Lettre 1001 : Pierre Bayle à François Janiçon

[Rotterdam, le 27 juillet 1694]

 

Extrait d’une lettre de Mr Bayle du 27 juillet 1694 [1]

 

Vous m’avez fait un extreme plaisir, Monsieur, de me marquer les endroits dans les quels je me suis trompé dans l’essai de mon Dictionnaire critique [2], et vous m’avés rendu justice quand vous avés cru que je ne le prendrais point à mauvaise part. Il n’y a peut estre point d’endroit par lequel je souhaitte d’estre autant connu du public que par l’ingenuité avec laquelle je reconnois mes erreurs et je sai bon gré à ceux qui m’en avertissent mesme publiquem[en]t. Je ne donne point cela pour une exemption d’amour propre, ce n’est qu’une autre maniere de s’aimer, j’envisage comme un deffaut l’entetem[en]t d’un auteur et la tendresse dont il se coëffe pour ses ouvrages, l’indifference me paroit une vertu dans un auteur, il ne faut donc pas que je prenne pour un acte d’humilité l’envie d’estre connu pour un auteur tres indifferent* à l’egard de ses ouvrages et toujours prest à rejetter ses erreurs. Je vous supplie donc, Mr, qu’une autre fois, vous ne fassiés nul scrupule de dire que je me suis trompé en cela et en cela, soyés seur que je n’en serai pas moins rempli d’estime et d’amitié pour vous.

La Genèse de Mr Le Clerc [3] dont vous me parlés est une nouvelle version sur l’hébreu accompagnée de paraphrases et de notes. Mais ce qu’il y a de plus curieux consiste dans les dissertations qui accompagnent la version et qui conjecture[nt] la langue que parloit Adam, la punition de Sodome, la femme de Lot etc. L’auteur / ne croid poind qu’il y ait eu rien de surnaturel dans l’embrasement de Sodome, il épargne les miracles à la Providence avec beaucoup d’œconomie [4]. Mr Burnet a bien la mine de ne rien croire sur la Chute du premier homme [5], pour le moins, il donne clairement à entrendre que Moyse n’en a point rapporté se [ sic] fait litteralement, mais voilé sous une maniere d’apologue ou d’embleme selon la maniere des Orientaux.

On a imprimé en Allemagne quelques lettres du savant Conringius professeur à Helmstad écrites à Mr l’éveque de Paderborn et à Mr Baluze avec les reponses de celui-ci [6]. La Vie de Conringius a eté mise à la tete. On fait une nouvelle edition du Longin à Utrecht in 4° dans laquelle on inserera la version et les remarques de Mrs Despreaux et Dacier. Je ne doute point que celles de Mr Perraut n’y soient aussi inserées. L’auteur de cette edition se nomme Tollius [7]. Il a du savoir et des humanistes [ sic]. Il etoit professeur à Duisbourg au païs de Cleves et voyagea par ordre de l’électeur de Brandebourg en divers païs du monde pour achepter des livres à mettre dans la bibliotheque electorale. Il se fit catholique à Rome et à son retour il quitta sa charge de professeur à Duisbourg. Il s’est retiré à Utrecht. Il y publie un Longin grec et latin : il corrige le texte grec et donne une nouvelle version avec un ample commentaire. La version françoise de Mr Despreaux avec les notes serviront d’appendix.

Notes :

[1La lettre de Bayle à Janiçon du 27 juillet 1694 est perdue, mais nous en connaissons la teneur par l’extrait envoyé par Janiçon à Jean-Alphonse Turrettini, conservé dans le fond Budé qui vient d’être déposé à la Bibliothèque de Genève. Quatre extraits de cette nature viennent d’y être découverts par Albert Gootjes et Maria-Cristina Pitassi : nous les remercions d’avoir mis aussitôt ces documents précieux à notre disposition avant même l’inventaire de ce fonds par la Bibliothèque de Genève.

[2Bayle avait publié son Projet d’un dictionnaire critique en mai 1692 : voir Lettre 864. La lettre de Janiçon qui comporte des commentaires sur cette publication est perdue.

[3Sur la parution de la Genèse traduite par Jean Le Clerc, voir Lettre 1000, n.12.

[4Bayle répète une remarque déjà faite à Pinsson des Riolles : voir Lettre 1000, n.15.

[5Sur l’interprétation allégorique des Ecritures par Thomas Burnet, voir Lettre 895, n.22.

[6Sur cette édition de la correspondance de Hermann Conring et d’ Etienne Baluze, voir Lettre 1000, n.18.

[7Sur cette édition du pseudo- Longin par Tollius , l’ancien maître d’ Almeloveen, voir Lettre 985, n.2. En écrivant à Janiçon, Bayle reprend le termes mêmes de sa lettre du 26 juillet (Lettre 1000) à Pinsson des Riolles.

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