Lettre 1002 : Charles Perrault à Pierre Bayle

[Paris, le 3 août 1694]

Monsieur

Je n’ay pu voir les choses obligeantes que vous dittes de moy dans la lettre que vous avez écritte à Mons r Pinsson [1] sans former le dessein de vous en marquer ma reconnoissance et la joye que j’ay d’avoir sur le fait des Anciens et des Modernes des sentimens conformes aux vostres. Rien ne pouvoit[,] Monsieur[,] me confirmer davantage dans mon opinion[,] qui ap[p]arament deviendra un jour l’opinion commune, que d’apprendre que vous ne la desap[p]rouvez pas, et qu’elle est du goust de vos Messieurs les curieux, comme vous le mandez à Mr Pinsson. Je prens la liberté de vous envoyer par son moyen l’echantillon des reponces que je prepare aux Observations critiques de Mr Despreaux [2]. Je puis dire • que cet essay / a esté icy tres bien receu et que les meilleurs amis de Mr Despreaux sont convenus qu’il estoit malaisé d’y faire une replique. Je souhaitte[,] Monsieur[,] qu’il ayt le mesme bonheur aupres de vous.

Je ne sçay ce que c’est que la Critique de Griselidis dont vous parlez [3]. Il est vray que dans le temps que je fis ce petit ouvrage il en parut une en manuscrit, c’estoit une chanson de soixante ou quatre vingt couplets sur le chant de Réveillez-vous, belle endormie[ ;] mais cela fut trouvé si mauvais que personne ne voulut en faire de copie et que de ceux qui en commencerent la lecture il n’y en eut pas quatre qui l’acheverent. Si c’estoit autre chose que cette mauvaise chanson[,] vous me feriez[,] Monsieur[,] un extreme plaisir de me donner les moyens de la pouvoir voir. Je vous demande pardon[,] Monsieur[,] d’en user si librement mais il n’est pas moins naturel à un auteur / de vouloir sçavoir ce qu’on dit contre luy que ce qu’on dit à son avantage.

Faittes-moy la grace[,] Monsieur[,] d’estre bien persuadé que parmi le nombre infini de personnes qui vous estiment[,] il n’y en a peut estre point qui vous honore plus que moy et qui soit plus penetré de vostre merite. Je suis tres veritablement Monsieur vostre tres humble et tres obeissant serviteur
Perrault Ce 3 e aoust 1694

 

A Monsieur / Monsieur Bayle •

Notes :

[1Voir la lettre de Bayle à Pinsson des Riolles du 26 juillet 1694 (Lettre 1000).

[2Sur cette bataille entre Charles Perrault et Nicolas Boileau-Despréaux, voir Lettres 955, n.3 et 5, et 1000, n.8. Il s’agit ici de la nouvelle édition des Œuvres diverses comportant la traduction du pseudo- Longin par Boileau, Traité du sublime, ou du merveilleux dans le discours (Paris 1694, 12°), accompagnée de neuf Réflexions critiques sur le statut privilégié des auteurs anciens par rapport aux Modernes, auxquelles Perrault devait opposer sa Réponse aux réflexions critiques de M. D[espréaux] sur Longin (s.l.n.d., 12°). La traduction de Boileau venait de connaître une nouvelle édition en annexe de l’édition par Tollius : voir Lettre 985, n.2.

[3Sur cette critique anonyme du conte Grisélidis de Perrault, publiée dans un périodique imprimé par Moetjens à La Haye, voir Lettre 1000, n.10.

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