Lettre 1070 : Julien Simon Brodeau d’Oiseville à Pierre Bayle

• [Paris, le 2 janvier 1696]

Monsieur

Je reçus hier la lettre que vous me faites l’honneur de m’escrire le 15 e du mois dernier [1] ; rien ne pouvoit m’arriver de plus heureux dans le commencement de cette année, et j’ose en augurer des suittes qui y respondent, si quelque chagrin nea[n]tmoins peut troubler tout la joye que je ressens, c’est sans doute la confusion où je suis de me voir prevenu par une personne aussi pretieuse au public que vous l’estes, et dont tous les moments sont contés ; je n’aurois pas manqué de vous remercier plustost qu’aujourdhuy de toutes les bontés que vous continués d’avoir pour moy, si j’eusse sçû de mesme ce qui s’est passé a l’esgard de mon manuscrit [2] : j’en ay reçu la premiere nouvelle de Mr Le Duchat qui m’escrit le 24 du mois dernier ce que vous me faites l’honneur de me confirmer par vostre lettre, et il m’apprend en mesme temps que le Nouveau Catholicon est achevé d’imprimer [3] ; sur l’advis de Mr Le Duchat qui est tousjours vigilant et parfait amy[,] je me disposois à avoir / l’honneur de vous escrire, lorsque j’ay reçû vostre lettre ; toute courte qu’elle est, elle me dit bien des choses, et me fait sentir plus vivement que jamais le bonheur que m’a causé une simple petite traduction, qui est tel[le] que j’ay pû entrer en commerce avec un homme d’un merite si eslevé et d’une si vaste littérature qu’il peut sans s’appauvrir en respandre abondamment sur tous ceux qu’il voudra bien honorer de son amitié, advantage veritablement glorieux et solide, et dont vous me permettés, Monsieur, de profiter.

Nardi parvus Onyx eliciet Cadum [4]

Pour respondre precisement, Monsieur, sur ce que vous me faites l’honneur de me demander touchant le nombre d’exemplaires que je pourrois souhaitter, j’ay à dire qu’en cette occasion comme en toute autre vous aurés tousjours droit d’ordonner à mon esgard ; d’ailleurs la chose dependra de • Mr Des Bordes [5] que je sçais estre homme de merite, et dont je ne pretends point taxer l’honnesteté ; j’espere que nous pourrons avoir encore quelque petit commerce ensemble dans la suitte, luy et moy, et que nous pourrons nous connoistre mieux qu’à present ; ainsi, Monsieur, puisque vous avés la bonté de vous charger de ce soin, je vous prie de vouloir bien escrire à Mr Des Bordes que premierement mon intention est qu’il vous deslivre et vous presente tel nombre d’exemplaires qu’il vous plaira de recevoir de ma part, et que je vous supplie / d’agreer comme un hommage que je vous rends ; il n’aura qu’à les diminuer sur le nombre de ceux qu’il m’aura destinés. A l’esgard du voyage, c’est où je trouve un peu de difficulté, ainsi je laisse le choix à Mr Des Bordes ou de faire tenir les livres droit à Paris à quelqu’un de ses correspondants à qui j’en acquitteray le port, ou à Metz à Mr Le Duchat auquel je l’acquitterois de mesme, et qui voudra bien recevoir les livres pour moy : si Mr Des Bordes me les veut bien faire tenir à Paris, ce qui me seroit en effet le plus agreable, et le plus commode, ayés la bonté, Monsieur, de luy indiquer ma demeure qui est tousjours chés Mr Le Boindre con[seill]er au Parlement[,] cul de sac S[ain]t Dominique[,] faux bourg S[ain]t Michel.

Mr Le Duchat m’a appris, Monsieur, que vostre celebre Dictionnaire paroistroit dans six mois au plus tard ; j’annonceray cette bonne nouvelle à toutes les personnes auxquelles je connois du goust pour les bonnes choses ; je puis seulement vous asseurer que tout Paris attend ce fameux ouvrage avec une impatience extreme ; souffrés que j’aye l’honneur de vous tesmoigner la joye que me donne une si agreable nouvelle, et de vous asseurer que je seray toute ma vie avec beaucoup de veneration et de respect Monsieur vostre tres humble et tres obeissant serviteur
Brodeau d’Oiseville A Paris le 2 e de janvier 1696.

Notes :

[1Aucune lettre de Bayle à Brodeau d’Oiseville ne nous est parvenue.

[2Brodeau d’Oiseville cherchait à faire imprimer de nouveau sa traduction du Divorce céleste de Ferrante Pallavicino : voir Lettre 1020, n.4.

[3Sur l’édition de la Satyre ménippée par Jacob Le Duchat, voir Lettres 922, n.1, et 936, n.14.

[4Nardi parvus Onyx eliciet Cadum : Horace, Odes, IV.12.17, « Une petite boîte de nard en albâtre fera sortir une bouteille de vin. »

[5Henry Desbordes, le libraire-imprimeur d’Amsterdam à qui Bayle avait confié le manuscrit de Brodeau d’Oiseville. L’ouvrage devait sortir sous une fausse adresse : Le Divorce céleste, causé par les dissolutions de l’espouse romaine [...] avec la vie de l’auteur. Traduit d’italien (Cologne 1696, 12°) ; il fut imprimé à Amsterdam par Jean-Louis de Lorme et E. Roger, dont l’adresse a pu être restituée d’après le frontispice gravé.

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