez, Monsieur, votre tres ob[eissant] serviteur Leers

Rotterdam 18 janv[ier] 1707

 

A Monsieur / Monsieur Des Maizeaux / chez M. Calthorpe in / St James Place / A Londres •

Notes :

[1] La lettre de Des Maizeaux à Leers du 24 décembre 1706 semble être perdue selon les indications d’O.S. Lankhorst, Reinier Leers (1654-1714), uitgever en boekverkoper te Rotterdam. Een Europees « libraire » en zijn fonds (Amsterdam, Maarssen 1983), p.222, et de J. Almagor, Pierre Des Maizeaux (1673-1745), journalist and English correspondent for Franco-Dutch periodicals, 1700-1720 (Amsterdam, Maarssen 1989).

[2] Cette lettre antérieure de Des Maizeaux à Leers, envoyée par l’intermédiaire de Jacques Basnage, est également perdue. Elle était sans doute accompagnée d’une lettre adressée à Basnage, qui est aussi perdue.

[3] Cette proposition ne fut pas acceptée par Des Maizeaux, qui était sans doute encore occupé à la traduction du DHC pour l’imprimeur Jacob Tonson : voir Lettre 1544, n.12. Il devait par la suite abandonner le premier projet de traduction anglaise (tout en en assurant la révision) et s’engager, sous la direction de Thomas Birch, dans la composition du General dictionary historical and critical (London 1734, folio, 4 vol.), qui correspondait parfaitement au projet de Leers : voir Lettres 1544, n.11, 1755, n.2, et 1760, n.1. Deux dictionnaires français devaient correspondre par la suite à l’ambition de Leers : celui de Jaques Georges de Chaufepié (ou Chauffepié), Nouveau Dictionnaire historique et critique, pour servir de supplément ou de continuation au « Dictionnaire historique et critique » de M. Pierre Bayle (Amsterdam, La Haye 1750-1756, folio, 4 vol.), et celui de Prosper Marchand, Dictionaire historique, ou Mémoires critiques et littéraires, concernant la vie et les ouvrages de divers personnages distingués, particulièrement dans la République des Lettres (La Haye 1758, folio, 2 tomes en 1 vol.).

[4] Dans l’édition du DHC établie par Prosper Marchand (1720), les ajouts de Bayle à ses articles existants sont intégrés dans les articles du DHC avec des signes pour distinguer les étapes successives de la rédaction ; les nouveaux articles sont publiés en annexe dans cette même édition : voir Lettre 1743, n.14.

[5] Les Entretiens de Maxime et de Thémiste (Rotterdam 1707, 12°, 2 vol.) : voir Lettre 1704, n.2.

[6] Le chevalier Destournelles : voir Lettre 1650, n.2.

[7] Adriaan Paets le fils (1657-1712), receveur général de la Chambre rotterdamoise de la Compagnie néerlandaise des Indes orientales ( Vereenigde Oost-Indische Compagnie : VOC) ; il possédait une célèbre collection de peintures. Voir E.A. Engelbrecht, (en collaboration avec W.J.L. Poelmans), De Vroedschap van Rotterdam, 1572-1795 (Rotterdam 1973), p.208. Sa collection fut vendue aux enchères en 1713 : voir le catalogue de huit pages, Lyst van verscheide uitmu[n]tende schilderyen van voornaeme meesters, waer uit bestaet het kabinet van wylen den heer Adriaen Paets [...] den 26. April 1713 (Rotterdam, Fritsch et Böhm [1713], 8°), dont un exemplaire se trouve à Wolfenbüttel (cote : M : Uc Kapsel 1 (5)), et S. Delahay et N. Schadée, « Verzamelaars en handelaars in Rotterdam », in N. Schadée (dir.), Rotterdamse meesters in de Gouden Eeuw (Rotterdam 1994), p. 31-42. La vente aux enchères de la collection de Paets servit ensuite de modèle à celle des peintures du roi Guillaume III : voir K. Jonckheere, The Auction of King William’s paintings. Elite international art at the end of the Dutch Golden Age (Amsterdam 2008).

[8] Charles Bruguière de Naudis : voir Lettre 1754.

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