Lettre 1034 : Pierre Isarn de Capdeville à Pierre Bayle

• A Amsterdam le 4 mai 1695

Monsieur

Je trouvai a mon arrivée à Harlem [1] la let[t]re que vous m’y aviés adressée où vous m’entretenés de vos af[f]aires avec le consistoire de Rot[t]erdam [2][.] Je m’at[t]endois à recevoir quelques avis de Mr Basnage sur le meme sujet, mais ni lui ni qui que ce soit ne m’a peu donner d’autres lumieres et sur tout personne n’a paru et on n’a point voulu des let[t]res de votre part pour faire quelque requisition pour soutenir votre droit. Vous scavez quelles sont les chycanes de ceux à qui vous aves à faire[,] vous en redoutés d’ailleurs le ressentiment[,] mais il faut vous imaginer qu’il y a de certaines formalités inevitables sans lesquelles on ne peut rien faire. Il faut 1° etablir la qualité de ceux qui agissent et ordon[n]er le reste à proportion, ainsi on n’a peu faire de proposition sur votre af[f]aire que tres generale pour n’etre point fondé à en faire de particuliere [3], les dep[utés] de Rotterdam ont demandé d’etre dans une entiere liberté de vous poursuivre quant et com[m]e bon leur semblera, sur quoi tout ce que j’ai peu faire n’etant pas qualifié à parler pour vous, a esté de demander que la discipline fut observée et qu’on n’abusat point de la jurisdiction ec[c]l[esiastique] com[m]e d’un pouvoir arbitraire reprouvé en ce pais en tout, et que c’estoit pour cela que nous avions ci devant relevé les irregularités dont on avoit usé en d’autres procedures que nous / le faisions en cel[l]e ci sans scrupules malgré les sinistres interprétations qu’on en pourroit faire, vous pourrez aprendre d’ailleurs ce que j’ai dit pour cest effect[.] Enfin ceste af[f]aire s’estant presentée la derniere[,] elle a esté decidée com[m]e par le precedent sinode que le consistoire la terminera dans le delai renouvelé [4][.] Elle y est exprimée par le titre de votre af[f]aire avec Mr Jurieu com[m]e le transport de jurisdiction sur lequel je m’etendis autant que le peut faire un membre de la compagnie qui ne doit point prendre d’interet, [il] a esté fait depuis long tems sans que vous en aiés reclamé en tems et lieu. Il n’a pas esté possible de rap[p]eler l’af[f]aire au sinode, outre que nous avons tousjours soutenu dans toutes les autres rencontres que ce transport ne se doit point faire, et qu’il faut que le premier Juge face la procedure et prononce pour doner lieu au second d’en con[n]oitre par ap[p]el, ainsi, Monsieur, tout se reduit là que dans les avanies qu’on vous fait, vous faciés vos remontrances par ecrit et enfin un ap[p]el en bonne forme dans le premier grief qui vous sera fait[.] Le changement de question qu’on vous fait, et celui de [la] partie [de] Monsieur Jurieu substituant à sa place le consistoire qui est votre juge suf[f]isoit pour en ap[p]eler au sinode, mais vous vous estes laissé surprendre en repondant à la question qui vous a esté faite et en repondant qu’il vous faloit un mois pour achever vos instructions[.] C’est un piege qu’un franc chiquaneur vous a tendu[.] Il ne s’agissoit point de cela, il faut premierement regler la qualité de la partie / l’etat de la question telle qu’elle a esté dès le com[m]ancement, et faute de justice sur ces deux points[,] relever incontinant votre ap[p]el, sans quoi aucune de vos meilleures raisons ne peut estre relevée par qui que ce soit, alors on aura lieu d’exagerer les iniquités qui vous ont esté faites, par la long[u]eur du proces qui tend à vous rendre suspect et odieux quand on ne peut pas faire pis en faisant juger l’af[f]aire[.] Mais tousjours il en faut revenir là que vous devez agir vigoureusement, temoigner votre resolution et • ne perdre point de tems à ce qu’il faut faire[.] Vous ne manqués pas d’amis ni de conseil et quoiqu’il vous soit facheux de vous abaisser a cet[t]e basse routine[,] c’est pourtant une necessité si vous voulés vous defendre avec succes et si vous voulés bien que vos amis puissent agir pour vous.

Je me fairai tousjours un hon[n]eur et un plaisir de le faire de toutes mes forces et en toute ocasion puisque je suis Monsieur votre tres humble et tres obeissant serviteur
Ysarn

Je n’ai pas encore veu Mr Brassard depuis mon retour, je scai qu’il se porte bien [5].

 

A Monsieur / Monsieur Baile

Notes :

[1Isarn s’était rendu à Haarlem à l’occasion de la tenue du synode des Eglises wallonnes (voir Lettre 1032 n.4), mais c’est Abraham Boddens qui était pasteur délégué de l’Eglise d’Amsterdam pour cette session ( Livre synodal, 27 avril 1695, p.1). La suite de la lettre laisse cependant entendre qu’Isarn fut autorisé à intervenir dans ce débat.

[2Toutes les lettres de Bayle à Pierre Isarn sont perdues. Sur les démêlés de Bayle avec le consistoire de l’Eglise wallonne de Rotterdam, voir Lettre 1032.

[3Le synode a refusé de se saisir de l’affaire Bayle et l’a renvoyée au consistoire : « A la lecture de l’article 36 du sinode précédent, la Compagnie ordonne que l’Eglise de Rotterdam terminera promptement l’affaire entre Monsieur Jurieu et Monsieur Bayle. » ( Livre synodal, 3 mai 1695, art. xlii). Au synode de Goes, un délai avait été accordé à l’Eglise de Rotterdam pour qu’elle remplisse le mandat confié par le synode de Gouda (voir Lettre 986, n.3) « avec cette limitation [que la Compagnie] entend que cette affaire soit terminée entre cy et le synode prochain » ( Livre synodal, 20 août 1694, art. xxxvi).

[4Voir Lettre 1032 n.5.

[5Isaac Brassard avait été malade : voir Lettre 1025, n.3.

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