Lettre 240 : César Caze d’Harmonville à Pierre Bayle

A La Haye ce lundy [1683]

Je dois response mon cher Monsieur à deux de vos lettres [1]. Je n’aurois pas tant tardé à vous escrire sur la p[remie]re sans l’embaras où je me suis trouvé à l’arrivée de mon pere [2][.] Je vous suis infinim[en]t obligé de la part que vous y prenez et il se fait une joye par[ticulie]re de l’honneur de vostre connoissance.

Dans les entretiens que j’ay eus cy devant avec Mr Desmarets sur l’employ d’historiographe il ne m’a jamais parlé qu’il y eut necessité d’entendre la langue du pays, et je ne crois pas qu’il soit à propos d’ esmouvoir* cette difficulté [3]. Il y a quelque temps que parlant là dessus il me dit qu’outre cet essay en francoys il en faudroit faire quelqu’autre en latin[.] Je luy respondis qu’apres que vous auriez achevé la vie de Gustave s’il estoit necessaire vous la pourriez aussy donner en latin, et je pris cet expedient pour vous espargner de nouvelles lectures [4]. Par là vous pouvez voir 2 choses[,] l’une que sa pensée n’est pas absolu[men]t de vous attacher au prince, puis qu’il ne peut pas estre juge d’un ouvrage latin[,] / l’autre que ne m’ayant formé d’autre difficulté que sur la langue latine (qui n’en est pas une à vostre egard) il faut bien que la connoissance de la langue flamande ne soit pas si absolum[en]t necess[ai]re[.] Quoy qu’il en soit nous le verrons venir là dessus et je vous avertiray de tout.

Je viens presentem[en]t à vostre dern[ie]re* et au p[remi]er chapitre de vostre ouvrage [5] que Mr Claude me remit samedy au soir et que je n’ay fait que lire avec rapidité, le luy ayant rendu le lendemain matin pour le donner à Mr Desmarets, je ne concois pas qu’en si peu de temps vous ayez pu si fort avancer cet ouvrage, et en cela il y a sans hyperbole du prodige ou fort aprochant, lors qu’il nous repassera par les mains nous le lirons ensemble Mr Claude et moy, et puis que vous le voulez ainsy nous vous dirons franchement nostre pensée sur les endroits que nous croirons devoir estre retouchez, sauf à vous d’y avoir tel egard que vous jugerez bon, car lors qu’on en est parvenu où vous estes, on se doit contenter de vous proposer des doutes et ce doit estre à vous de les resoudre.

J’ay ouy dire qu’il y avoit un des tomes du Mercure francoys presque tout remply des actions de Gustave[.] Je crois que vous n’aurez pas grande difficulté de l’avoir [6]. /

A nostre premiere entrevue nous parlerons de la longitude et latitude de la zone torride, de mesme que des nouveautez dont vous me faittes part.

La presente* vous sera rendue par un homme qui appartient à mon pere et qui s’en retourne en France avec son cocher, ils se doivent embarquer à Rotterdam, l’absence de Mr de Beaumont me prive d’un co[r]respondant qu’il m’auroit sans doute procuré [7], il n’est* pas que vous n’ayez quelque amy qui le puisse instruire des commoditez qui se peuvent presenter pour f[air]e leur trajet et qui leur puisse f[air]e changer des ducatons contre de l’argent [d]e France, et peut estre que sans sortir de chez vous • vous pourrez luy faire donner les esclaircissem[ent]s dont il aura besoin, je vous demande excuse de la peyne et vous prie mon cher Monsieur de me croire tout à vo[us]
d’Harmonville
Mr du Breuil [8] qui est de retour vous fait icy ses tres humbles recommandations*.

Vous pouvez à l’avenir m’escrire à droitture* inde Nieuwe Molstraet in’t lant Van Belooffe[.]

A Monsieur/ Monsieur Bayle inde win/ hawe/ à Roterdam

Notes :

[1Ces deux lettres de Caze d’Harmonville sont perdues.

[2Sur Jean Caze, voir la Lettre 176, n.9. Après la Révocation, on le trouve réfugié à Genève.

[3Caze d’Harmonville, certainement bien reçu à la Cour de La Haye, avait songé à obtenir pour Bayle le poste d’historiographe de Guillaume III. Daniel Des Marets, fils de Samuel et pasteur à La Haye depuis 1662, favorisait ce projet. Sur Daniel Des Marets, voir DHC, « Marets (Samuel des) », rem. F. Rien ne révèle mieux à quel point un historiographe était peu un historien que de voir que la remarque de bon sens faite par Bayle, qui jugeait son ignorance du néerlandais rédhibitoire, est balayée par ses amis.

[4Pour justifier la création du poste, les amis de Bayle avaient obtenu de lui qu’il rédigeât une Vie de Gustave-Adolphe, héros protestant et roi de Suède. Ce « Discours historique sur la vie de Gustave Adolphe, roi de Suède » se retrouva inachevé parmi les papiers de Bayle et fut imprimé à la fin du tome IV des Œuvres diverses.

[5C’est toujours de la Vie de Gustave-Adolphe qu’il s’agit ici.

[6Sur le Mercure françois, voir Lettre 103, n.17. Le volume que désigne Caze d’Harmonville est celui qui relate la bataille de Lützen (ou de Naumbourg), où le roi de Suède fut tué en 1632 : Mercure françois, 1632, p.668-690. Cette bataille opposa le roi de Suède à Wallenstein ; les Suédois furent victorieux malgré la mort de leur roi, grâce à Bernard, duc de Saxe-Weimar, qui remplaça celui-ci comme chef général de l’armée ; le chancelier Oxenstierna fut mandé pour la direction des affaires d’Etat.

[7On voit bien ici les conditions de voyage de cette époque et le rôle énorme que jouaient les réseaux d’amitié, pour trouver un logement, pour signaler un départ de bateau, etc. Il avait déjà été question de ce M. de Beaumont dans une lettre à Jean Rou (voir Lettre 209, n.2), mais nous ne saurions l’identifier plus précisément.

[8Jean Tronchin Du Breuil : voir Lettres 212, n.1, et 233, n.33.

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