Lettre 1217 : Henri Basnage de Beauval à François Janiçon

[La Haye, le 31 janvier 1697 [1]]

Le seul ouvrage qui n’a point paru publiquement icy est une Histoire d’Hollande par M. de Neuville [2], en 4 vol[umes] in 12°. Je n’ay pu voir que le premier où Du Maurier estoit copié tout entier. Si vous pouvez me l’envoyer vous m’obligerez.

Je m’imagine que ces M rs que la curiosité fera venir à la suite des ambassades apporteront ce qu’il y aura de plus nouveau et curieux ; vous m’obligerez fort de me faire connoistre à eux. On n’est pas encore convenu du lieu de l’assemblée, on attend le courier qui doit apporter la response de l’empereur. Il est le seul qui n’ayt point agréé La Haye. Il a si longtemps contesté pour le choix de la place, que je ne sçay ce qui en arrivera.

On debite icy une Histoire des avantures galantes de la reine de Suede [3]. C’est une narration assés confuse et assés mal digerée, meslée pourtant de quelques veritez.

Un théologien de Leyden a publié un in 4° intitulé Scepticismus debellatus [4] : il combat le scepticisme comme un monstre horrible. Mais il me semble que les gens decisifs sont bien plus à redouter que les sceptiques. M. Bayle dans son Dictionnaire historique et critique sous l’art[icle] de « Pirrhon » et celuy des « Pauliciens », de « David », etc. s’est donné beaucoup de liberté touchant le scepticisme. Je ne suis pas surpris que les devots en soient allarmez. Comme les devots sont de toutes les religions, nous en avons aussy qui en murmurent. Mais leur voix est estouffée par celles de tous les gens d’esprit et de bon goust.

M. Le Vassor, qui s’est allé joindre à l’Eglise anglicane, et que vous avez peut estre connu pendant qu’il professoit à S[ain]te Magloire à Paris a mis au jour un Traité de la maniere d’examiner les differends de la religion [5] ; il attaque l’infaillibilité de l’Eglise ; et comme Mr Nicole, et Mr de Meaux ont traité la mesme matiere [6], il les refute sans les epargner beaucoup. Il fait voir en particulier que les evesques de Rome n’estoient point les patriarches de tout l’Occident : que l’autorité du patriarche de Rome ne s’estendoit principalement que sur les provinces qu’on appelloit suburbicaires ; mais qu’il n’avoit que le 1 er rang, et nulle juridiction sur les autres provinces d’Occident, et nommement sur l’Angleterre. Il y a bien expliqué ce point d’Antiquité.

M. Le Clerc acheve un traité latin De Arte critica en 2 vol[umes] [7]. Il y aura là des choses bien curieuses. On me mande* d’Angleterre qu’ un ministre irlandois y vient de publier une histoire en latin sous ce titre : Historia nuperæ rerum mutationis in Anglia, in qua res a Jacobo Rege contra leges Angliæ, et Europæ libertatum, et ab / ordinibus Angliæ contra regem patratæ, 2 libris recensentur [8].

Je suis etc.

A La Haye le 31 janvier 1697

Notes :

[1Cette lettre de Basnage de Beauval du 31 janvier 1697 a, dans l’édition de P. Denis et dans l’ Inventaire d’E. Labrousse, qui se fondent sur la copie du fonds Rothschild, comme destinataire l’abbé Jean-Baptiste Dubos. Cependant, elle figure dans l’édition de H. Bots et d’H. van Lieshout, n° 62, p.126-127, selon le texte de la copie de la BNF f.fr. 19.206, comme étant adressée à François Janiçon. Il s’agit sans aucun doute de la même lettre, comme on pourra le vérifier en comparant notre texte principal, fondé sur la copie de la BNF f.fr. 19.206, avec l’appendice, où nous reproduisons le texte de la copie du fonds Rothschild. Dans la copie de la BNF, cette lettre figure parmi une série de lettres adressées par Basnage de Beauval à François Janiçon, et il est indiqué en tête de la lettre : « Du mesme au mesme ». De plus, comme le signalent H. Bots et H. van Lieshout dans leur édition, Janiçon a certainement fait suivre à Renaudot une lettre de Basnage de Beauval concernant le Dictionnaire de Bayle : dans sa réponse datée du 5 mars (Lettre 1228), Renaudot fait état de ce témoignage, qui est donc, en toute probabilité, constitué par la présente lettre. Sur ce point, voir aussi la lettre de Basnage de Beauval à Janisson du Marsin du 14 novembre 1697 (éd. Bots et Lieshout, n° 73), où se trouve une allusion à « la lettre de M. l’abbé Renaudot [celle du 5 mars, Lettre 1228], où je suis cité contre M. Bayle sur une lettre que j’avois escritte à Mr vostre pere » : cette dernière lettre évoquée par Basnage de Beauval serait donc la présente lettre. Enfin, dernier indice qui confirme les précédents : Bayle a déjà évoqué certains des ouvrages désignés ici – celui sur les galanteries de Christine de Suède et celui de Michel Le Vassor – dans sa lettre à Dubos du 3 janvier (Lettre 1202), et il signalera celui de Villemandy dans sa lettre du 7 mars (Lettre 1229), également adressée à Dubos : raison de plus pour identifier le destinataire de la présente lettre comme étant François Janiçon et non pas Jean-Baptiste Dubos. A. Lombard signale l’interprétation de P. Denis mais ne le suit pas sur ce point : La Correspondance de l’abbé Du Bos (1670-1742) (Paris 1913 ; Genève 1969), p.26.

[3Bayle avait signalé cet ouvrage médiocre de Franckenstein à Dubos dans sa lettre du 3 janvier : voir Lettre 1202, n.14.

[4Pierre de Villemandy (vers 1639-1703), directeur du collège wallon de Leyde depuis 1688, Scepticismus debellatus, seu humanæ cognitionis ratio ab imis radicibus explicata ; eiusdem certitudo adversus scepticos quosque veteres ac novos invictè asserta ; facilis ac tuta certitudinis huius obtinendæ methodus præmonstrata (Lugduni Batavorum 1697, 4°). Basnage de Beauval recense cet ouvrage dans l’ HOS, février 1697, art. IX, et Bayle l’annonce à Dubos dans sa lettre du 7 mars (Lettre 1229 : voir n.21). Sur Villemandy, voir aussi G.H.M. Posthumus Meyjes, Geschiedenis van het Waalse College te Leiden (Leiden 1974), p.144-146, et G. Piaia et G. Santinello (dir.), Models of the history of philosophy. From the Cartesian age to Brucker (Dordrecht 2010), p.50-58.

[5Sur cet ouvrage de Michel Le Vassor, voir Lettre 1200, n.7.

[6Allusion à l’ Histoire des variations des Eglises protestantes (Paris 1688, 4°) de Bossuet et à ses Avertissements (Paris 1689-1691, 4°, 7 vol.), ainsi qu’aux ouvrages de controverse de Pierre Nicole, Préjugés légitimes contre les calvinistes (Paris 1671, 12°), Les Prétendus Réformés convaincus de schisme [...] (Paris 1684, 12°) et De l’unité de l’Eglise, ou réfutation du nouveau système de M. Jurieu (Paris 1687, 12°).

[7Jean Le Clerc, Ars critica, in qua ad studia linguarum latinæ, græcæ et hebraicæ via munitur (Amstelodami 1696, 8°, 2 vol.) ; voir le compte rendu de Basnage de Beauval, HOS, août 1697, art. VI.

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