Lettre 124 : Vincent Minutoli à Jacques Basnage

[Genève, le] 26 de juillet [16]76.

Vous aurez receu mon tres-cher Monsieur apres celle qui alla en Normandie celle que je vous écrivis encore il y a 15 jours [1] si bien que vous voyez que je tache de vous payer vos arrerages afin que vous ne craigniez plus que j’en laisse accumuler de nouveaus : Je recommence aujourd’huy par où j’achevay ma derniere. C’est qu’aya[n]t fait reflexion sur le petit impromptu que vous y pûtes voir et consideré que vôtre vocation* a été faite non pas sur la fin de l’année passée mais au commencem[en]t de celle cy [2] j’ay crû qu’il falloit le reparer de cette sorte

In trigam amicorum publico munere

intra unius anni limites donatorum

Copia Minutolo vix est data græca Genevæ

tractandi ac mores historiasve simul

cùm statim Baili te ut philosophêre Sedani

de multis unum turba sacrata vocat

Banagium cœtus paulò post Rhotomagensis

pastorem patrii præcipit esse gregis

sic quod tres arcto connectit fœdere sidus

dissimile inter eos nil sinit esse diu

æternùm vigeat pax inter dulcis amicos

unus ad officium quos vocat annus, amen [3].

Vous l’envoyerez s’il vous plait ainsi à n[ot]re cher Mr Baile de qui j’ay receu le dernier paquet [4] et remis les encloses* / dont l’une est allée chercher madem[oisell]e Marcombes à S[aint]-Meon en Auvergne où elle a accompagné mad[am]e la comtesse de Dona [5] ;

Je me suis quasi fait malade à chercher ces jours des anagrames sur Ruiter autres que celle du Terruit que vous avez assurém[en]t vüe mais q[ue] je ne comprens pas bien

Terruit Hispanos Ruiter, qui terruit Anglos

ter ruit in Francos, territus ille ruit [6].

C’est q[ue] ce Terruit Hispanos n’est pas bien vray, car outre que Ruiter travailloit ast’heure* p[ou]r cette nation c’est qu’il n’étoit pas encore homme de commandem[en]t tandis q[ue] la Hollande étoit en guerre avec elle [7] ; deplus il ajoûte un t lequel ôté, le mot de terrui peut faire tout seul l’eloge de cet amiral [8]. J’envoye ceux q[ue] j’ay faits avec son epitaphe à Mr Malapert [9] et s’il ne l’improuve* pas j’en feré part à mes amis. Nos deputez sont de retour et cette semaine ou la prochaine nos pretendans à la profession hebraiq[ue] feront leur derniere épreuve [10]. L’ouvrage de mons r Ottius de Zuric contre Baronius sort de dessous la presse [11] et j’ay écrit p[ou]r en avoir un exemplaire au plûtôt, l’ayant je vous en feré la description[.] Je sçay q[ue] l’on imprime en quelque part deux pieces fort curieuses l’une est un assez grand Commentaire italien du Boccalin sur Tacite  [12] où il y a de grandes libertés et des maximes qui serviront bien aux politiques ; L’autre est ce grand et excellent Lexicon geographiq[ue] en 2 tomes de Ferrari, Baudrand, Magri [13] etc. L’homonymie si frequente qui se trouve / entre les noms des places, et la grande difference qu’il y a quelquefois entre les noms anciens et les modernes font que non seulem[en]t ceux qui s’occupent à des traductions, mais que ceux encore qui se plaisent simplem[en]t à la lecture des histoires ne sçauroient pas bien se passer d’une aide semblable, le dessein est utile me direz vous, mais il faut sçavoir s’il est bien executé, il l’est assurém[en]t mon cher Mons r et je ne pense pas qu’il y aît un seul lieu dans toute la terre habitable p[ou]r petit qu’il soit dont le nom y soit oublié, j’atte[n]ds avec beaucoup d’impatience que cette edition soit achevée. On me doit faire voir bien tôt une histoire de la connétable Colonna [14], mais comme c’est Lumberti qui l’a faite imprimer à Basle j’apprehende bien qu’elle ne soit en méchant françois Il m’est tombé seulem[en]t cet ordin[air]e* entre les mains une lettre écrite de Varsovie à Hanover [15], mais outre que cette piece est trop satyriq[ue] pour pouvoir être envoyée en France puis qu’elle ose railler sur les démarches de cette Couronne, le tems ne me permet pas de la pouvoir copier ou faire copier, Vous aurez part aussi aux petites particularités que j’ay reservées pour mons r de Gy [16], vous priant d’excuser ma liberté à enfermer sa lettre dans la v[ot]re parce q[ue] ne sçachant que le nom de la rüe et non pas celuy de la maison où il e[st] logé j’aurois apprehendé de la perdre. Adieu mon cher Mons r écrivez moy aussi souvent q[ue] vous le pourrez et vous rejoüirez infinim[en]t le tout v[ot]re

Minutoli.

Notes :

[1Ces lettres de Minutoli à Basnage ne nous sont pas parvenues. La seconde contenait visiblement un poème latin par lequel Minutoli célébrait la vocation de son ami à Rouen, celle de Bayle à Sedan et la sienne propre à Genève, tous événements survenus au cours d’une seule année (1675-1676).

[2Basnage avait prononcé un sermon à Quevilly le 22 décembre 1675, et avait été choisi pour y remplacer Etienne Le Moine comme pasteur. Cette décision fut connue officieusement dès le mois d’avril 1676, mais elle ne devait être rendue officielle qu’en octobre de la même année. Basnage s’installa à Rouen le 11 octobre : voir G. Cerny, Theology, politics and letters, p.28-29.

[3« Les trois amis. A peine un don public a-t-il permis à Minutoli de professer littérature, mœurs et coutumes et histoire grecques à Genève, qu’immédiatement, ô Bayle, le corps des ministres vous choisit entre de nombreux candidats pour enseigner la philosophie à Sedan. Peu de temps après, l’assemblée ordonne de nommer Basnage pasteur du troupeau de Rouen. Ainsi, l’astre qui nous unit d’un lien étroit ne permet qu’aucune différence dure entre nous. Que la douce paix règne entre des amis qu’une seule et même année appelle à un ministère éternel. »

[4Cette lettre de Bayle à Minutoli était probablement la Lettre 122 ou 123, à laquelle Bayle aurait joint d’autres lettres adressées à des gens de Genève ou des environs de la ville.

[5Voir Lettre 123, p.339, une allusion à un accident survenu à la comtesse de Dohna. C’est apparemment pour en soigner les suites que celle-ci, accompagnée de sa dame de compagnie, Louise Marcombes, s’est rendue en Auvergne, où les eaux de Saint-Myon, dont Mazarin et Colbert avaient fait usage, étaient réputées. Voir A. Rudel, Sources merveilleuses d’Auvergne et du Bourbonnais (Clermont-Ferrand 1974), p.140. Cette source au débit réduit n’appartient plus au thermalisme d’aujourd’hui.

[6« Les Espagnols furent terrifiés par Ruyter, qui terrifia les Anglais. Trois fois il fondit sur les Français, terrifié il tomba. »

[7C’est-à-dire, avant la Paix de Westphalie.

[8terrui : « j’ai répandu la terreur ». Ruyter aurait pu le dire avec justice de sa carrière comme fléau des Anglais et des Français et comme terreur des barbaresques.

[9Nous ignorons qui était ce lettré au jugement de qui Minutoli déférait et qui, apparemment, ne résidait pas à Genève même.

[10Voir Lettre 118, n.13.

[11Il s’agit du théologien zurichois Johann-Heinrich Otte : voir Lettre 117, n.12.

[14Sur ce livre, voir Lettre 135, n.28.

[15Lettre écrite de Varsovie à Hanovre : nous n’avons su identifier cette pièce fugitive.

[16Cet ami de Minutoli nous est inconnu. La Lettre du janvier 1680 nous apprend qu’il était Genevois. La lettre que Bayle lui adresse et à laquelle il fait allusion ici ne nous est pas parvenue.

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