Lettre 1747 : Jacques Basnage à Jean Le Clerc
[Rotterdam, le 20 janvier 1707] Monsieur Je n’ay pu me donner l’honneur de repondre plustost à votre lettre [1] par ce que j’estois à La Haye lorsqu’elle fut ap[p]ortée icy. J’ay communiqué à Mr Leers ce qui regardoit la sup[p]ression des derniers ouvrages de feu M. Bayle [2] mais la perte luy a parue trop grosse pour la faire volontairement. D’ailleurs il avoit eu d’abord quelque dessein de n’imprimer pas le dernier volume des Questions par ce qu’il n’est pas parfait et qu’il ne faisoit qu’en commencer l’impression mais il a recu plusieurs lettres de divers • lieux qui sur le bruit qui s’en estoit repandu l’ont sollicité à changer d’avis et à publier cette partie de reponce à M. Bernard [3] dans l’estat où elle est. Comme je ne l’ay pas veue et que j’ay remis les m[anu]s[crit]s de M. Bayle dans l’estat où je les ay trouvez, je ne puis dire jusqu’où il a poussé ses reflexions. Pour les Entretiens il y manquera peu de choses et l’impression en est presque achevée [4]. Je suis toujours faché qu’il y ait / de la violence et des outrages. Il n’a pas tenu à moy qu’ils n’aient esté effacez de ses ecrits mais quoy qu’on ait dit
incolumi licuit semper amicitia [5]
Pour mes autres ouvrages vous avez trop de complaisance de vouloir les faire entrer dans votre bibliothèque. Après avoir fait quelques petits traités anonymes de controverse[,] je publiay en 1687 la lettre de saint Chrisostome à Cæsarius avec des dissertations latines l’une sur l’heresie d’ Apollinaire et l’autre / contre le P[ère] Simon in 8° [7].
Je fis imprimer en 1690 • l’ Histoire des Eglises reformées en 2 vol. 8° [8]. C’estoit une reponce à l’ Histoire des variations par M. l’ eveque de Meaux[.] Je commencois • notre histoire au X e siecle aux Albigeois vaudois que M. de Meaux avoit maltraitez [9]. Mais j’ay depuis inseré ces 2 volumes à la fin de mon Histoire de l’Eglise imprimée en 2 vol. fol[io] 1699 [10]. Cette histoire • contient • celle du • gouvernement dès son origine[,] celle des principaux dogmes controversez avec l’Eglise romaine et enfin celle du culte.
En attendant que cet ouvrage • parust[,] je fis imprimer un Traité de la conscience à Amsterdam en 1696 8° [11] et je mis à la tete une dissertation ou plusieurs chapitres contre le Commentaire philosophique qu’on attribue à M. Bayle[,] je trouvois qu’il donnoit dans l’exces en disculpant parfaitement ce qu’il ap[p]elloit l’ignorance invincible et la consciente errante [12]. Le reste de l’ouvrage regarde la morale. Les catholiques l’ont rimprimé à Lyon deux fois sans effacer mon nom [13] ils ont seulement oté la qualité de ministre et ont laissé tous les endroits qui les regardoient indirectement. Un pretre de Rouen a aussy fait rimprimé ma Communion sainte comme un ouvrage plein de devotion utile aux siens comme aux notres [14].
J’ay • publié en 1701 un Traite des prejugez faux et legitimes ou reponce aux lettres pastorales de quatre prelats en 3 petits vol. 12 [15][.] / Cet ouvrage roule principalement sur les promesses de J[esus]-Ch[rist] à l’Eglise que M. de Meaux avoit fort relevées dans ses pastorales et sur la necessité de l’examen en matiere de Religion.
On a imprimé en • 1704 mon Histoire de la Bible • dans laquelle j’ay expliqué divers passages de l’Ecriture [16]. • Un des livres dont je me suis servy le plus utilement a esté votre commentaire sur le Pentateuque [17] comme cela paroit par diverses explications. Si je ne vous ay pas cité c’est que la forme du volume ne permettoit pas d’indiquer les autheurs que j’avois suivis mais je me feray toujours un honneur d’avouer ce que je vous dois à cet egard. Mortier rimprima cette Histoire in 4° [18]. On l’a rimprimée depuis en flamand [19]augmentée d’une Histoire universelle sainte et prophane. J’y ai distribué les temps de l’Eglise judaique par premier second siecle comme on fait ceux de l’Eglise chrétienne et j’y ay rap[p]orté tous les autres evenemen[t]s • du monde. On imprime cette meme augmentation en francois [20].
Je ne pretends pas Monsieur vous envoier ce detail afin que vous l’inseriez. • J’execute seulement ce que vous avez souhaité de moy. • Je suis même honteux de vous entretenir si longtemps de ce qui me regarde. C’est une notice pour votre satisfaction particuliere plus tost que pour le public[.] Je ne laisse pas de vous estre sensiblement obligé de me l’avoir demandé et je suis veritablement, Monsieur, votre tres humble et tres obeissant serviteur
ce 20 janvier
Mr Paets vous remercie et vous fait ses complimen[t]s [21].
Notes :
[1] Cette lettre de Jean Le Clerc à Jacques Basnage, datée sans doute de la première quinzaine de janvier 1707, est perdue.
[2] Le Clerc avait souhaité faire supprimer les derniers ouvrages polémiques de Bayle contre les « rationaux » – c’est-à-dire contre lui-même, contre Isaac Jaquelot et contre Jacques Bernard. Cette intention de Le Clerc est confirmée par la lettre du chevalier Destournelles à Dubos du 3 février 1707 : voir Lettre 1753.
[3] Voir la RQP, tome V (IV e partie, Rotterdam, Reinier Leers 1707, 12° : achevé d’imprimer en mai-juin 1707), §XX-XXVI ( OD, iii.1059-1078), qui comporte une réponse aux objections de Jacques Bernard à l’analyse par Bayle de l’ouvrage de William King, De origine mali.
[4] Bayle, Entretiens de Maxime et de Thémiste (Rotterdam 1707, 12°, 2 vol.).
[5] « Il est toujours permis, sans nuire à l’amitié, d’être deux à avoir un avis différent sur les mêmes choses. » Voir aussi Gabriel Naudé, Jugement de tout ce qui a été imprimé contre le cardinal Mazarin depuis le sixième janvier jusques à la déclaration du 1 er avril 1649, ou Le Mascurat (Paris, Sébastien Cramoisy 1649, 4°), p. 173 : cette maxime, dont l’auteur reste inconnu, est prononcée par le personnage éponyme à propos de l’invention de l’imprimerie.
[6] Sur la publication de l’ouvrage monumental de Jacques Basnage, L’Histoire et la religion des juifs (Rotterdam 1706-1707, 12°, 5 vol.), voir Lettre 1631, n.18-19. Il s’agit ici du passage du livre VI « contenant leurs rites et leurs cérémonies », ch. I : « Du Sanhédrin : son origine et son gouvernement », et ch. II : « De l’autorité du Sanhédrin »
[7] Jacques Basnage, Divi Chrysostomi epistola ad Cæsarium monachum, juxta exemplar cl. v. E. Bigotii. Cui adjunctæ sunt tres epistolicæ dissertationes : I. De Apollinaris hæresi ; II. De variis Athanasio supposititiis operibus ; III. Adversus Simonium (Roterodami 1687, 8°).
[8] Jacques Basnage, Histoire de la religion des Eglises réformées, pour servir de réponse à l’« Histoire des variations des Eglises protestantes » de M. de Meaux (Rotterdam 1690, 8°, 2 vol.).
[9] Dans son Histoire des variations (Paris 1688, 4°), Bossuet insiste longuement et polémiquement sur le manichéisme des albigeois ou vaudois et sur la sympathie des réformés à l’égard de cette secte.
[10] Jacques Basnage, Histoire de l’Eglise depuis Jésus-Christ jusqu’à présent (Rotterdam 1699, folio).
[11] Jacques Basnage, Traité de la conscience, dans lequel on examine sa nature, ses illusions, ses craintes, ses doutes, ses scrupules, sa paix, et divers cas de conscience, avec des réflexions sur le « Commentaire philosophique » (Amsterdam, Pierre Brunel 1696, 12°, 2 vol.).
[12] Ibid. : voir en particulier, livre premier : « De la bonne et de la mauvaise conscience », ch. III : « De la conscience ignorante », où l’auteur du Commentaire philosophique est cité explicitement – mais non pas le nom de Bayle. L’ensemble du propos de Basnage se fonde sur notre capacité à éclairer la conscience et donc à éviter les circonstances où nous serions obligés de suivre une conscience errante.
[13] L’affirmation de Basnage est plausible, mais nous n’avons pas trouvé d’édition explicitement lyonnaise : les éditions pirates lyonnaises ont parfaitement pu être publiées sous l’adresse de Pierre Brunel à Amsterdam.
[14] Jacques Basnage, La Communion sainte, ou traité sur la nécessité et les moiens de communier dignement (Rotterdam 1688, 12°). Basnage fait allusion à l’édition rouennaise du nouveau converti M. de Flamare, Conformité de la creance de l’Eglise catholique, avec la creance de l’Eglise primitive, et diférence de la creance de l’Eglise protestante, d’avec l’un et l’autre. [...] Suivies de Reflexions sur l’excellence du livre intitulé, « La Communion sainte », par Mr Basnage (Rouen 1701, 1708, 12°, 2 vol.). Voir le compte rendu dans les Mémoires de Trévoux, mai 1701, p.35-39, et le commentaire d’ Henri Basnage de Beauval, HOS, décembre 1701, p.548-549, à l’occasion de la publication par Basnage d’une sixième édition de sa Communion sainte (Rotterdam, Abraham Acher 1701, 12°) avec une préface pour répondre à Flamare.
[15] Jacques Basnage, Traité des préjugez faux et légitimes, ou réponse aux Lettres et Instructions pastorales de quatre prélats : MM. de Noailles, cardinal archevêque de Paris ; Colbert, archevêque de Rouen ; Bossuet, évêque de Meaux ; et Nesmond, évêque de Montauban (Delft 1701, 8°, 3 vol.).
[16] Jacques Basnage, Histoire du Vieux et du Nouveau Testament, enrichie de plusieurs figures en taille-douce (Amsterdam 1704, 4°) ; une nouvelle édition devait sortir quelques années plus tard (Genève 1712, 12°, 3 vol.), suivie des Annales de l’Eglise et du monde, et un abrégé de la géographie sacrée (Genève 1712, 8°).
[17] Jean Le Clerc, Genesis sive Mosis Prophetæ liber primus. Ex translatione Joannis Clerici, cum ejusdem paraphrasi perpetua, commentario philologico, dissertationibus [...] et tabulis chronologicis (Amstelodami 1693, folio), édition et commentaire suivis par ses Mosis prophetæ libri IV : Exodus, Leviticus, Numeri et Deuteronomium, ex translatione Joannis Clerici (Amstelodami 1696, folio). L’ensemble devait être publié par la suite sous le titre Pentateuchus, sive Mosis prophetæ libri quinque (Amstelodami 1710, folio, 2 vol.).
[18] Une nouvelle édition de l’ Histoire du Vieux et du Nouveau Testament parut chez Joan Groenewoudt (Amsterdam 1705, 4°), une autre, en effet, chez Pierre Mortier (Amsterdam 1706, 4°), et deux autres éditions devaient paraître chez Jacques Fabri (Genève 1708, 12°, 3 vol.) et chez Fabri et Jacques François Barillot (Genève 1712, 12°, 3 vol.).
[19] Jacques Basnage, ’T Groot Waerelds Tafereel, Waar in de Heilige en Waereldsche Geschiedenissen en Veranderingen zedert de Scheppinge des Waerelds Tot het Uiteinde van de Openbaaring van Johannes, Worden afgemaalt, en ider Konst-prent door Godsgeleerde Wysgeerige en Waereldlyke Uitleggingen, Redeneeringen en Gedachten verciert (Amsterdam, Jacob Lindenberg [1705], folio). La traduction en néerlandais, due à Abraham Alewijn (1664-1721), un avocat, poète et dramaturge de renom, connut un énorme succès, dû sans doute en partie aux illustrations fournies par Romeyn de Hooghe (1645-1708).
[20] Jacques Basnage, Histoire du Vieux et du Nouveau Testament, représentée en tailles-douces dessignées et faites par Romein de Hooge. Avec des explications dans lesquelles on éclaircit plusieurs passages obscurs et on lève les principales difficultez de l’Ecriture Sainte (Amsterdam, Jacob Lindenberg 1704, folio).
[21] Adriaan Paets le fils : voir Lettres 504, n.11, et 520.