[Rotterdam, le 15 juillet 1696]

A l’homme très célèbre, et son très cher ami, Theodor Jansson Almeloveen, Pierre Bayle adresse son salut.

Si cela vous plaît, cher Almeloveen, vous entrerez dans les bonnes grâces de votre Bayle en prenant soin, si cela ne vous incommode pas, de faire porter ici demain par le bateau la dissertation sur Hardouin du très distingué Cellarius [1]. Car j’en ai besoin très promptement, ne voulant pas en être privé avant que Leers reçoive les exemplaires qui sont en route. Vous avez ici une copie de la lettre que Noris, récemment doté du chapeau cardinalice, a écrit à Nicaise [2] ; vous pourrez la copier à loisir, si cela en vaut la peine, et puis me la rendre. C’est avec raison que vous conjecturez que Fregosius et Fulgosius sont un seul et même auteur [3]. Que par Henning vous entendiez ce qui concerne Bergier [4] est tout de suite acceptable et digne d’un homme comme vous qui rend autant de grands services à la République des Lettres que tout autre. Hippocrate [5] appartient au nombre de ceux dont j’ai renvoyé la description à une autre fois ; car il n’était pas possible d’insérer dans les deux volumes même le tiers de ceux que j’ai dans mes collections. Les autres, si Dieu le permet et que la bienveillance des lecteurs le souffre, paraîtront dans leur temps. Sansovinus Venetus [6], si je m’en souviens bien, a écrit sur des femmes illustres et beaucoup d’autres dignes d’attention dans l’index à la fin de l’épître dédicatoire.

Au revoir, tête très chère et continuez à aimer votre Bayle.

Donnée à la hâte à Rotterdam le jour même des Ides de juillet 1696.

 

« Je croy, Monsieur, vous avoir parlé d’un livre impertinent imprimé à Marseille, qui a fait du bruit, voicy ce qu’on m’en ecrit. Il court une lettre facheuse contre Monsieur de Meaux au sujet de la censure du livre intitulé La Mystique Cité de Dieu composé par la sœur Marie du couvent d’Agreda religieuse portugaise, traduit en françois par un recolet et imprimé à Marseille [7], dans cette lettre on se deschaine impitoyablement contre le prelat, elle est adressée au Pere Quesnel par un colonel d’infanterie [8]. Le livre de la religieuse est in folio en trois volumes ; il y a une infinité de folies et d’extravagances dignes des petites maisons. Ce sont des revelations perpetuelles sur des faits impertinens. Le premier volume est la vie de la Vierge dans le ventre de sainte Anne, et dans le berçeau ; il y a beaucoup de revelations sur les saints et sur les saintes dont ont ne trouve point de reliques, comme sainte Anne, saint Joachim, saint Joseph etc. »

 

A Monsieur / Monsieur Almeloveen / Docteur en Medecine / A Tergou

Notes :

[1L’ouvrage de Christophe Keller, dit Cellarius, sur les publications de Jean Hardouin était annoncé par Almeloveen parmi d’autres dans sa lettre du 12 mars : voir Lettre 1094, n.4. Sans doute n’avait-il finalement pas fait partie du paquet.

[2Très fier de la lettre du cardinal Noris, plus riche à ses yeux que celle qu’avait reçue Nicolas Thoynard, Nicaise l’avait envoyée à tous ses amis : voir Lettre 1109, n.15. Mais Bayle se trompe de lettre et envoie à Almeloveen un extrait d’une lettre perdue : voir le texte de l’extrait à la fin de la présente lettre. Il s’agit peut-être une lettre perdue de Dubos : ce n’est là qu’une hypothèse, mais le ton est léger, le scripteur s’amuse des « extravagances » de la mystique Maria de Agreda, ce qui correspond parfaitement à l’état d’esprit de Dubos, tandis que le ton d’ Edouard de Vitry est tout autre dans sa lettre du 20 juillet (Lettre 1135), envoyée quelques jours plus tard. Bayle se rendra compte de son erreur et enverra par la suite un extrait de la véritable lettre du cardinal Noris, qui ne nous est pas parvenu : voir Lettre 1136, n.8.

[3Sur Baptista Fregoso dit Fulgosius, voir Lettre 1129, n.8.

[4Sur la traduction latine de l’ouvrage de Nicolas Bergier par Henninius (Henning), voir Lettres 1031, n.9, 1105, n.31, et 1125, n.33.

[5En fin de compte, Bayle n’a pas rédigé d’article « Hippocrate » pour le DHC.

[6Il s’agit très probablement de Franscesco Sansovino (1521-1586), auteur de très nombreux ouvrages, parmi lesquels une Vita della illustre signora contessa Giulia Bemba della Torre (Venetia 1565, 4°), L’Historia di casa Orsina [...] (Venetia 1565, folio), Venetia citta nobilissima et singolare, descritta in XIIII libri da M. Francesco Sansovino [...] Cronico particolare delle case fatte da i Veneti dal principio della città fino all’anno 1581 [...] (Venetia 1581, 4°, 2 vol.) et Origini e fatti delle famiglie illustri d’Italia (Venetia 1670, 4°). Nous ne saurions préciser avec certitude l’ouvrage désigné par Bayle.

[7Sur l’ouvrage de Maria de Agreda et sur la traduction publiée par le récollet Thomas Croset, voir Lettre 1135, n.3.

[8Sur cette lettre violemment hostile à Bossuet, attribuée à Faydit de Riom, voir Lettre 1135, n.6.

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