Au très savant homme, et très digne professeur Théodore Jansson Almeloveen, Pierre Bayle adresse mille saluts.
Les nouvelles qui me parviennent de vous m’apportent une grande joie, très cher Almeloveen, vous la fleur et la moelle de mes amis. Parmi elles, j’ai lu que vous vous étiez heureusement acquitté de votre discours inaugural, et que vous vous apprêtiez à remplir vos fonctions à Harderwijk [1]. Que Dieu vous soit favorable. Mais j’aurais aimé vous embrasser, et vous adresser de vive voix mes vœux, avant même les vacances d’été.
Je me réjouis que votre projet soit tel que Chauvin l’a annoncé au monde savant dans le périodique berlinois [2]. Juncker ne s’est pas trompé de nom, mais il a oublié Lucrèce de Gonzague [3]. Parmi les femmes érudites, il y a eu en effet une Elisabeth, qui portait également le nom de Gonzague [4].
Puisque nous ignorons quand arriveront les bateaux, je vous envoie aujourd’hui les dissertations allemandes [5], et dès que j’aurai les paquets anglais [6], je veillerai à ce qu’ils vous soient envoyés par ceux dont je vous ai parlé [7]. Je vous demande de me renvoyer les deux volumes d’ Hilarion et de Chevillier [8] ; chaque fois qu’il vous plaira de les consulter, je les tiendrai prêts à votre disposition. Vous n’aurez qu’à me le faire savoir : je dis la même chose de tout le reste de ma modeste bibliothèque.
De très nombreux amis vous saluent et vous souhaitent une heureuse fortune. Portez-vous bien, vous l’ornement [des lettres] qui m’êtes cher, et aimez-moi toujours comme vous faites.
Donnée à Rotterdam, le premier jour avant les Nones de mai 1697.
Notes :
[1] Sur la conférence inaugurale d’ Almeloveen, nommé professeur d’éloquence à l’université de Harderwijk, voir Lettre 1231, n.1.
[2] Dans son Nouveau journal des savants, publié à Berlin, Etienne Chauvin avait annoncé le projet d’ Almeloveen de faire paraître un ouvrage sur les femmes savantes : novembre-décembre 1696, p.552 : « Les libraires parlent d’entreprendre d’imprimer des lettres de femmes scavantes que le célébre et curieux Mr Almeloveen a recueillies. » Sur ce projet, voir aussi Lettre 1244, n.3 et 4.
[3] Il s’agit de l’ouvrage de Christian Juncker, Schediasma historicum de ephemeridibus sive diariis eruditorum in nobilioribus Europæ partibus hactenus publicatis. In appendice exhibetur centuria fœminarum eruditione et scriptis illustrium (Lipsiæ 1692, 12°), qui intéressait Bayle et Almeloveen par son appendice. Bayle ne le cite cependant pas dans le DHC, mais seulement, de cet auteur, la Vita D. Martini Lutheri et successuum evangelicæ reformationis jubilæorumque evangelicorum historia, nummis [...] et iconibus illustrata (Francofurti 1699, 8°). Sur Lucrèce de Gonzague, voir Lettres 1244, n.5, et 1249, n.14.
[4] Elisabeth de Gonzague (vers 1471-1526), duchesse d’Urbino, qui fit de la cour de son époux, Guidobaldo da Montefeltro, un haut lieu de la culture.
[5] Sur ces dissertations, voir Lettre 1244, n.8.
[6] Il avait été déjà été question à plusieurs reprises de livres qu’ Almeloveen attendait d’Angleterre, qui devaient lui parvenir par l’intermédiaire de Reinier Leers : voir Lettres 1221 et 1244. Il s’agit sans doute des Casauboniana, ouvrage qui ne devait paraître que bien des années plus tard : voir Lettre 1221, n.8.
[7] Bayle avait évoqué un marchand dans sa lettre du 15 avril (Lettre 1244) : malheureusement, le terme précis qu’il emploie pour désigner l’intermédiaire est illisible.
[8] Sur ces ouvrages d’ André Chevillier et d’ Hilarion de Coste, voir Lettre 1244, n.6 et 7.
